facebook

Label Église verte

L'écologie est la science des relations

16 septembre 2017

Un label pour toutes les communautés chrétiennes qui veulent s’engager pour le soin de la création : paroisses, Églises locales et aussi œuvres, mouvements, monastères et établissements chrétiens.

Label Église verte

Le Conseil des Églises chrétiennes de France, la Conférence des évêques de France, l’Assemblée des évêques orthodoxes de France et la Fédération protestante de France unissent leurs forces en appelant pasteurs, laïcs et religieux, mouvements, communautés et paroisses à une prise de conscience écologique. Et pour les aider dans cette démarche, ils ont travaillé ensemble pour proposer un label « Église verte ». Le principe est simple : un formulaire, en ligne depuis le 16 septembre 2017, permet à chaque communauté chrétienne d’établir son propre éco-diagnostic pour identifier clairement les marges de progression possibles.

Cinq axes permettent de passer au crible les habitudes et actions déjà mises en place localement, et d’avoir des pistes d’action concrètes et adaptées à chaque situation :

  • les célébrations et la catéchèse : place de la Création dans la liturgie (cantiques, prières…), mise en place d’un groupe dédié au label au sein de la paroisse …
  • les bâtiments : choix du fournisseur d’électricité (voire auto production d’énergie via des panneaux solaires par exemple), amélioration de l’isolation des bâtiments et des chaudières, tri sélectif, stationnement pour les vélos …
  • le terrain : accès à un espace vert ou non, mise en place d’un jardin partagé, utilisation du terrain pour des temps de ressourcement ou de contemplation…
  • l’engagement local et global : organisation d’événements pour échanger avec les élus sur l’écologie, utilisation de la production locale pour les repas paroissiaux, soutien aux actions de solidarité internationale…
  • les modes de vie : interpellation des membres de la communauté sur leur empreinte écologique, incitation à la marche et aux transports doux, soutien à l’épargne solidaire et éthique…

Le label propose d’entrer dans un vrai processus, sur le long terme : il ne s’agit donc pas de répondre « correctement » à toutes les questions mais d’avancer pas à pas, en communauté, en fonction des réalités de chacun et de faire à nouveau le point chaque année. Charge maintenant à chaque paroisse de s’engager sur une, deux ou dix actions pour l’année à venir !

Toutes les informations sont à découvrir ici : https://www.egliseverte.org

                                 ****************************************************

Le lancement de ce Label a été l’occasion d’une journée de réflexion, le 16 septembre 2017, au cours de laquelle sont intervenus des militants et des théologiens. Vous trouverez ci-dessous leur contribution.

Écologie, les croyants sont indispensables

Txtex Etcheverry, fondateur d’Alternatiba

Je suis un militant du pays basque, je viens de Bayonne. Depuis une dizaine d'années, je m'investis dans la cause du climat, alors que je ne viens pas du tout de l'écologie. Ce n'est d'ailleurs pas l'environnement qui m'a motivé mais plutôt la compréhension que cette question du climat était essentielle pour la survie même de l'humanité.

Nous avons lancé les villages Alternatiba : des villages qui exposent des solutions existantes que chacun peut renforcer, individuellement ou collectivement. Face au changement climatique, de nombreux projets se développent partout, en France et dans le monde. À ce jour, plus de 600 000 personnes sont passées sur l'un des villages.

En 2018, nous allons refaire un tour Alternatiba. La première édition, en 2015, était une véritable épopée à vélo : 187 territoires traversés pendant quatre mois et des conférences proposées, midi et soir, pour sensibiliser à la question climatique. Nous avons d'ailleurs souvent été hébergés par des paroisses de toute religion. Nous portions le sens, l'enjeu et le calendrier du défi climatique.

