facebook
25 janvier 2013

Immigration : quels fondements pour une parole des chrétiens ?

" J'étais un étranger et vous m'avez accueilli » : une parole pour aujourd'hui

Christian Mellon, Jésuite, Ceras, ancien secrétaire de la Commission Justice et Paix France

Parmi les sujets politiques à fortes implications éthiques, celui de l’immigration mobilise fortement les chrétiens. On l’a vu au printemps 2006, à l’occasion des débats autour de la loi « immigration-intégration ». Plus de 80 organismes chrétiens (mouvements, services d’Église, communautés et congrégations religieuses) ont exprimé leur opposition à la ligne générale de cette loi, qui oppose une immigration « choisie » (à encourager) à une immigration « subie » (à limiter encore davantage). Des évêques ont exprimé de fortes réticences : le cardinal Barbarin a déclaré que la formule « immigration choisie » ne lui semblait pas chrétienne ; Mgr Pontier, alors vice-président de la Conférence épiscopale, a qualifié d’« inhumaines » les restrictions sur le regroupement familial, sur la carte de séjour, sur le droit d’asile ; dans une lettre au Premier ministre, signée des responsables des trois principales Églises de France- catholique, protestante et orthodoxe – on trouve cette question : « Peut-on uniquement proposer aux sans papiers de repartir dans leur pays d’origine, de gré ou de force ? ».

Ce sujet est un de ceux où semblent s’opposer la fidélité à l’Évangile et les choix politiques présentés comme « réalistes ». C’est aussi un de ceux sur lesquels beaucoup de catholiques pratiquants refusent, plus ou moins ouvertement, d’entendre la voix de leurs évêques. Certains ressortent la vieille objection : « ils n’ont pas à s’occuper de ces questions ». D’autres reprennent le thème de l’opposition entre l’éthique inspirée de l’Évangile (qui serait forcément « angélique ») et les nécessités politiques (qui seraient forcement « amorales », voire immorales).

Dans un autre article de ce site, je rappelle quelques données (faits, chiffres) qui montrent que les positions de « fermeture » ne peuvent s’arroger le monopole du réalisme. Dans le présent article, je voudrais seulement rappeler sur quels fondements le chrétien est invité à s’appuyer pour prendre position dans toute question concernant les étrangers. Un bref parcours à travers la Bible (Ancien et Nouveau Testament) et un rappel de quelques uns des principes de la « doctrine sociale de l’Église » précèderont une présentation des principaux documents des autorités catholiques sur le sujet depuis le Concile.

La Bible

Pourquoi partir de la Bible ? Tout simplement parce qu’ « il y a des pages de la Bible que l’on ne peut arracher », comme le disait Mgr Pontier, donnant à La Croix (2 mai 2006) les raisons pour lesquelles les évêques s’opposaient à plusieurs mesures du projet de loi (Ceseda).

L’Ancien Testament

Le rapport à l’étranger traverse toute l’histoire du peuple hébreu. Dès Abraham : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai » (Gn 11,31). « Mon père était un Araméen errant. »

Deux expériences essentielles dans l’Histoire du peuple : l’Exode (« Vous avez été émigrés au pays d’Egypte »), et l’Exil à Babylone.

Ceci se traduit dans la Loi : « Tu n’opprimeras pas l’étranger. Vous connaissez la vie de l’étranger puisque vous avez vous-mêmes résidé comme étrangers dans le pays d’Égypte (Ex 29, 3).

« L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte. »

Il ne s’agit donc pas d’abord d’un principe éthique, juridique, mais bien d’une exigence théologale. Aimer l’étranger est mis en lien avec une expérience qu’on dirait aujourd’hui spirituelle : une invitation à découvrir notre propre condition d’étrangers. Le peuple élu a été constitué par un geste de Dieu : la libération du pays d’Egypte, qui se traduit par une mise en mouvement, une migration de la terre d’esclavage à la terre promise.

Ce thème sera repris par les Pères de l’Église et de nombreux auteurs chrétiens : nous sommes en pèlerinage vers la Cité de Dieu. Le chrétien ne peut s’identifier à aucun lieu, aucune terre, aucun enracinement de type biologique (race), ethnique, national, culturel. « Le phénomène de la mobilité humaine évoque l’image même de l’Église, peuple en pèlerinage sur la terre, mais toujours orienté vers la Patrie céleste » (Jean Paul II, message 1998).

