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23 janvier 2013

Chrétiens devant la crise

La fabrique de la doctrine sociale – n° 7

Christian Mellon, Jésuite, Ceras, ancien secrétaire de la Commission Justice et Paix France

La crise financière, qui se développe en crise économique et sociale de grande ampleur, suscite bien des analyses et prises de position. Parmi elles, plusieurs émanent de mouvements ou organismes qui se réfèrent à la pensée sociale chrétienne. Comme le dit Luc Champagne, président de l'Antenne sociale de Lyon et membre du conseil des Semaines sociales de France, ouvrant un débat sur la crise lors de la dernière session des Semaines sociales : « Nous avons, au cœur de cette crise, l’obligation d’écrire une page de la pensée sociale chrétienne : il y va de la dignité et de respect dû à tous ceux qui vont souffrir de la récession que l’économie va connaître. »

Déclarations officielles

Dès le mois de mai 2008, le Service national pour les questions familiales et sociales de la Conférence des évêques de France publie une note sur « La face multiple des crises financières » (Documentation catholique, 6 juillet 2008). Il avance trois propositions - mieux réglementer les marchés financiers, recentrer les acteurs financiers sur l’économie productive, inviter les épargnants à résister aux sirènes du rendement maximum - et pose trois questions : comment protéger les plus faibles, qui souffrent davantage de la crise ? Comment traiter, sur les marchés financiers, les denrées alimentaires, qui ne sauraient être objets de spéculation ? Comment nous préparer à revoir à la baisse notre consommation d’énergie, nos habitudes alimentaires ?

En octobre, ce même service reprend ces thèmes dans une brève déclaration invitant à « Faire crédit, faire confiance » au cœur de la crise (Documentation catholique, 2 novembre).

Le 18 novembre, le Conseil pontifical Justice et Paix fait entendre une autre voix officielle de l’Église. Adressée à la conférence de Doha, sa note intitulée « Refonder le système international et aider les pays pauvres » (Documentation catholique, 18 janvier) pointe la cause première de la crise : on a « négligé le vrai objectif de la finance : favoriser l’utilisation des ressources épargnées là où elles favorisent l’économie réelle, le bien-être, le développement de tout l’homme et de tous les hommes ». La note invite à poser les questions de fond, qui sont des questions morales, car « la dimension éthique de l’économie et de la finance n’est pas une chose accessoire, mais essentielle ».

Quatre propositions

Se référant à l’enseignement social de l’Église, le Conseil Pontifical fait quatre propositions :

- refonder le système financier international sur un nouveau pacte, sans se contenter d’une « simple révision » : il faut une « véritable refonte » du système des institutions économiques et financières internationales.

- dénoncer le rôle néfaste des « centres financiers offshore » : responsables de la transmission de la crise financière, ils rendent possibles des évasions fiscales considérables.

- réglementer le marché financier, car c’est à tort qu’on a « considéré que le marché suffisait à donner le juste prix au risque ». Il faut rendre à l’État et à la communauté internationale un rôle important pour « fixer et faire respecter les règles de transparence et de prudence ».

- reconnaître le rôle de la société civile dans le financement du développement. La note recommande notamment les « comportements responsables » en matière de consommation et d’investissement » (en clair : le commerce équitable et l’épargne solidaire).

Benoît XVI dénonce, dans son message pour la Journée mondiale de prière pour la paix (Documentation catholique, 4 janvier) « la logique du très court terme » et le manque de « considération, à long terme, pour le bien commun ». Soulignant l’exigence de « l’amour préférentiel pour les pauvres », il rappelle que les injustices faites aux pauvres ont des racines morales et spirituelles, car « c’est dans le cœur de l’homme que s’enracinent l’avidité et l’étroitesse de vue ».

La fable libérale a volé en éclats

Le débat sur la crise organisé au cours de la session de Lyon des Semaines sociales – qui va faire l’objet d’une prochaine publication – représente à ce jour la plus complète contribution à la réflexion des chrétiens sociaux en France.

Il fait d’abord retentir une légitime « indignation », par la voix de Luc Champagne : quand les plus fragiles sont atteints, le chrétien ne peut se résigner, car « une des responsabilités des croyants, comme de tous les « espérants », est de repérer la crise comme une faute objective grave contre le vivre-ensemble ». Même souci éthique chez Michel Camdessus dénonçant un « manquement à l’éthique de la part des régulateurs et des autorités financières qui ont laissé se développer un climat dans lequel la recherche de la maximisation des profits à court terme était la seule loi ».

Chaque orateur souligne combien la crise démontre la pertinence de l’Enseignement social de l’Église sur un point central depuis Léon XIII : il faut soumettre l’économie à la régulation du politique. Car, comme le dit François Villeroy de Galhau, « l’idée que la finance pouvait s’autoréguler est une fable libérale qui a volé en éclats ». Jérôme Vignon précise que le politique, de nos jours, ce n’est plus seulement l’État national : se référant à Jean XXIII et au Concile Vatican II, il souligne qu’« il est indispensable de faire appel à une autorité publique universelle dotée de pouvoirs supranationaux, exercés sur la base du fruit d'un accord et non d'une imposition ». Il propose aussi de « bâtir l'économie mondialisée sur du roc » en reprenant toute la question du développement – durable, bien sur – « moyennant un saut qualitatif de la solidarité ».

Deux priorités

Signalons enfin deux initiatives chrétiennes en direction d’un public plus large. La veille de Noël, 13 quotidiens nationaux ou régionaux (du Figaro à L’Humanité), ont publié le texte « Noël dans la crise » signé par 25 personnalités, puis par 2000 citoyens sur le site de La Vie. Ce manifeste, qui rappelle avec force deux priorités : priorité de l'homme sur l'économie et priorité des pauvres sur les privilégiés, et souligne à son tour combien la crise donne raison aux principes de base de l’enseignement social chrétien, a été lu par des millions de Français.

A noter également que la campagne pour la levée du secret bancaire, menée par Le Pèlerin (soutenue par Secours catholique, CCFD, Justice et Paix, réseau Foi et Justice Afrique-Europe) a rassemblé des dizaines de milliers de signatures.

Publié dans la Lettre des Semaines sociales n° 54, avril 2009