Nous sommes persuadés que la quasi-totalité de l'opinion publique n'a pas du tout conscience de ce défi climatique. Et nous le comprenons très bien car nous sommes passés par cette étape-là, nous aussi. Cela est notamment dû au fait que lorsque l'on parle de climat, on parle de degrés (1°C, 1,5°C, 5°C...). Et face à ces éléments, tout le monde pense que l'on pourra s'adapter, facilement, à ces quelques degrés supplémentaires. Mais ce n'est pas du tout ce dont il est question en réalité ! Pour mieux faire comprendre ce qui se passe, nous parlons toujours de la température du corps humain. Entre 37 et 37,5°C, tout se passe bien. Avec deux degrés de plus, c'est une grosse fièvre. Avec un degré de plus, vous êtes alités, incapable de travailler. Au-delà, on peut imaginer le coma et la mort. En quelques degrés, on passe d'un état de vie et d'équilibre, à un état de mort.

Du côté du globe terrestre, la température moyenne est de 15°C actuellement. Depuis les années 1850, on a constaté une augmentation inférieure à un degré. Et ce simple degré est déjà responsable de tous les dérèglements actuels et de leur démultiplication : augmentation de l'intensité des cyclones, fontes des glaciers et des calottes glaciaires, élévation du niveau de la mer, inondations, canicules, sécheresses... Et actuellement, cette fièvre terrestre évolue de manière exponentielle, de plus en plus vite et de plus en plus haut.

L'accord de Paris, voté en 2015, engage tous les États à maintenir ce réchauffement en-dessous des 2 degrés supplémentaires par rapport à l'ère préindustrielle. Dans un scenario moyen, si toutes les dispositions réellement prévues sont bien respectées, nous serions tout de même, à la fin du siècle, à plus de 3,5 degrés. Mais d'autres scénarios, dont ceux de Gaël Giraud, estiment qu'il y aurait une chance sur dix que l'accord de Paris nous amène à + 6 degrés.

L'humanité a certes déjà connu un monde dont la température était de trois degrés supérieure à la température actuelle, il y a 3 millions d'années. À l'époque de notre ancêtre Lucy, le niveau des océans était de 25 à 30 mètres plus élevé qu’aujourd’hui. Ce ne sont pas simplement des degrés en plus mais un climat, un monde complètement différents.

Pour nous, le changement climatique est le problème essentiel de notre temps et de notre génération. Il se joue maintenant !

Cela fait déjà plus d'un siècle que le changement climatique est enclenché depuis la révolution industrielle par notre système de production et de consommation. Tout simplement parce que tout dépend de la combustion d'énergie fossile, émettrice de gaz à effet de serre. Et ceux que nous produisons aujourd'hui auront un impact pendant des décennies. En ce moment même, nous sommes en train de dépasser des seuils d'emballement du climat, situés entre 1,7 et 3 degrés. Dans cet intervalle, on atteint des seuils de rétroaction que je n'ai pas le temps de détailler. Citons tout de même les zones de permafrost, ces immenses étendues glacées en Sibérie ou au Canada, qui contiennent d'énormes quantités de méthane (un gaz à effet de serre très puissant, à court et moyen terme). Lorsque ces zones fondent, elles lâchent dans l'atmosphère l'équivalent d'une bombe climatique.

Même si l'humanité s'arrêtait de vivre ou de respirer, les effets déjà produits alimenteraient le réchauffement climatique. C'est l'équivalent d'une boule de neige qui deviendrait avalanche, sans que nous ne puissions l'arrêter.

Ce n'est pas un phénomène linéaire : l'accélération n'a pas le même rythme qu'il y a cent cinquante ans. Et on peut facilement s'en rendre compte parce que les médias en parlent de plus en plus. Non pas parce que c'est de plus en plus médiatisé mais parce que l'on constate de plus en plus de catastrophes climatiques. Il y a deux jours, une étude montrait que les glaces des monts alpins fondent trois fois plus vite depuis 2003 que pendant toutes les décennies précédentes.

La bataille climatique est la mère de toutes les batailles : si nous la perdons, nous perdrons toutes les autres. Le monde qui arrive verra des centaines de millions de personnes réfugiées climatiques fuir des terres devenues inhabitables, des milliards de personnes menacées par des pénuries d'eau potable, des baisses drastiques de toute la production alimentaire dans la zone tropicale... ce sera un monde de guerres ! Ce que nous voyons aujourd'hui est la petite bande-annonce du film qui nous attend si nous ne réussissons pas à enrayer ces mécanismes. Et ne croyez pas que dans un tel monde nous pourrons gagner les batailles de la démocratie, de la paix, des droits de l'homme, de la justice sociale... si nous perdons la bataille climatique, nous perdrons toutes les autres.