Le thème universaliste apparaît dès Isaïe : « Ma maison s’appellera maison de prière pour tous les peuples » (Is 56, 6-7). Le peuple « particulier » est appelé à s’élargir en peuple universel. Cet élargissement, annoncé dans le l’Ancien Testament, sera au cœur du Nouveau Testament.

Le Nouveau Testament

Du salut pour un peuple, on passe au salut pour tous. Jésus lui-même doit faire ce passage, qui ne va pas de soi. Il dit d’abord qu’il est envoyé « aux brebis perdues de la maison d’Israël ». Peu à peu, il découvre que sa mission est élargie aux « païens ». L’épisode de la femme syro-phénicienne est décisif (Marc 7, 24-31).

Chez Jean, le moment (Jean 12) où Jésus annonce solennellement que l’Heure est venue pour lui, c’est le fait que des Grecs s’intéressent à lui !

Jésus accueille le Centurion romain, guérit la cananéenne, parle positivement des Samaritains. Tout cela le met en opposition aux nationalistes de son propre peuple, ceux pour qui l’identité d’un peuple se définit par opposition aux autres.

La parabole du Bon samaritain opère un retournement décisif quant à la notion même de « prochain ». Alors que, spontanément, je me pense au centre pour me demander jusqu’où je veux bien étendre ma solidarité, la Parabole me dit que, au centre, il n’y a pas moi mais celui qui a besoin de moi. L’homme blessé n’est pas celui dont je dois décider si je vais le considérer ou non comme « mon prochain » : il est celui dont je suis invité à me rendre proche. Je suis invité à devenir son prochain… « Le prochain, dans l’Évangile, n’est pas celui que l’on choisit, mais celui qui nous arrive et dont nous devenons proches », écrit Mgr Claude Rault, évêque de Laghouat. Et Jean Paul II écrit : « L’Église se sent le devoir d’être proche, comme le bon Samaritain, du clandestin, du réfugié, icône contemporaine du voyageur dépouillé , roué de coups et abandonné sur la bord de la route de Jéricho » (message pour la journée mondiale des Migrants de 1997).

Autre passage très connu, celui où Jésus s’identifie au pauvre, au malade, au prisonnier, à l’étranger : « J'étais un étranger et vous m'avez accueilli » (Mt 25, 35). Voici le commentaire qu’en a fait Mgr Daucourt, dans son homélie aux Semaines sociales 2006 : « Jésus ne dit pas : j’étais un malade catholique et vous êtes venus me voir. J’étais un prisonnier innocent et vous m’avez visité. J’étais en étranger avec des papiers en règle et vous m’avez accueilli ».

Les premiers chapitres des Actes des Apôtres retracent les débats autour de l’accueil ou non des païens (des étrangers) dans la communauté chrétienne : les accueillir, oui, mais en leur demandant d’être comme nous ? Ou bien en acceptant qu’ils aient des pratiques alimentaires différentes, qu’ils ne soient pas circoncis ? Le premier Concile tranche en faveur de cette deuxième position : non seulement les non-juifs sont chez eux dans l’Église, mais ils n’ont pas à se soumettre aux rites marquant l’identité nationale et religieuse du peuple juif.

A la Pentecôte, la Bonne nouvelle est proposée à tous (les peuples du monde alors connu sont énumérés), mais elle est entendue par « chacun dans sa langue » : universalité ne signifie pas uniformité.

Paul écrit aux Galates (3, 28) que, en Christ, « il n’y a plus ni juif, ni païen, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus ». Plus développé en Col 3, 11 : « il n’y a plus de Grec et de Juif, d’israélite et de païen, il n’y a pas de barbare, de sauvage, d’esclave, d’homme libre, il n’y a que le Christ : en tous il est tout ». Thème repris par Jean Paul II qui écrira : « Dans l’Église, nul n’est étranger ».

