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15 décembre 2009

Dignité du travail

La fabrique de la doctrine sociale – n° 10

Le travail est encore maltraité aujourd'hui. Entre autres cas extrêmes, nous avons tous en tête ces récents suicides, sous la pression de directions aux exigences impitoyables. L'Église n'a cessé, pour sa part, de lutter pour la dignité du travail et des conditions du travail.

Dans Caritas in veritate (29 juin 2009), Benoît XVI écrit : « Dans de nombreux cas, la pauvreté est le résultat de la violation de la dignité du travail, soit parce que les possibilités du travail humain sont [trop] limitées (chômage ou sous-emploi), soit parce qu'on mésestime les droits qui en proviennent, spécialement le droit au juste salaire et à la sécurité de la personne du travailleur et de sa famille » (§ 63). Il cite ici son prédécesseur Jean-Paul II, qui consacra toute une encyclique au travail humain, et rappelle qu’il encouragea naguère vivement l'Organisation internationale du Travail dans sa stratégie de lutte pour un travail digne et décent.

Le travail ne fut pas toujours jugé digne : dans la Grèce antique, on le considérait comme indigne des hommes libres, et on y destinait les esclaves. Le christianisme a beaucoup contribué à rendre sa dignité à toute espèce de travail. Il faut se remémorer ce que dit Jean-Paul II dans Laborem exercens: puisque l'homme est le « sujet » du travail, on ne peut pas le considérer comme un instrument dans l'économie (§ 6). Le travail, en effet, a une « valeur éthique » : même pénible et fatiguant, il est un vrai « bien de l'homme », un « bien de son humanité » (§ 9). Par le travail, l'homme « transforme la nature en l'adaptant à ses propres besoins », mais aussi « se réalise lui-même », « devient plus homme ».

Il arrive, hélas, que le travail devienne « un moyen d'oppression de l'homme ». C’est le cas quand on « exploite » le travail – sans parler de la possibilité d'en faire un moyen de punition, comme dans les « camps de travail ». Les chrétiens plaident pour qu’un « ordre social du travail » évite à l'homme « de se dégrader dans le travail en usant ses forces physiques », mais surtout « en entamant la dignité et la subjectivité qui lui sont propres » (ibid.).

Remontons aux origines de la doctrine sociale, la fameuse encyclique Rerum novarum (1891) : la dignité du travail y est déjà présentée comme un objectif premier, sous la forme surtout du « juste salaire » et de conditions du travail respectant les personnes. Léon XIII insiste beaucoup sur le droit au repos, qui doit entrer dans « tout contrat passé entre patrons et ouvriers » : « Là où cette condition n'entrerait pas, le contrat ne serait pas honnête » (§ 33). Prenons garde au sujet de notre travail du dimanche.

Le Concile Vatican II prend aussi parti sur ce sujet, avec encore plus d'autorité. On lit dans Gaudium et spes : « Le travail de l'homme, celui qui s'exerce dans la production et l'échange de biens ou dans la prestation de services économiques, passe avant les autres éléments de la vie économique, qui n'ont valeur que d'instruments » (§ 67). Voici donc réaffirmé le refus de considérer le travail comme un instrument. Dans l’entreprise, tout le reste, en revanche, est instrument, très particulièrement ce que nous appelons le capital. Il s'ensuit que « comme l'activité économique est le plus souvent le fruit du travail associé des hommes – il est rarement l'affaire de l'un d'entre nous tout seul –, il est injuste et inhumain de l'organiser et de l'ordonner au détriment de quelque travailleur que ce soit ». Et le Concile d’ajouter : « Or il est encore trop courant, même de nos jours, que ceux qui travaillent soient en quelque sorte asservis à leurs propres œuvres ; ce que de soi-disant lois économiques ne justifient en aucune façon ».

Revenant sur les conditions du travail, le texte ajoute : « Les travailleurs doivent aussi avoir la possibilité de développer leurs qualités et leur personnalité dans l'exercice même de leur travail ». Grâce aux temps de repos, « ils doivent avoir la possibilité de déployer librement des facultés et des capacités qu'ils ont peut-être peu l'occasion d'exercer dans leur travail professionnel ».

Que dire alors du chômage ? Respecter la dignité du travail, c’est veiller à ce que tous les hommes aient accès à une telle activité, puisqu’elle est un facteur décisif de leur dignité. Or le marché, hélas, n'assure pas toujours cet accès. Jean Paul II n'hésite donc pas à affirmer le droit de tout homme à contribuer activement au bien commun : « Avant même la logique des échanges à parité et des formes de la justice qui les régissent [avant le marché donc], il y a un certain dû à l'homme parce qu'il est homme, en raison de son éminente dignité. Ce dû comporte inséparablement la possibilité de survivre et celle d'apporter une contribution active au bien commun de l'humanité » (Centesimus Annus 34). De cette dernière possibilité – jouer un rôle dans la société, contribuer au bien commun – fait partie le travail. Ne l'oublions jamais.

Publié dans la Lettre des Semaines sociales n° 56, décembre 2009.