Et cette lutte ne se jouera qu'une fois : si nous dépassons ces seuils climatiques, nous ne pourrons plus y revenir. Tout se joue ou se perd intégralement aujourd'hui. Contrairement à d'autres luttes essentielles qui peuvent se rejouer lorsque les circonstances évoluent !

Enfin, les solutions existent et sont expérimentées partout : transports, logements, aménagement des territoires, agricultures et types de production... Nous savons ce qu'il faut faire pour enrayer le changement climatique mais nos expériences ne sont, pour le moment, qu'à des échelles marginales. Ces alternatives construisent un monde meilleur avec un environnement de qualité, une alimentation plus saine, une société plus collective et plus humaine... et même sans changement climatique, nous aurions tout intérêt à avancer vers ces modèles de sociétés. Ce sont des solutions qui permettent d'aller vers plus de liens et moins de biens, de nous construire plus dans l'être que dans l'avoir.

Lorsque nous demandons de « changer le système, pas le climat », c'est aussi pour montrer à quel point ce système est déréglé. C'est une voiture sans pilote qui fonce dans un précipice. Il s'agit d'une économie sans conscience qui détruit tout sur son passage : la biodiversité, le lien social. C'est aussi un système qui désacralise le sacré en mettant des ventres à louer, en allant vers des expériences de plus en plus folles de transhumanisme...

Nous sommes donc face à deux questions qui ont la même réponse : quelle planète allons-nous laisser à nos enfants ? Et quels enfants allons-nous laisser à la planète ? Nous devons être conscients qu'il y a une urgence à agir et que nous n'avons pas cent ans pour le faire. Jean Jouzel, climatologue et glaciologue français mondialement connu, déclarait en août 2017 : « pas besoin de faire de catastrophisme, la situation est catastrophique. Pour espérer rester en-deçà de 2 degrés de réchauffement, il faudrait que le pic d'émissions de gaz à effet de serre survienne, au plus tard, en 2020. Un degré de plus nous fera basculer dans un autre climat» (JDD, 12 août 2017). C'est donc très simple : nous avons trois ans pour, réellement, inverser les tendances. Après, ce sera très compliqué.

Ce qui se joue en ce moment est une sorte de parenthèse historique. Une période de moins de 11000 ans, avec un climat exceptionnellement stable qui a permis l'apparition de l'agriculture et la sédentarisation des humains. Soit de la naissance des grandes civilisations et des grandes religions monothéistes. Aujourd'hui, se joue donc la possibilité de maintenir cette parenthèse ouverte encore quelques milliers d'années ou de la refermer. Les trois années à venir appellent des changements massifs et rapides. Ils pourront avoir lieu si tout le monde s'y met, notamment les croyants qui sont la majorité de la population mondiale. Moi qui ne suis pas croyant, je pense que vous êtes mieux armés que nous pour comprendre ce qui se passe. Je pense que cela sera plus facile pour un croyant de privilégier l'intérêt général à moyen et long terme que l'intérêt individuel à court terme. Et c'est bien cette bataille qui est indispensable, dès aujourd'hui.

Charge à chacun d'entre nous de répondre à cette question majeure : que vais-je faire, dans les trois ans qui viennent, pour apporter ma part à cette bataille essentielle ?

 

Accepter notre transformation intérieure

Michel Maxime Egger, sociologue orthodoxe

Je ne suis pas mandaté par l'Église orthodoxe aujourd'hui et ne parle donc pas en son nom même si tout mon travail en écospiritualité est nourri par cette tradition à laquelle j'appartiens.

La dimension intérieure me paraît être un élément essentiel de la conversion écologique radicale à laquelle les Eglises - et tout particulièrement l'encyclique Laudato si' - nous invitent.

Parler de transition intérieure par rapport à ce projet de label des Eglises, c'est ancrer ce même label dans la spiritualité. C'est aussi poser, d'emblée, un certain nombre de questions fondamentales : le sens de notre engagement et de sa source intérieure, son moteur (est-ce l'ego qui est aux commandes ou une force plus grande, la puissance de l'Esprit à laquelle nous sommes ouverts ?), nos postures et attitudes intérieures pour mettre en œuvre ce projet.