Voilà pourquoi Jean Paul II peut souligner que « pour le chrétien, l’accueil et la solidarité envers l’étranger ne constituent pas seulement un devoir humain d’hospitalité, mais une exigence précise qui découle de la fidélité même à l’enseignement du Christ » (Message 1998). Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’éthique, mais de foi.

La doctrine sociale de l’Église

La dignité de tout être humain

Elle ne dépend pas de sa nationalité, de sa race, de son sexe, de son âge, etc. Elle doit être respectée inconditionnellement. D’où les protestations de nombreux textes d’Église contre les humiliations, les discriminations, le racisme… D’où aussi le refus, par les évêques français, du vocabulaire « choisi/subi » : il porte atteinte à la dignité des personnes présentées comme « subies ». L’Église est pour une immigration ni subie, ni choisie, mais accueillie.

Déjà le Concile Vatican II disait : « A l’égard des travailleurs en provenance d’autres pays ou d’autres régions qui apportent leur concours à la croissance économique d’un peuple ou d’une province, on se gardera soigneusement de toute espèce de discrimination en matière de rémunération ou de condition de travail. De plus, tous les membres de la société, en particulier les pouvoirs publics, doivent les traiter comme des personnes et non comme de simples instruments de production, et faciliter la présence auprès d’eux de leur famille » (Gaudium et Spes, 66).

Conséquence importante : le chrétien est invité à ne pas aborder le migrant comme une menace. C’est un frère. Toute rencontre est une chance, une « grâce ». Cessons de ne parler de l’immigration qu’en termes de « problèmes » !

La destination universelle des biens

Rappelons l’énoncé de ce principe par Vatican II : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, de sorte que les biens de la Création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité » (Gaudium et Spes, 69).

Saint Ambroise (340-397) disait déjà aux riches : « Lorsque vous faites l’aumône aux pauvres, vous ne vous dépouillez pas de vos biens mais leur rendez ce qui leur appartient de droit. Car vous vous êtes approprié pour votre seul usage ce qui a été donné pour l’usage de tous. La Terre n’appartient pas aux riches, mais à tout le monde. C’est pourquoi, loin de vous montrer généreux, vous ne faites que rembourser une partie de votre dette. »

Ce principe s’applique à la question des migrations : « Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine » (Catéchisme universel 2241).

Le président de la conférence épiscopale du Mexique déclare : « Le don de la terre à l’homme, la destinée universelle des biens par désir du Créateur et la solidarité humaine sont antérieures aux droits des Etats ». Donc « les Etats et leurs lois légitimes de protection des frontières seront toujours un droit postérieur et secondaire par rapport au droit des personnes et des familles à la subsistance » (15 novembre 2002).

Le bien commun universel

L’Enseignement social de l’Église met la notion de « bien commun » au centre. Mais un chrétien doit viser le « bien commun universel », ce qui peut parfois le mettre en rupture avec le bien commun de sa communauté nationale. Le chrétien ne peut s’identifier à une Église « nationale », dont le seul souci serait de poursuivre le bien commun de son pays. Parce qu’elle est catholique, l’Église invite à soumettre les choix collectifs à la visée du « bien commun universel ».

L’intérêt national est un objectif qu’il est légitime de prendre en compte, mais il ne peut pas être, pour un chrétien, le critère ultime de ses choix politiques. Il en va de l’universalité (« catholicité ») de l’Église.

Conséquence : l’Église ne conteste pas aux États le droit de gérer les entrées sur leur territoire. Ce qu’elle conteste, c’est que les critères d’admission soient fixés en considération du seul « intérêt national », non du bien universel.

La position « nationaliste » consiste à ne considérer que ce qui est le meilleur pour notre pays : si on a trop de travailleurs, on ferme les portes ; mais si on commence à avoir besoin de certains types de compétence, on les rouvre pour une « immigration choisie », sans se soucier des effets sur les pays d’origine…

Noter, tout à fait à la fin de la vie de Jean Paul II, l’émergence d’un thème assez nouveau, celui de « citoyenneté mondiale ». C’est dans son Message pour la Journée de la Paix (1er janvier 2005) : « L'appartenance à la famille humaine confère à toute personne une sorte de citoyenneté mondiale, lui donnant des droits et des devoirs, les hommes étant unis par une communauté d'origine et de destinée suprême … La condamnation du racisme, la protection des minorités, l'assistance aux réfugiés, la mobilisation de la solidarité internationale envers les plus nécessiteux, ne sont que des applications cohérentes du principe de la citoyenneté mondiale ».

