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19 juillet 2012

Populorum progressio : le congrès des 40 ans

Jean-Yves Calvez, jésuite

Jésuite, décédé en janvier 2010. Membre du Ceras, il enseignait au Centre Sèvres à Paris.

Du 22 au 24 novembre 2007, j’ai participé au Congrès organisé par le Conseil romain « Justice et Paix » pour le 40ème anniversaire de la Lettre du pape Paul VI sur le développement Populorum progressio. Il s'agissait de faire un bilan, d'ouvrir aussi des perspectives. Etaient invités, dans leur grande variété, les « organismes ecclésiaux travaillant pour la Justice et la Paix ». Le plus positif ? Il est possible de réunir aujourd'hui, autour de cette encyclique, quelque 400 à 500 personnes, en provenance du monde entier et engagés dans leurs églises pour les causes économiques et sociales !

Par quoi sont-ils préoccupés ? Avant tout, par les retombées sociales des politiques économiques aujourd'hui en vigueur. Chacun y est allé, à cet égard, de ses propres exemples : en Inde, où une immense pauvreté coexiste avec les succès du développement de l’électronique, comme à Bangalore (voyez La terre est plate de Thomas Friedman1) ; en Afrique, où tant de conflits guerriers, tant de pouvoirs militaires interdisent encore à l’entreprise de développement de produire beaucoup d’effet ; dans nombre de banlieues d’Amérique latine, ce continent qui reste, on l’a souligné, celui du plus grand écart de revenus entre riches et pauvres : la pauvreté relative est en croissance sur le continent des Forums sociaux mondiaux...

Rapprocher développement et écologie

Nul sentiment d’impuissance, cependant, n’est apparu. Et Populorum progressio reste, pour le plus grand nombre, un appel toujours vibrant… et intelligible, qualité dont ne peuvent se prévaloir tous les documents romains ! Autre point à signaler : les questions nouvelles de la préservation des ressources naturelles et de la rareté de certaines d'entre elles transforment et modifient la problématique du développement. À écouter certains discours, des chrétiens en seraient troublés, redoutant que ne se répande une écologie « radicale » qui tient la nature pour prioritaire par rapport à l’homme, craignant qu’on ne fasse de Gaia une idole (« la terre », selon le vieux mot grec). On aurait accordé à l’homme, dans les siècles passés, une supériorité indue, et cela à cause du christianisme, disent certains. Nous aurions écouté trop exclusivement les mots de la Genèse, « Soumettez-vous la terre » : le sol, les plantes, les animaux, les minerais…tout a été considéré comme ressource. Mais aurions- nous oublié l’autre injonction divine : « Cultivez le jardin mis à votre disposition » ? Cultivez-le, soignez-le. Apparaît la nécessité de rapprocher développement et écologie : nos tâches n'en sont pas facilitées. Nous sommes invités à orienter le progrès, la découverte, les techniques vers des procédés « économes » en énergie et en matières premières ; en pollution aussi, évidemment. Que d’eau n’a-t-on pas économisée en inventant l’irrigation goutte à goutte ! L’exemple est éloquent, quand on sait qu’elle est devenue une ressource rare en plus d’un lieu de la planète.

Quand libre échange ne coïncide pas avec justice 

D’autres participants se sont montrés bien plus préoccupés des conséquences possibles des traités de libre-échange que les Etats-Unis s’efforcent de faire signer à nombre de pays du Centre et du Sud de l’Amérique. Nombre des clauses de ces accords – sur les exigences sanitaires pour les produits devant entrer aux Etats-Unis, sur la « propriété intellectuelle » et les brevets, sur les protections états-uniennes – risquent de défavoriser les produits autochtones latino-américains.

Etant donnée la dimension internationale de tous ces problèmes, la question de la « gouvernance » a été bien sur évoquée. On parle « gouvernance » (et on cherche à l’instituer) lorsqu’on a renoncé à du « gouvernement » proprement dit ! C’est souvent le cas dans le domaine économique international. Le temps semble loin où le pape Jean XXIII demandait la création d’un gouvernement mondial – au moins d’autorités publiques de caractère mondial – pour gérer les problèmes devenus eux-mêmes mondiaux. C’est notre devoir moral à chacun, disait-il, de contribuer autant qu’il peut à l’établissement de ces moyens qui permettront de gérer notre bien commun. Impossible au temps de la guerre froide et des « blocs ». Difficile, hélas, au temps du multipolarisme qui a suivi et qui a vite cédé à un unipolarisme non organisé, difficilement supportable à beaucoup du fait de son caractère unilatéral.

« Gouvernance » à défaut de gouvernement

Nous essayons alors d’avoir au moins un peu de « gouvernance » : quelques méthodes d’entente et d’équilibrage, dans l’immense secteur de la société civile mondiale où agissent firmes géantes, « multis » et « trans », bourses et fonds de pension. Peut-on avancer beaucoup dans cette voie ? Il y faut du moins, on l’a beaucoup souligné au Congrès Populorum progressio, des conventions de bonne volonté sur les principes, sur les critères. Et il faut prendre garde aux points de vue trop rigides. Les principes de l’Organisation mondiale du commerce, par exemple, ne sont-ils pas trop rigides ou simplistes : interdire tout traitement différent des uns et des autres, supprimer toute protection, tout droit discriminant ? Ne faudrait-il pas tout autant retenir le principe proclamé par Paul VI, justement dans Populorum progressio : « Les avantages du libre échange sont évidents quand les partenaires ne se trouvent pas en conditions trop inégales de puissance économique… Il n’en est plus de même quand les conditions deviennent trop inégales de pays à pays. Les prix qui se forment ‘librement’ sur le marché peuvent entraîner des résultats iniques ».

Il est urgent de faire coïncider avec la justice les principes de gouvernance mis en œuvre aujourd’hui. Reste à espérer que ces points de vue trouvent leur expression dans l’encyclique sur la mondialisation qu’on dit en préparation pour l’année 2008.

1  Saint-Simon éditeur, octobre 2006.