J'aimerais mentionner une parole du pape François qui précise qu' « il ne sera pas possible de s’engager dans de grandes choses seulement avec des doctrines, sans une mystique qui nous anime, sans les mobiles intérieurs qui poussent, motivent, encouragent et donnent sens à l’action personnelle et communautaire »(LS 216).

Il me paraît essentiel de resituer le label Église verte face aux enjeux de la crise climatique et en lien avec les réponses que nous pouvons apporter. Comme le dit très fortement le pape, il ne s'agit pas uniquement de sauvegarder la Création mais d'opérer une « révolution culturelle courageuse »(LS 114). Au-delà de tout ce que nous pourrons faire pour protéger la Nature, il s'agit d'un véritable changement de paradigme. Et cela nous amène à nous rendre compte que, finalement, la manière dont nous traitons et maltraitons la nature et la Création est l'expression de la manière dont nous la regardons et représentons. Il nous faut donc changer ce regard et cesser ce qui est, en réalité, la vision dominante dans ce système croissantiste, productiviste et consumériste qui détruit la planète en la considérant uniquement comme un objet et un stock de ressources. Si nous changeons, nous pourrons redécouvrir notre Terre comme un mystère sacré et un reflet de la bonté, de la générosité et de la beauté de Dieu. Comme un lieu de Sa présence.

Nous devons aussi changer notre regard sur l'être humain et sur sa place en cessant de nous considérer comme le centre de toute chose, en nous rendant compte que nous ne sommes pas séparés de la nature. Il existe une unité ontologique fondée dans l'être entre l'être humain, la nature et Dieu le Créateur. Avec les êtres qui habitent la Création, nous sommes dans une relation d'interdépendance profonde. Non seulement nous faisons partie de ce grand tout cosmique mais toute la Création habite à l'intérieur de notre être. Ce que nous faisons aux créatures, c'est à nous-mêmes que nous le faisons et inversement. Ce changement de regard est possible par la sensibilisation, par des homélies et la catéchèse bien sûr. Il le sera d'autant plus si nous ouvrons dans l'Eglise des espaces où l'on peut faire cette expérience de reliance à la Terre et au sacré. Pour le pape François, c'est la découverte et donc l'expérience de Dieu dans la Création qui va nourrir les vertus écologiques (l'émerveillement et le respect face à la beauté).

On peut voir ce label vert comme un exemple de la posture, très présente dans la tradition chrétienne, de l'intendant de la Création. Dans la Genèse, l'être humain est invité à cultiver et à garder le sol (Gn 2, 15). De la même façon, dans une optique de transformation intérieure et d'écospiritualité, nous pouvons cultiver et garder notre terre intérieure autour de deux enjeux principaux : un changement de style de vie pour sortir du consumérisme et une nécessaire ascèse. Soit un travail sur nos ressorts intimes par lesquels nous participons à ce système économique mortifère. Parlons notamment de notre puissance de désir captée et instrumentalisée par ce même système face à notre peur du manque. Il nous faut nous libérer de cette peur ! Dans le cadre du label, nous pourrions revaloriser et redécouvrir le jeûne, entre autres pendant le Carême, qui nous permettrait d'expérimenter et travailler cette réorientation.

Nous sommes souvent très divisés entre notre tête et notre cœur. Toute l'information que nous recevons sur les dégradations environnementales ou sur les maux et les souffrances de la Terre nourrissent souvent notre mental. Mais descendent-elles à l'intérieur de nous pour venir brûler notre cœur et l'embraser ? Vous savez que le cœur brûlant, c'est la définition même du courage qui nous fait nous mettre debout à un moment, pour dire non et agir. Il faut que nous réussissions à nous sentir concernés par les maux de la Terre, comme quelque chose qui nous concerne profondément pour « oser transformer en souffrance personnelle » ce qui arrive à la Terre « et ainsi reconnaître la contribution que chacun peut apporter »(LS 19). Cette transformation intérieure permettra une réunification (et la prière joue un rôle important) entre notre tête et notre cœur.

