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23 janvier 2016

La « méthode du dialogue » de François, stimulante mais incomplète

David Hollenbach, Jésuite

Lors de son voyage aux États-Unis, le pape François a invité l'Église à avoir une attitude positive de dialogue face à la société.

La visite du pape François aux États-Unis fut un événement étonnant pour la vie publique américaine comme pour l'Église. Son allocution devant l'assemblée commune des deux chambres du Congrès eut été impensable il y a quelques décennies. En 1960, nombreux furent les hommes politiques et les responsables religieux à s’opposer à l'élection de John F. Kennedy : à leurs yeux la présence à la Maison-Blanche d'un catholique « qui écoutait le pape » menaçait l'intégrité de la politique américaine. Or la semaine dernière quasiment tous les membres du Congrès et de nombreux membres du gouvernement, juges à la Cour suprême et responsables de l'armée américaine ont non seulement écouté le pape mais applaudi ses appels à réduire les impacts humains sur le climat, à éradiquer la pauvreté et traiter les migrants conformément à la Règle d'or évangélique, en leur accordant les conditions dont avaient bénéficié la plupart des citoyens américains issus de familles immigrées lors de leur arrivée dans le pays. Bien que François n'ait jamais abordé directement des sujets politiques précis, la quasi-totalité de ses homélies et de ses discours furent des appels à façonner la vie publique américaine à la lumière de l'Évangile et la visite du pape a ravivé l'espoir d'une possible et réelle amélioration du discours politique américain.

François a aussi laissé une forte empreinte dans la vie de l'Église. Les médias ont couvert presque sans interruption toutes ses visites et interventions en expliquant comment il contribuait à ouvrir une nouvelle espérance pour une Église divisée. Il a permis à beaucoup d'entendre l'Évangile d’une façon renouvelée, comme un vrai message de joie. Le lendemain de son retour à Rome, un étudiant de premier cycle à l'université de Georgetown déclarait qu'« avec le pape, c'est génial d'être catholique! » De tels propos n’étaient guère imaginables dans un milieu universitaire établi avant la visite du pape.

Beaucoup se demandent quel fut le secret de François pour produire un tel impact. Son « ton » positif, emprunt d'humilité, et son sourire joyeux ont-ils fait toute la différence ? Certes, le sourire a joué un grand rôle mais on ne peut négliger les importants aspects substantiels de ses initiatives.

Pour une Église non défensive

Lors de l’allocution prononcée devant les évêques américains rassemblés à Washington, il leur adresse une déclaration-programme, essentielle pour l'exercice de leur ministère en disant : « Le dialogue est notre méthode…, le dialogue entre vous, le dialogue dans vos presbytères, le dialogue avec les laïcs, le dialogue avec les familles, le dialogue avec la société. Je ne me lasserai jamais de vous encourager à dialoguer avec intrépidité. » S’engager dans une telle voie va bien au-delà d’une simple question de ton. C’est appeler l'Église à se situer positivement vis-à-vis de la culture et de la société qui l'environne, au lieu de s'arc-bouter sur une attitude d’auto-défense face à un monde perçu comme hostile et menaçant. Il s'agit d'un engagement théologique quant à la manière d'être effectivement Église.

Dans son discours sur la liberté religieuse, prononcé à l’Independance Hall de Philadelphie, le pape a donné, à nouveau, une place centrale au dialogue. Il y affirme que la liberté religieuse permet de réaliser « l'idéal du dialogue interreligieux ». Elle fournit le cadre d'un respect mutuel entre les différentes communautés, qui les aide à « unir leurs voix en faveur de la paix, de la tolérance et du respect de la dignité et des droits des autres ». La défense de la liberté religieuse n'est donc pas, pour le pape, un simple élément stratégique, destiné à protéger l'Église des forces prétendument corrosives de la société ambiante. Au contraire, en favorisant le dialogue entre des fois différentes, elle encourage communautés croyantes à conjuguer leurs efforts en faveur de la concorde, de la justice et de la sauvegarde de la terre, notre maison commune. Cette « méthode du dialogue » a donné toute sa mesure lors de la prière pour la paix partagée par le pape avec les représentants des religions du monde à Ground Zero, devant le mémorial de l'attaque terroriste du 9 septembre à New York.

L'engagement de François pour cette méthode du dialogue est au cœur du message qu'il a apporté aux États-Unis, un pays profondément divisé au plan politique et marqué plus vivement encore que par le passé par le pluralisme religieux. Son appel fut donc un défi, afin de dépasser les suspicions et les antipathies qui divisent si fortement le pays aujourd'hui. En témoignant que ce dialogue est vraiment possible, François a suscité beaucoup d'espoir. Les adversaires politiques peuvent se parler de façon constructive et ceux qui partagent des croyances différentes unir leurs efforts en faveur de la paix.

Écouter l’expérience des femmes

Pourtant, cette méthode du dialogue prônée par François a-t-elle été totalement mise en œuvre à l'intérieur même de son propre ministère ? Peu après, en effet, que l'étudiant de Georgetown n’ait déclaré que François rendait génial le fait d'être catholique, une jeune femme avouait combien elle avait été déçue par ses propos quant au rôle des femmes lors de la conférence de presse organisée lors du vol de retour à Rome. Elle évoquait ainsi la réaffirmation de l'impossibilité d'ouvrir la prêtrise aux femmes et, demandant une meilleure compréhension des images masculines et féminines en rapport à l'Église. Elle faisait allusion à des discussions avec sa mère sur un possible passage à l'Église épiscopalienne, afin d'y rejoindre toutes deux une communauté respectant mieux leur pleine dignité de femmes. Une journaliste de renom et catholique engagée, qui participait à une table ronde après la visite du pape, a reconnu le sérieux de la question. Elle a vivement encouragé cette jeune femme à continuer de la poser et de demander une réponse, tout en laissant entendre combien une absence de changement quant au rôle des femmes dans l'Église risque bien de saper à terme tous les autres apports réalisés par François.

A partir même de son plaidoyer pour la méthode du dialogue, le pape François devrait le mettre en œuvre ici aussi, afin d’entendre comment elles-mêmesconçoivent leur propre rôle dans l'Église et la société. Les images et les normes sur lesquelles il se fonde ne sont-elles pas devenues inappropriées ? Les femmes catholiques sont prêtes à suggérer des alternatives. Discuter avec elles en tant que femmes est essentiel si le pape François veut consolider son engagement en faveur du dialogue. Peut-être pourra-t-il juger utile de considérer à nouveau un texte qu’il connaît, le décret 34 de la Congrégation générale des jésuites de 1995 sur les femmes dans l'Église et la société civile, qui invite tous les jésuites à « écouter attentivement et courageusement l'expérience des femmes »…

A la fois stimulante et inspirante, la méthode du dialogue de François demeure ici incomplète.

David Hollenbach