Le choix prioritaire des pauvres

Les critères d’admission, la manière d’accueillir doivent prendre au sérieux le fait que les pauvres ont en quelque sorte davantage de droits que les autres. Précisément parce qu’ils ne sont pas protégés par des biens, des réseaux, des lobbies, des assurances… Le chrétien, face à toute politique publique, doit donc être attentif à ses conséquences sur les personnes les plus fragiles et les plus menacées.

Face à la « misère du monde », la bonne question n’est pas : « Qui pouvons nous raisonnablement accueillir ? », mais « Est-ce que nous prenons « notre part » dans l’accueil de cette misère, compte tenu de nos possibilités, de nos responsabilités, de nos valeurs ? » On fait ici allusion à la célèbre phrase de Michel Rocard : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part ». N’allons pas oublier la deuxième moitié de la phrase, sous prétexte que la première est vraie !

Interventions récentes sur les questions touchant migrations et asile

Depuis 1914, les papes s’expriment régulièrement sur les migrations. Au début, le grand sujet de préoccupation, c’était le souci pastoral envers les catholiques quittant leur pays. Ce souci persiste, bien sur, très légitimement ; mais, depuis le Concile, ces textes traitent aussi, très largement, des questions de migration en général.

Les textes de référence sont, pour le Vatican, le document de 2004 ; La charité du Christ envers les migrants, et les Messages que le pape envoie chaque année pour la journée de janvier (à consulter sur le site internet du Vatican).

Les épiscopats nationaux parlent selon les circonstances. Bon recueil de textes divers, émanant de pays très divers (Mexique, Colombie, Belgique, États-Unis, Allemagne, UK, Italie, Canada, Guatemala, Maroc, Portugal, Espagne, France) dans Les Églises, les migrants et les réfugiés, 35 textes pour comprendre, coordonné par B. Fontaine, éd. de l’Atelier, 2006.

Les points de consensus

L’immigration : un droit

« Il est urgent que, à l’égard des migrants, on sache dépasser une attitude étroitement nationaliste pour instaurer un statut qui reconnaisse un droit à l’émigration, qui favorise leur intégration… C’est le devoir de tous – et spécialement des chrétiens – de travailler avec énergie à instaurer la fraternité universelle… » (Paul VI, Octogesima Adveniens 17, 1971).

L’Église souligne à plusieurs reprises l’incohérence du droit international, qui reconnait un droit à l’émigration, sans rien dire de son corollaire logique, le droit à l’immigration : « L’Église s’interroge sur la valeur du droit à l’émigration en l’absence d’un droit correspondant à l’immigration » (Jean Paul II, 1996).

Traiter les causes

Sur ce point, les textes d’Église ne disent pas des choses très originales par rapport à tout ce qu’on dit sur les causes des migrations. Évoquons simplement deux insistances :

la mondialisation : « Nous nous sommes habitués à la libre circulation de l’argent, des marchandises, des informations, mais nous sommes plus réticents face à la liberté de circulation des personnes. Peut-on à la fois pratiquer la liberté du commerce, tout en barrant la route aux immigrés ou en les renvoyant chez eux ? » (Qu’as-tu fait de ton frère ?, Message du Conseil permanent, 18 octobre 2006).

le mal développement : « … Vivre dans sa propre patrie est un droit primaire de l’homme. Mais ce droit ne devient effectif que si l’on tient constamment sous contrôle les facteurs qui poussent à l’émigration. Ces facteurs sont, entre autres, les conflits internes, les guerres, le système de gouvernement, la distribution inique des ressources économiques, la politique agricole incohérente, l’industrialisation irrationnelle, la corruption envahissante » (Jean Paul II, 9 octobre 1998, discours au Congrès mondial sur la pastorale des migrants et réfugiés).

Droit des États à réguler

L’Église ne conteste pas la responsabilité propre des pouvoirs publics dans la régulation des flux migratoires, pourvu qu’elle s’exerce en conformité avec le droit européen et international : « Les autorités politiques peuvent, en vue du bien commun dont elles ont la charge, subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption » (Catéchisme 2241).