Pour cela, il est essentiel que nous sortions d'une écologie de l'obligation morale. Visons une écologie de la nécessité intérieure où le moteur n'est plus « il faut » mais « je désire ». Nous avons un travail à faire pour nous connecter à notre être profond, à ce que nous sommes, à ce désir profond, à ce qui brûle en nous, à ce qui fait sens pour nos engagements.

Pour terminer, j'aimerais reprendre une citation d'Antoine de Saint-Exupéry : « Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, couper des planches et distribuer du travail, mais réveille au sein des hommes le désir de la mer ». Aujourd'hui, l'enjeu est de nourrir et de faire vibrer dans le cœur des hommes l'amour de la Terre, le désir de la protéger, de l'honorer et de la célébrer.

 

L'écologie nous pousse à revenir à l'Alliance

François Euvé, prêtre catholique, jésuite

Au point de départ, l'écologie est la science des relations. Autrement dit, c'est la prise de conscience des interdépendances et que « tout est lié » car tout est en relation avec tout. Il faut bien comprendre que c'est un complet renversement de paradigme avec tout ce qui primait dans la représentation moderne : un monde composé d'entités individuelles, juxtaposées les unes avec les autres. On part de l'individu, de l'atome, des particules élémentaires pour aller vers des relations entre elles. L'écologie nous invite à faire l'inverse : partir de ce qui est relationnel où se constituent des entités individualisées. Il ne s'agit pas de tout mélanger ou de tout confondre, mais d'articuler les dimensions individuelle et collective, présentes dès le démarrage. C'est aussi une conception d'emblée relationnelle de la personne humaine.

Ce sont sans doute des évidences mais réfléchissons tout de même à une spiritualité pas si ancienne, où le primat était donné au salut individuel de l'âme. La visée de la vie chrétienne était alors de sauver son âme. Tout ce qui relevait du relationnel (comme la charité) ne venait que dans un deuxième temps. Si l'intérêt porté aux autres permettait de se préparer au Salut, c'était notre Salut qui restait premier.

L'écologie nous pousse à revenir à une dimension fondamentale des Écritures : l'Alliance. Il nous faut concevoir le Salut comme étant d'emblée communautaire. Dans une perspective chrétienne, il n'y a pas d'autre Salut qu'un Salut collectif, universel. Et cette universalité ne concerne pas seulement l'humanité : les autres composantes de la Création (les animaux, les plantes...) y sont aussi intégrées. Elles sont non seulement comprises en tant que récepteurs capables de recevoir le Salut, mais aussi comme pouvant y participer. Dès lors, toutes les dimensions du monde sont engagées dans la poursuite de la Création et ont leur place, chacune à leur manière, dans l'accomplissement de l’œuvre de Dieu. Cela nous demande un changement majeur car cette démarche est aux antipodes d'une conception moderne qui prend toutes les composantes du monde comme des choses (y compris les animaux) à notre disposition. Alors que ce sont bien des entités et des êtres avec lesquels nous pouvons établir une relation. Cette position questionne aussi l'Église : l'universalité est au-delà de l'humanité. Et cela nous ouvre des perspectives grandioses.

Cette approche nous donne une manière de fonctionner en Eglise. Je reprends l'image du polyèdre utilisée par le pape François, en opposition à la sphère qui ramène tout à l'unité, centrée sur Rome. Il s'agit, au contraire, d'avoir un volume à différentes faces qui contribuent, chacune, à la richesse de l'ensemble. Concrètement, cela se traduit par une Eglise davantage en débats, en synodes, qui insiste moins sur l'unité comme uniformité que sur une unité comme diversité. Il n'y a pas une solution ou une voie unique mais bien un ensemble à réaliser, grâce à la richesse de nos traditions et dans la diversité de nos apports.

L'enjeu est écologique, spirituel, ecclésiologique. Et si nous prenons conscience que notre vie en Eglise ne peut être que la mise en relation et la synergie de diversités, de traditions, de réflexions et positionnements divers, cela ne pourra que nous enrichir et nous aider à construire un monde commun.

