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19 juin 2015

Laudato Si : un appel en faveur d’une “écologie intégrale”

Lettre encyclique du Pape François sur la sauvegarde de la maison commune

l'équipe du Ceras

De même que Populorum Progressio a été la charte du « tiers-mondisme » catholique des années 70, Laudato Si' va être, pour plusieurs années, la charte de l’écologisme chrétien.

La Banque mondiale a depuis longtemps identifié les religions comme un facteur décisif du développement. En France, Nicolas Hulot, et l’ancien ministre du Développement, Pascal Canfin, mettent l’accent sur le rôle que les traditions spirituelles sont appelées à jouer dans le débat mondial sur la transition écologique. En Allemagne, un héritier de l’Aufklärung comme Jürgen Habermas s’apprête à publier un opus magnum dédié notamment à la nécessaire contribution des religions dans l’espace public de discussion européen.

C’est dans cet esprit - contribuer au débat démocratique mondial sur le climat - que le Pape François publie l’encyclique Laudato Si. Sans doute s’agit-il du document magistériel le plus important de l’Eglise catholique depuis le Concile Vatican II. A cinq mois de la Cop21, cette prise de parole, dans le prolongement de celles du patriarche Bartholomée 1er et de nombreuses conférences épiscopales nationales, fournit des ressources précieuses à tous, chrétiens ou non, en particulier ceux qui s’efforcent de faire monter la cause écologique au sommet de l’agenda politique des gouvernements. 

François n’y va pas par quatre chemins : oui, le dérèglement climatique est gravissime. Il souligne en particulier les bouleversements irréversibles que le mode de vie et de production des plus riches fait subir à la biodiversité et à des équilibres écosystémiques infiniment fragiles et précieux (LS 31). Voulons-nous des océans qui ne soient bientôt plus peuplés que de méduses ? Mais le Pape souligne aussitôt que les premières victimes de ce mode de vie prédateur, ce sont, dès aujourd’hui, les populations pauvres. Et tout particulièrement en Afrique. Le Nord à ce titre, a contracté une “dette écologique” (LS 51) à l’égard du Sud, estime -t-il.

Oui, ce dérèglement est largement dû à l’activité humaine. François rappelle que ce point ne fait plus débat dans la communauté scientifique. L’académie des sciences pontificale avait déjà reconnu officiellement la responsabilié anthropique il y a quelques mois.

D’où vient la “culture du déchet” qui provoque pareil désastre ? Le diagnostic du Pape est clair : les technosciences idolâtrées (LS 104 sq), alliées à la financiarisation et à la folie d’une économie fondée sur une production et une consommation sans limites (LS 56). Voilà les trois maux à la racine du problème. Autant dire que le Pape François ne croit pas à une solution par la géo-ingénierie. Et encore moins par le marché. C’est bien par un changement radical de styles de vie que devraient passer les plus riches, si nous voulons assumer notre condition humaine sur une planète finie. Cela suppose, d’après François, que nous consentions à subordonner la propriété privée à ce que la tradition catholique nomme la “destination universelle des biens” (LS 93 sq, voir aussi Gaudium et Spes 69,1). Autrement dit à ce que tout le monde ait le droit, entre autres, de respirer un air pur et de boire une eau saine ou de bénéficier d’un travail décent. Certains lecteurs de la société civile se réjouiront de lire sous la plume du Pape que cette conversion implique de résister à la privatisation des ressources naturelles (LS 45). Ils entendront également que la finance “étouffe” l’économie réelle (LS 109). Poursuivant sa dénonciation prophétique du veau d’or financier, le Pape n’épargne pas ce qu’il tient pour le lieu de “la plus grande résistance” (LS 56) au progrès vers une humanité réconciliée avec elle-même et avec la création : la finance de marchés.

Surtout, François invite chrétiens et non-chrétiens à vivre une anthropologie relationnelle, à égale distance d’une vision de l’homme comme “maître et propriétaire de la nature” - dont il rappelle qu’elle est un contresens sur la tradition biblique -, d’une nature mythifiée (LS 78) et d’un bio-centrisme qui oublierait l’incarnation humaine du Christ. Hommes et femmes sont relation : entre eux, avec Dieu et avec une nature dont ils sont les “gardiens”. C’est le mépris de cette relation dans la “globalisation de l’indifférence” digitale (LS 47) à quoi se réduit aujourd’hui la mondialisation marchande, qui serait commun, selon François, aussi bien à ceux qui abusent sexuellement des enfants qu’à ceux qui plaident pour un marché prétendument auto-régulé (LS 123) sans tenir compte de son incapacité à gérer efficacement la moindre forme d’externalité.

 Dans le droit fil du cantique des créatures de Saint François d’Assise, de la sobriété de vie d’un Charles de Foucauld, François lance ici un appel pour que toutes et tous prennent leur part d’une “communion universelle” en faveur d’une “écologie intégrale”, consistant à transiter d’une société inégalitaire, carbonée et financiarisée vers un monde plus juste, en harmonie avec la création et dont l’économie définanciarisée doit apprendre désormais à imiter la circularité des écosystèmes naturels.

Où l’expérience de foi chrétienne se loge-t-elle là-dedans ? Dans la conviction que l’humanité est capable d’un tel sursaut.

Equipe Ceras