Vision positive de l’intégration

L’intégration, thème récurrent. Citons seulement ce texte, représentatif de bien d’autres :
« Dans nos sociétés touchées par le phénomène global de la migration, il est nécessaire de chercher un juste équilibre entre le respect de sa propre identité et la reconnaissance de celle d’autrui. Il est en effet nécessaire de reconnaître la légitime pluralité des cultures présentes dans un pays, sauvegardant la protection de l’ordre dont dépend la paix sociale et la liberté des citoyens.

On doit en effet exclure aussi bien les modèles fondés sur l’assimilation, qui tendent à faire de celui qui est différent une copie de soi-même, que les modèles de marginalisation des immigrés, comportant des attitudes qui peuvent aller jusqu’aux choix de l’apartheid. La voie à parcourir est celle de l’intégration authentique dans une perspective ouverte, qui refuse de considérer uniquement les différences entre les immigrés et les populations locales » (Jean Paul II, message de 2005).

On trouve la même idée chez Mgr Vingt-Trois1.

Le devoir d’éduquer les fidèles

« Le problème est de savoir comment associer à cette œuvre de solidarité les communautés chrétiennes souvent gagnées par une opinion publique parfois hostile envers les immigrés » (Jean Paul II, 1996).

« Lorsque la compréhension du problème est conditionnée par les préjugés et des attitudes xénophobes, l’Église ne doit pas manquer de faire entendre la voix de la fraternité, en l’accompagnant de gestes qui attestent du primat de la charité » (Jean Paul II, 1996).

Les points chauds

Les sans papiers

 « La situation d'irrégularité légale n'autorise pas à négliger la dignité du migrant, qui possède des droits inaliénables, qui ne peuvent être ni violés ni ignorés » …

« Dans l'Église, nul n'est étranger et l'Église n'est étrangère à aucun homme ni à aucun lieu. En tant que sacrement d'unité, et donc signe et force de regroupement de tout le genre humain, l'Église est le lieu où les immigrés en situation illégale eux aussi sont reconnus et accueillis comme des frères. Les différents diocèses ont le devoir de se mobiliser pour que ces personnes, contraintes à vivre en dehors de la protection de la société civile, trouvent un sentiment de fraternité dans la communauté chrétienne. La solidarité est une prise de responsabilité à l'égard de ceux qui sont en difficulté. Pour le chrétien, le migrant n'est pas simplement un individu à respecter selon des normes fixées par la loi, mais une personne dont la présence l'interpelle et dont les besoins deviennent un engagement dont il est responsable. « Qu'as-tu fait de ton frère ? » (cf. Jn 4, 9). La réponse ne doit pas être donnée dans les limites imposées par la loi, mais dans l'optique de la solidarité. » (Message du Pape Jean Paul II pour la Journée mondiale des migrants, 1996).

Pour le jubilé (en 2000), le pape propose une régularisation :

« … Que se produise un geste de réconciliation, dimension propre au jubilé, sous la forme d’une régularisation d’une large partie de ces immigrés qui, plus que les autres, souffrent du drame de la précarité et de l’incertitude, c’est-à-dire des immigrés en situation irrégulière. » (Jean Paul II, 9 octobre 1998, discours au Congrès mondial sur la pastorale des migrants et réfugiés)

États-Unis : « Notre pays, tout en bénéficiant économiquement de la présence des travailleurs illégaux, ferme les yeux quand ces travailleurs sont exploités par les employeurs… En même temps, nous en faisons les boucs émissaires de nos problèmes sociaux et nous les identifions comme des menaces à notre sécurité et des criminels pour justifier l’adoption de lois anti-immigration » (Cardinal Mahony, Los Angeles, dans le grand débat de 2007).

Royaume-Uni : voir le recueil de B. Fontaine p 312.

France : la lettre du Cecef3 au Premier ministre, lors du débat sur le Ceseda4 en 20065.