 

L’implication écologique paroissiale, entre Bible et mobilisation séculière 

Martin Kopp, protestant

Je vous invite à une respiration, au sens propre du terme. Je vais compter jusqu’à 3 et sur 4, on inspire tous ensemble et ensuite, on expire tous ensemble. Ce que vous venez de faire est une action éminemment banale : vous avez commencé à respirer lorsque vous êtes nés, vous le faites toute la journée, à chaque seconde, à chaque minute et vous ne vous en rendez même plus compte.

C’est aussi une action exceptionnelle. Vous êtes les premiers êtres humains, de toute l’Histoire de l’humanité à l’avoir fait : vous venez d’inspirer 400 parties par million de dioxyde de carbone. C’est la première fois que des humains en inspirent autant dans l’Histoire de l’homo sapiens. C’est donc non seulement une action banale et exceptionnelle mais c’est surtout une action humaine. Que vous soyez chrétiens, protestants, catholiques, orthodoxes, que vous soyez d’une autre religion, que vous soyez dans la sphère religieuse ou dans la sphère séculière, nous sommes, d’emblée, liés les uns aux autres par le fait que la question écologique est celle de la dépendance et de l’interdépendance. L’écologie, par excellence, nous montre que nous sommes dans une communauté de destins : nous allons vivre ensemble et nous vivons ensemble.

Cependant, la question est de savoir quels sont les liens qui peuvent se tisser entre ce que nous vivons dans l’Église, en paroisse et ce que nous vivons aussi à l’extérieur, dans le monde, la société civile séculière. Aujourd’hui, on m’interroge sur le lien et l’équilibre entre deux pôles : ce que nous vivons dans notre foi propre et ce que nous vivons avec d’autres alentour. J’insisterai plutôt sur le second pôle.

L’ancrage dans notre foi propre

Pour être dans une relation saine avec autrui, pour témoigner dans la société et être en lien avec d’autres acteurs, il faut d’abord être bien avec soi-même, avec sa propre foi et sa communauté. La Bible est bien sûr une notion importante dans la tradition protestante : elle fait référence au fondement. Et je ne peux que vous appeler à relire les textes de la Genèse mais aussi du Nouveau Testament. Nous avons une richesse dans notre tradition qu’il nous faut explorer. Mais les Écritures ne sont pas les seuls fondements pour une paroisse. Si les États, suite à la Cop21, doivent mettre sur la table des « contributions nationalement déterminées », nous avons peut-être, nous chrétiens, des contributions « spirituellement déterminées » qui nous sont propres et qui enrichissent l’enracinement d’une dimension tout-à-fait spécifique. Nous avons déjà parlé du jeûne, de la prière et j’ajoute la contemplation : le lien avec la Création et la nature ont été un premier pas pour moi. Alors pourquoi ne pas tenir des cultes dehors ou lire sa Bible à l’extérieur pour ne pas être toujours dans un bâtiment, dans une boîte ? La question écologique peut aussi être reliée aux dons, aux pèlerinages… Nous avons toute une vie spirituelle et paroissiale dans les lectures du dimanche, les prédications ou les homélies, mais aussi dans des pratiques centenaires, voire millénaires, que nous pouvons réinvestir à partir de cette question écologique.

La participation à une mobilisation séculière

J’aimerais partager avec vous des pensées sur l’être et sur le faire. En tant que chrétien, français d’aujourd’hui, qui participe à la lancée du label Église verte, je pense que nous sommes appelés à être entre l’humilité et la conviction.

Nous lançons le label en France en 2017, quand des gens se mobilisent sur la question depuis les années soixante. Bien sûr, il y a eu des pionniers chrétiens, protestants ou catholiques. Je n’ai pas envie de citer des noms car je voudrais aussi rendre hommage à tous les anonymes qui s’engagent depuis des années, en paroisse, et ont pu avoir le sentiment de prêcher dans le désert jusqu’à aujourd’hui. Il faut bien reconnaître que la société civile séculière s’est mise en route, de façon plus large et, peut-être, par anticipation par rapport à nous. Nous rejoignons donc un mouvement, nous ne lançons pas quelque chose. Nous nous inscrivons dans une dynamique qui nous précède et nous sommes aussi reconnaissants pour le travail des non-chrétiens. Cela étant, il ne s’agit pas d’être prisonniers du passé ou de nous excuser, continuellement, de ne commencer qu’aujourd’hui. Au contraire, charge à nous d’incarner fermement, avec enthousiasme et passion notre vocation présente. L’urgence écologique est telle, que nous aurions bien besoin de cette fameuse ferveur du converti autour de cette initiative et du label.

