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22 septembre 2020

En vue de l’encyclique « Tous frères »

Les dernières audiences du pape François : la pensée sociale de l’Eglise pour un monde post-Covid-19

Hélène Noisette, soeur auxiliatrice, membre du Ceras

En vue de l’encyclique « Tous frères » Mustafa Cevcek - Pixabay License

Le pape François promulguera, le 4 octobre, en la fête de saint François d’Assise, une encyclique sur la fraternité. Celle-ci devrait être inspirée par le discours sur la fraternité humaine d’Abu Dhabi, les discours aux mouvements populaires et les audiences que le pape François a prononcées depuis début août.

Au cours de ces audiences, le pape a invité les chrétiens à prendre leur part, à la suite du Christ guérisseur, dans la guérison de notre monde malade de la Covid-19 mais surtout d’injustices et autres « maladies sociales ». Il l’a fait en revisitant la pensée sociale de l’Eglise et ses principes « qui peuvent nous aider à aller de l'avant, pour préparer l'avenir dont nous avons besoin » et « aider les responsables de la société à faire progresser (…) la guérison du tissu personnel et social » (audience du 5/08/2020). Reprenant le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise (n°160-208), il a cité les principes majeurs mais en y ajoutant un nouveau, celui de « la sauvegarde de la maison commune » : « le principe de la dignité de la personne, le principe du bien commun, le principe de l’option préférentielle pour les pauvres, le principe de la destination universelle des biens, le principe de la solidarité, de la subsidiarité, le principe de la sauvegarde de notre maison commune » (5/08/2020).

Dans les audiences suivantes, il a fait dialoguer ces principes avec les vertus qu’ils expriment : la foi, l'espérance et l'amour.

Le 12 août, il s’est attardé sur une de ces « pathologies sociales » qui rend malade notre monde : « la vision déformée de la personne » qui « ignore sa dignité et son caractère relationnel » et la considère « comme un objet, un bien de consommation », « à utiliser et à jeter ». Cette dérive s’exprime par les deux maux de « l’indifférence » et de « l’égoïsme » qu’il nous faut dépasser pour retrouver « l’harmonie sociale ». Le pape a souligné de nouveau la valeur de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui consitue dans notre culture moderne, la manière « la plus proche » de se référer à cette « dignité inaliénable » de la personne « créée à l’image de Dieu » (Gaudium et spes, GS 12). Des droits de l’homme qui sont « l’une des plus hautes expressions de la conscience humaine » (Jean-Paul II, Discours à  l’assemblée générale des Nations unies, 5 octobre 1995, n. 2), mais qui ne sont « pas seulement individuels, mais également sociaux » : « ils sont des peuples, des nations » (cf. Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, n. 157). 

Dans son audience du 19 août, le pape a ensuite insisté sur le fait que la pandémie avait dévoilé et accru les inégalités dans le monde et que la guérison passait donc aussi par le fait de « soigner un grand virus, celui de l’injustice sociale ». Pour cela, l’option préférentielle pour les pauvres est une nécessité. Ce n’est pas un choix idéologique mais le simple fait de suivre l’exemple même de Jésus qui a mis au centre ceux qui étaient aux périphéries de la société. Se faisant, il ne s’agit pas seulement d’aider les plus pauvres mais « de se laisser évangéliser par eux, qui connaissent bien le Christ souffrant » et de lutter avec eux contre les structures qui marginalisent.  Le pape a plaidé pour des plans de relance économique qui nous aident à sortir « meilleurs de la crise », avec une économie plus juste et moins destructrice de l’environnement, qui assure le « développement intégral des pauvres » et non « l’assistanat », en privilégiant la « création de postes de travail dignes » (cf. EG 204) à la recherche du seul profit et en promouvant « l’économie réelle ». L’argent – majoritairement  public – destiné à la relance économique doit aider les industries qui répondent à quatre critères : contribuer « à l’inclusion des exclus, à la promotion des derniers, au bien commun et à la sauvegarde de la création ». Le pape a également appelé à un vaccin de la Covid « universel et pour tous », qui ne donne pas « la priorité aux plus riches » ni ne soit la « propriété de tel ou tel pays ».