Le droit de vivre en famille

Là aussi, thème récurrent. Citons quelques interventions :

« Il faut éviter d’avoir recours à l’utilisation des règlements administratifs visant à réduire les critères d’appartenance à la famille, et ayant pour conséquence de mettre hors la loi, de façon injustifiée, des personnes auxquelles aucune loi ne peut nier le droit à la coexistence familiale » (Jean Paul II, 1996).

Lettre du Cecef au Premier ministre de Villepin :

« …Nous attachons une attention toute particulière au respect du droit à la vie privée et familiale. Guidées principalement par le souci d’éviter les fraudes, les mesures contenues dans le projet de loi auraient pour conséquences, si elles sont adoptées, de fragiliser ou de retarder le regroupement de familles étrangères ou de couples mixtes, et de laisser des familles entières dans une longue incertitude quant à leur possibilité de s’établir durablement en France6. »

Communiqué de Mgr de Berranger et Mgr Shokert (automne 2007) :

« Nous nous inquiétons cependant des conditions toujours plus restrictives mises au regroupement familial qui est un droit toujours à respecter... »

Le droit d’asile

« Le nombre de personnes qui ne cadrent pas avec les dispositions des conventions internationales pour la protection des réfugiés ne cesse d’augmenter. Il est on ne peut plus urgent de tenir compte du changement des causes de fuite… La protection des réfugiés, normalisée selon le droit international, nécessite un élargissement,… à côté de la persécution politique, dont traite le droit d’asile, il existe de très nombreuses causes de départ, qui doivent elles aussi être prises au sérieux. » (Conférence épiscopale d’Allemagne, mars 1995, Documentation catholique, 7 mai 95, p 453)

Au niveau de l’Union européenne, six organisations – Caritas Europe, la Commission des Églises auprès des Migrants en Europe (Ccme), le secrétariat de la Commission des Épiscopats de la Communauté européenne (Comece), la Commission internationale catholique pour les Migrations, le Service jésuite des Réfugiés Europe (Jrs) et le Quaker Council for European Affairs – présentent 12 recommandations en octobre 2004. La politique de migration et d’asile de l’Union devrait fournir un cadre pour les schémas de régularisation pour les migrants irréguliers, la reconnaissance de la réunification familiale comme un droit fondamental, une approche commune de la politique d’intégration et une politique de retour et de réadmission commune. Des normes élevées dans la politique d’asile européenne devraient être assurées. Dans la tentative d’accélération de la procédure d’asile, certaines procédures violent les règles de droit, en particulier le concept de « pays tiers sûr ». Les réfugiés devraient se voir garantir un statut protégé pendant leur procédure de demande d’asile et avoir accès au marché du travail.

« Certes, nous ne pouvons pas recevoir tout le monde, mais il nous est aussi impossible de renvoyer tous les clandestins. Notre pays doit pouvoir continuer à recevoir les réfugiés politiques et ceux qui risquent des persécutions, y compris religieuses, dans leur pays » (Qu’as-tu fait de ton frère ? Message du Conseil permanent, 18 octobre 2006).

L’immigration choisie

« L’Église se sent le devoir d’être proche, comme le bon samaritain, du clandestin et du réfugié, icône contemporaine du voyageur dépouillé, roué de coups et abandonné sur le bord de la route. (1) » Cette parole de Jean Paul II n’a rien perdu de son actualité. Elle justifie à elle seule, par sa référence à l’Évangile, que les chrétiens refusent par principe de choisir entre bons et mauvais migrants, entre clandestins et réguliers, entre citoyens pourvus de papiers et d’autres sans papier. Quels qu’ils soient, ils sont nos frères et sœurs en humanité. »
Communiqué de Mgr de Berranger et Mgr Shokert (automne 2007)

 Les points d’interrogation

Obéir à la loi : oui, mais ce n’est pas un absolu

« Il est important d’aider le migrant en situation irrégulière à effectuer les démarches administratives pour obtenir le permis de séjour. Les institutions à caractère social et caritatif peuvent prendre contact avec les autorités pour chercher, dans le respect de la légalité, les solutions adaptées aux différents cas » (Jean Paul II, message 1996).