Pour ce qui est du faire, je voudrais vous partager trois verbes : témoigner, interpeller et collaborer.

Témoigner, déjà. Et, en ce sens, je fais de vous tous des protestants en me référant à l’étymologie : protestare, en latin, signifie « témoigner devant ». Par notre action, par le label, par ce qui se vivra dans les paroisses, nous serons des témoins. Vis-à-vis des autres chrétiens et vis-à-vis de la société en général, de Dieu créateur, Dieu d’Amour.

Être témoin implique de rendre notre action visible. Et une bonne visibilité, ce n’est pas un don de Dieu ni quelque chose d’évident. Cela s’apprend et cela se travaille. Il faut apprendre à communiquer. Affichez votre label Église verte non seulement dans votre église mais aussi ailleurs, lorsque vous tenez une action ; partagez vos initiatives sur les réseaux sociaux ; lorsque vous organisez un ramassage de printemps œcuménique ou paroissial, informez-en votre journal local…

Interpeller. Votre église ou votre paroisse n’est pas une ONG environnementale comme les autres ni une structure supplémentaire qui se mettrait à travailler sur cette question. Nous avons une différence, qui nous rend spécifiques, et nous pouvons apporter cette richesse. Si la question climatique est un enjeu économique, technique, politique, géopolitique, c’est, avant toute chose, un enjeu spirituel et moral. Et c’est à voir de façon très large : il s’agit de la vie éthique, morale de chaque individu quelles que soient les convictions personnelles. Les ONG séculières ne font pas mention de conversion intérieure car ce n’est pas leur porte d’entrée principale. Mais c’est sans doute à ce niveau que nous pouvons quelque chose de spécifique et d’interpellant.

C’est aussi une facilité et un défi. S’il y a un grand événement qui concerne tout le monde (une célébration œcuménique, un office de notre confession), c’est facile pour nous car c’est ce que nous savons faire. C’est aussi un défi qui nous est lancé : comment pouvons-nous, avec notre propre terrain, interpeller aussi les gens qui ne sont pas de notre religion ? Ou qui ne sont pas croyants ? Comment pouvons-nous engager des philosophes, des humanistes ? Lors de la Cop21, la conférence des responsables des cultes en France a montré que c’était possible.

Collaborer. Aux moments clé de la mobilisation (lors de la future publication du Giec en 2018, lors de la Cop24 en Pologne où le règlement de la Cop21 sera adopté), où serons-nous, nous chrétiens ? Comment participerons-nous ?

Le défi est de discerner où est notre juste place dans notre collaboration avec la société civile. On peut citer des initiatives peut-être plus consensuelles : marcher dans une grande marche pour le climat, tenir un stand Église verte dans un Alternatiba, avoir une démarche de plaidoyer auprès des élus. Mais il y a aussi des actes plus militants et radicaux, moins consensuels qui pourront engager les chrétiens qui le souhaiteront : s’accrocher à un train de charbon pour ne pas le laisser partir par exemple. Si nous partons du principe qu’il n’y a aura pas de lutte contre la pauvreté ou la migration forcée, il n’y aura pas de lutte pour la justice et la paix sans la lutte pour le climat, jusqu’où allons-nous ?

Pour terminer, il ne faut pas voir l’engagement paroissial et l’engagement avec les autres comme deux étapes qui se suivent. Il s’agit plutôt d’une dynamique, d’un va-et-vient incessant où l’on peut s’enrichir les uns les autres. Je reprends le slogan de la coalition climat autour de la Cop21 : « pour tout changer, il faut tout le monde ». Ce n’est qu’en nous soutenant ensemble et en apprenant les uns des autres, en contribuant chacun de nos richesses propres que nous parviendrons à construire le monde plus soutenable, plus juste et plus pacifique que nous appelons tous de nos vœux.