La semaine suivante, il s’est attardé sur le principe de destination universelle des biens. Notre « économie malade » est le fruit d’une volonté de domination sur les autres humains et les autres créatures. Or la terre n’est pas notre propriété absolue mais un don fait « à tout le genre humain » (CEC, n. 2402). Nous ne sommes pas les propriétaires des biens mais des administrateurs : ce que nous possédons, c’est « pour le faire fructifier et en communiquer les bienfaits à autrui » (CEC, n. 2404). Et cela autorise l’autorité politique à « régler, en fonction du bien commun, l’exercice légitime du droit de propriété » (CEC, n. 2406 ; Cf. GS 71; SRS 42; CA 40-48) pour « assurer que ce que nous possédons apporte de la valeur à la communauté ». Qu’à l’exemple des premières communautés chrétiennes qui mettaient tout en commun, nos communautés chrétiennes du vingt-et-unième siècle influencent une nouvelle économie qui assure « la sauvegarde de la création et la justice sociale », prennent « soin des biens que le Créateur nous donne », mettent « en commun ce qu’elles possèdent de façon à ce que personne ne manque de rien ». Elles pourront alors « véritablement inspirer l’espérance pour faire renaître un monde plus sain et plus équitable ».

C’est la solidarité qui a été le cœur de l’audience du 2 septembre. « L’actuelle pandémie a mis en évidence notre interdépendance : nous sommes tous liés, les uns aux autres, tant dans le mal que dans le bien ». C’est pourquoi, nous ne pouvons sortir de cette crise qu’ensemble. Notre interdépendance de fait, dans notre monde devenu un « village global » appelle la solidarité, c’est-à-dire à « créer une nouvelle mentalité qui pense en termes de communauté, de priorité de la vie de tous sur l’appropriation des biens par quelques-uns » (EG 188). Le contraire de la solidarité, c’est la tour de Babel (cf. Gn 11, 1-9), « quand nous cherchons à atteindre le ciel – notre objectif – en ignorant le lien avec l’humain, avec la création et avec le Créateur », quand « l’on veut monter, monter, sans tenir compte des autres » : « Nous construisons des tours et des gratte-ciels, mais nous détruisons la communauté. Nous unifions les édifices et les langues, mais nous mortifions la richesse culturelle. Nous voulons être les maîtres de la Terre, mais nous détruisons la biodiversité et l’équilibre écologique ». A l’opposé, à la Pentecôte, « l’Esprit crée l’unité dans la diversité, il crée l’harmonie ». La diversité vécue dans l’unité et l’harmonie lutte contre le particularisme ou l’individualisme : elle nous évite, « dans notre culture mondialisée », de construire des « tours ou des murs » qui « divisent mais ensuite s’écroulent » et nous apprend au contraire à tisser « des communautés ».

Dans la pandémie, « nous assistons à l'apparition d'intérêts partisans » s’est inquiété le pape le 5 septembre : « certains voudraient s'approprier des solutions possibles, comme dans le cas des vaccins et ensuite les vendre aux autres. D'autres profitent de la situation pour fomenter des divisions: pour chercher des avantages économiques ou politiques, en engendrant ou en accroissant les conflits ». Ces attitudes vont à l’encontre du bien commun et de l’amour chrétien qui ne se limite pas à son cercle restreint mais aime jusqu’à l’ennemi, jusqu’à celui que nous ne connaissons pas car l’amour est aussi « civil et politique ». La santé n’est jamais un bien seulement individuel mais « un bien public » car une société saine suppose de « prendre soin de la santé de tous » : « si les solutions à la pandémie portent l'empreinte de l'égoïsme, qu'il soit de personnes, d'entreprises ou de pays, nous pouvons peut-être sortir du coronavirus, mais certainement pas de la crise humaine et sociale que le virus a soulignée et accentuée ». Pour construire le bien commun, la société a besoin d’hommes et de femmes qui s’engagent en politique pour y vivre « l’amour social » : « le bien commun demande la participation de tous ».

Enfin, dans son audience du 16 septembre, le pape a insisté sur l’importance de prendre soin des plus fragiles et de notre maison commune pour sortir de la pandémie. Pour cela, la meilleure arme est la contemplation. Elle nous permet de reconnaître la valeur propre des créatures et ouvre notre regard au-delà de l’utilité : «Quand quelqu’un n’apprend pas à s’arrêter pour observer et pour évaluer ce qui est beau, il n’est pas étonnant que tout devienne pour lui objet d’usage et d’abus sans scrupule» (LS 215). La contemplation nous sort de l’anthropocentrisme dévié, de notre manière de nous mettre au centre de tout, « en prétendant occuper la place de Dieu », qui nous conduit à détruire « l'harmonie de la création », à devenir « des prédateurs », à oublier « notre vocation de gardien de la vie », aussi bien de la Création que des êtres humains. Car « celui qui ne sait pas contempler la nature, la création, ne sait pas contempler les personnes dans leur richesse. Et celui qui vit pour exploiter la nature, finit par exploiter les personnes et les traiter comme des esclaves ». A l’école des peuples autochtones, « chacun de nous peut et doit devenir un “gardien de la maison commune”, capable de louer Dieu pour ses créatures, de contempler les créatures et de les protéger. »