Mais quand il y a conflit, le Catéchisme de l’Église catholique précise (n° 2242) : « Le citoyen est obligé en conscience de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences de l’ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l’Évangile. Le refus d’obéissance aux autorités civiles, lorsque leurs exigences sont contraires à celles de la conscience droite, trouve sa justification dans la distinction entre le service de Dieu et le service de la communauté politique. « Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu » (Mt 22, 21). « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29) :

États-Unis (2007) : « Le cardinal Roger Mahony de Los Angeles a déjà promis qu'il appellerait ses prêtres à la désobéissance civile si la loi était adoptée. Cela « reviendrait littéralement à criminaliser les activités du bon samaritain, et probablement même celles de Jésus », s'est indignée la sénatrice Hillary Clinton qui, la semaine dernière, a eu l'idée de faire intervenir le Christ dans un débat déjà houleux.7 »

Occupations d’églises ou de bâtiments paroissiaux

« Dans une société laïque et sécularisée, les églises ont-elles à devenir les seuls sanctuaires où se réfugient ceux qui veulent clamer leur détresse ? » (Cecef, juillet 1996).

« Lorsque les portes de l’administration se referment, les églises leur apparaissent l’ultime recours. Certes, ils pourraient choisir d’autres lieux d’accueil. Mais ils savent que rien de ce qui touche la dignité de l’homme n’est étranger à l’Église » (Comité épiscopal des migrations, 7 avril 1998, « J’ai vu la misère de mon peuple »).

« … Nous jugeons qu’il n’est pas opportun… que les lieux catholiques – églises, chapelles, lieux de culte, locaux réservés aux activités spécifiques d’évangélisation et de pastorale – soient mis à la disposition de croyants de religions non chrétiennes, et moins encore qu’ils soient utilisés pour faire valoir des revendications vis-à-vis de l’autorités publique » (La charité du Christ envers les migrants, 2004, n° 61).

Evêques de Belgique : « Les évêques comprennent que certains sans-papiers recourent à des « occupations d’églises » pour porter leur détresse à l’attention du grand public. Ils acceptent que cela se fasse, si les responsables locaux ont donné leur accord8. »

Conclusion

Le chrétien n’est pas naïf. Il n’a pas à nier que les migrations sont liées à des problèmes. Mais il trouve dans ses fondements de fortes raisons de considérer la présence d’étrangers non comme un fardeau, mais comme une chance. Il est invité à passer de l’exil à l’exode, de l’invasion au métissage, de la déploration du mal à la recherche des « signes des temps », du dérangement à l’altérité, de la peur à la promesse. « L'étranger, l'autre, est d'importance vitale pour tous. (…) Aujourd'hui surtout nous croyons mieux assurer notre identité en nous repliant sur l'espace national ou religieux...Mais à cause de cela, la violence se diffuse. (....) Le mot clé de ma foi est le dialogue. Non pas par tactique ou par opportunisme, mais parce que le dialogue est constitutif de la relation de Dieu avec les hommes et des hommes entre eux".
(Pierre Claverie, dominicain, évêque d'Oran, assassiné en août 1996)

Annexes

Pour aller plus loin :

Extrait du texte « Qu’as-tu fait de ton frère ? », publié par les évêques de France, dans la perspective des élections de 2007.

« Le sujet est difficile et nous savons l’extrême sensibilité de nos concitoyens en ce domaine. Comment pourrions-nous nier les problèmes ? Comment pourrions-nous nier qu’un pays comme le nôtre a des limites à sa capacité d’accueil ? Cependant, il convient de prendre notre juste part à cet accueil. Et juste, ici, veut dire de façon généreuse. Evêques, nous voyons nos communautés accueillir nombre de ceux qu’on appelle des étrangers ou des migrants. Leur présence nous amène à formuler quelques convictions :

- Nous estimons normal que notre pays définisse une politique de l’immigration. Cela fait partie de la responsabilité gouvernementale et tout gouvernement doit faire face à cette question.

- Dans l’Église, cependant, il n’y a pas d’étranger : le baptême fait accéder, où que l’on soit, à la « citoyenneté » chrétienne et l’Évangile nous appelle à une fraternité universelle. Dans bien des communautés, les étrangers ont le souci de partager avec d’autres, nous en sommes témoins !