 

Italie, le bilan de justice

Gianni Fazzini, prêtre italien, paroisse de Venise

Je suis ici pour vous présenter le bilan de l’expérience du Bilanci di giustizia[1] (bilan de justice). Ce projet a eu lieu entre 1993 et 2013. À partir de cet exemple, j’aimerais vous proposer une réflexion sur la façon dont les chrétiens peuvent s’approprier cette exhortation apostolique : « Ne vous conformez pas à la mentalité de ce monde mais laissez-vous transformer par Dieu ».

Les Bilanci di giustizia ont vu le jour suite à un appel lancé par le mouvement « Beati i costruttori di pace » et plusieurs prêtres, dont je fais partie. Nous partions du principe que lorsque l’économie tue, il faut changer. En octobre 1993, nous avons ainsi réuni 3000 personnes à Vérone. Et nous avons compris qu’il nous fallait leur proposer un véritable cheminement vers le changement et des outils opérationnels. Nous nous sommes donc appuyés sur quelque chose de très concret : le budget mensuel de la famille. La première année, nous avions une centaine de familles dans le programme. Au bout de vingt ans d’expérimentations, elles étaient plus de mille.

Au fil du temps, une cinquantaine de groupes locaux se constituent, partout en Italie, formant de véritables communautés de partage pour un changement de style de vie. Face à la nécessité de communiquer et de se coordonner entre les groupes, un autofinancement est mis en place pour créer un secrétariat général. Chaque année, ce dernier analyse ainsi tous les budgets mensuels reçus puis publie un rapport avec toutes ces données. Grâce au secrétariat, une rencontre annuelle est mise en place où toutes les familles sont invitées à se rencontrer, pendant trois jours.

Et l’on constate que 25% de la consommation des familles sont déplacés vers des choix plus éthiques, dont les critères sont fixés par les participants eux-mêmes : augmentation de l’autoproduction, achat collectif auprès de producteurs locaux, élimination de besoins induits qui n’améliorent pas la qualité de vie, réduction des déchets… Il ne s’agit pas d’appliquer des lignes directrices préétablies mais d’une prise de conscience collective qu’une vie plus juste est possible. Nous avons tous été surpris par la possibilité d’atteindre cette vie plus juste, tout en dépensant moins ! D’après l’institut national de la statistique, les familles qui suivent le Bilanci di giustizia dépensent 15% en moins qu’une famille italienne moyenne. Certains décident même de réduire leurs heures de travail pour dédier plus de temps à ce qui est vraiment important pour leur vie. Les mille familles suivies sont intégrées dans les réalités sociales et ecclésiales, dans les coopératives, dans les projets éducatifs ou les expériences de nouvelle économie. Elles continuent ainsi ce qu’elles ont vécu pendant leur expérimentation du Bilanci di giustizia.

La grande force de cette expérience pastorale était de proposer des outils et des lignes directrices concrètes qui rendaient possible un véritable changement dans la vie quotidienne. Mais l’expérience, elle-même, est une œuvre de notre temps qui nous demande de nouvelles expériences. Il y a vingt-quatre ans, Bilanci di giustizia était possible par la soif de justice présente dans la société et portée par des figures charismatiques. On avait soif de se délivrer des règles de l’économie !

Mais depuis, l’Eglise italienne n’a malheureusement pas changé son approche structurelle : liens avec les banques, gestion des immenses propriétés immobilières qu’elle possède… elle est, aujourd’hui, largement empêtrée dans l’administration du sacré. Les Italiens continuent à demander, quoique dans une moindre mesure, des services sacrés, sans approfondir leurs motivations de foi qui devraient soutenir leurs demandes. La consommation des biens non essentiels remplit matériellement la vie. Les technologies nous donnent l’illusion d’entretenir des relations qui, en réalité, n’ont rien de personnel mais suppriment le véritable souffle spirituel.

Pourtant, il existe encore aujourd’hui une grande demande de libération et d’authenticité. Sans parler d’une aide pour faire des choix qui soient respectueux de notre humanité profonde. En Italie, des petites communautés essaient de répondre à ces besoins face à ces temps de changements profonds, en s’appuyant surtout sur la lecture de la Bible, sur la prière communautaire et l’écoute profonde de l’enseignement du pape François.