C’est une enquête bien intéressante que nous propose ce livre : qu’est devenu le projet d’encyclique contre le racisme, l’antisémitisme et le nationalisme que le pape Pie XI a demandé au jésuite John Lafarge en juin 1938, encyclique qui n’a jamais été publiée alors qu’une condamnation de ces idéologies aurait été si importante ?
Les auteurs ont réussi à retrouver deux versions, l'une anglaise et l'autre française, de ce texte pour la rédaction duquel John Lafarge a travaillé avec les jésuites Gustav Gundlach, allemand et Gustave Desbuquois, français. On est déçu en les lisant : si la première partie qui traite de l’unité du genre humain est claire et forte (on y retrouve la marque de John Lafarge), le texte reprend, par la suite, les vieilles accusations d’un antisémitisme politique et économique que Gustav Gundlach avait déjà défendues dans d’autres occasions, même s’il condamne l’antisémitisme quand il atteint les personnes physiques. Il énonce aussi que l’Église ne se mêlant pas de politique, elle ne s’occupe pas du sort réel réservé par les divers états aux Juifs de leurs pays.
La rédaction de ce projet était achevée en septembre 1938. Le pape l’a-t-il jugé trop insuffisant pour le publier ou bien le Général des Jésuites qui était chargé de le lui remettre a-t-il retenu le dossier sachant que la santé du pape se détériorait (il meurt en février 1939) ? Et pourquoi Pie XII l’a-t-il laissé dans un tiroir ? Questions pour le moment sans réponses. Est-il dommage que ce texte n’aie pas abouti à la publication d’une encyclique ? Oui, répondent les auteurs car « néanmoins, il affirmait l’incompatibilité entre le christianisme et le racisme ainsi que l’antisémitisme et dénonçait les atteintes particulières aux droits naturels des juifs » (p 191).
Ce livre très narratif nous éclaire sur un certain nombre des freins psychologiques, intellectuels et spirituels qui ont empêché une condamnation sans faille de l’antisémitisme dans cette période tragique. Une occasion manquée qui fait longuement réfléchir. De nombreuses et longues citations permettent au lecteur un accès direct aux sources.
Françoise Durand