- La rencontre avec ces frères et sœurs venus d’ailleurs nous amène à poser fortement, dans le débat public, la question de l’extraordinaire inégalité qui règne dans le monde. Sommes-nous attentifs aux choix politiques qui favorisent un développement solidaire ? Sommes-nous prêts à modifier notre mode de vie, afin de permettre un réel développement des pays les plus pauvres, en particulier en Afrique ? Sommes-nous prêts à partager concrètement pour aider les pays les moins développés ? N’est-il pas important de lancer cet appel aux Français ?

- Parmi les migrants, beaucoup, pour s’établir en France, ont franchi des difficultés considérables et certains ont risqué leur vie. Pourquoi ne pas porter à leur crédit cette volonté de rejoindre notre pays et ne pas se fonder sur elle pour leur trouver une place dans la société nationale ? Certes, nous ne pouvons pas recevoir tout le monde, mais il nous est aussi impossible de renvoyer tous les clandestins. Notre pays doit pouvoir continuer à recevoir les réfugiés politiques et ceux qui risquent des persécutions, y compris religieuses, dans leur pays.

- Enfin, réguler l’immigration veut dire pourchasser les mafias et autres circuits d’immigration clandestine, employeurs véreux, marchands de sommeil, etc. »

Discours de Mgr Vingt-Trois, début avril 2008

Jusqu’où sommes-nous prêts à aller dans le partage de la prospérité ? Déjà, dans nos pays très développés de l’Ouest européen, la question de l’accueil des migrants est récurrente. Voulons-nous une Europe ouverte ou une Europe close devant les risques de perdre notre sécurité économique, dont la fragilité financière provoque les soubresauts que l’on sait ? L’histoire a montré qu’il n’est pas de clôture qui résiste aux besoins élémentaires qui s’expriment au dehors. La seule voie qui nous paraît raisonnable est évidemment celle du développement qui donne de quoi vivre dans les pays de forte immigration. Mais cette politique coûte très cher en argent et en vigilance sur l’utilisation des aides. Quel pourcentage de notre richesse nationale sommes-nous prêts à y investir, non seulement en « promesses de dons » mais en financement réel ?

La France, pays de migrations anciennes, qui s’enorgueillit d’être le « pays des droits de l’homme » va-t-elle aider l’Europe à progresser dans une politique d’ouverture devant les migrations ? Va-t-elle elle-même progresser dans la mise en oeuvre d’une politique d’aide au développement ? Va-t-elle progresser dans les procédures de traitement des demandes d’asile, dans leur durée comme dans les critères mis en oeuvre et la manière de traiter les demandeurs ? Une politique raisonnée de l’immigration est indissociable des moyens à dégager pour que les fonctionnaires chargés de son exécution ne soient pas submergés et ne se trouvent pas dépassés par les situations qu’ils ont à traiter. Enfin, par delà la réglementation nécessaire, la manière de traiter des personnes en détresse suppose un engagement déterminé dans l’application des lois et des jugements. Une personne qui ne réunit pas les conditions d’accueil sur notre territoire ne cesse pas pour autant d’être une personne humaine, un homme, une femme, un enfant, que l’on doit respecter et traiter avec dignité. Une personne ne peut pas être détenue dans des conditions inhumaines.

L’Église se félicite que de nombreux catholiques soient engagés sur ce front de la solidarité. Elle encourage les fonctionnaires et membres des forces de l’ordre qui exécutent leur mission en respectant les personnes concernées. Elle appelle les communautés locales à réfléchir et à agir pour venir en aide à ceux qui ont mis leur espoir, leur ultime espoir, dans le risque de l’immigration. Elle soutient les femmes et les hommes politiques dans leur implication pour cette cause, même si elle n’est pas très rentable électoralement.

1  Bernard Fontaine (coord.), Les Églises, les migrants et les réfugiés. 35 textes pour comprendre, éd. de l’Atelier, 2006, p 37-38.

2  Bernard Fontaine, op. cit. p 31.

3  Cecef : Le Conseil des Églises chrétiennes en France.

4  Ceseda : Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

5  Bernard Fontaine, op. cit. p 89.

6  Cité dans Bernard Fontaine, op. cit. p 90.

7  Voir aussi à ce sujet Bernard Fontaine, op. cit. p 64.

8  Bernard Fontaine, op. cit. p 30.