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16 mars 2018

Le travail que nous voulons, libre, créatif, participatif et solidaire

Message du pape François aux participants de la 48ème semaine sociale des catholiques italiens

Pape François

Le 26 octobre dernier, le pape François s'est exprimé lors de la Semaine sociale des catholiques italiens sur le travail (Cagliari, 26-29 octobre 2017). Dans la ligne de Evangelii Gaudium et Laudato Si', il redit l'importance du travail pour tout homme, mais aussi ce que doit être le travail pour être digne.

Chers frères et sœurs,

Je vous salue cordialement, vous tous qui participez à la 48e semaine sociale des catholiques italiens, convoquée à Cagliari. Je salue fraternellement le cardinal Gualtiero Bassetti, président de la Conférence Épiscopale Italienne, les évêques présents, l'archevêque Filippo Santoro, les membres du Comité Scientifique et Organisateur, les délégués des diocèses italiens, les représentants des mouvements et associations concernés par le travail, et tous les invités.

Vous êtes réunis sous la protection du bienheureux Giuseppe Toniolo qui a été à l'origine, en 1907, des Semaines Sociales en Italie. Il a vécu son témoignage de laïc dans toutes les dimensions de sa vie spirituelle, familiale, professionnelle, sociale et politique. Pour vous inspirer dans vos travaux, je vous propose un de ses enseignements. « Nous autres croyants, écrivait-il, nous sentons, au fond de notre âme [...] que celui qui sauvera définitivement la société actuelle ne sera pas un diplomate, un érudit, un héros, mais un saint, ou plutôt une société de saints [1]. » Faites vôtre cette « mémoire de la fondation » : nous nous sanctifions en travaillant pour les autres, prolongeant ainsi l'acte créateur de Dieu dans l'histoire. Dans les Écritures, nous rencontrons beaucoup de personnages définis par leur travail : le semeur, le moissonneur, les vignerons, les administrateurs, les pêcheurs, les bergers, les charpentiers, comme saint Joseph. De la parole de Dieu émerge un monde dans lequel on travaille. Le Verbe même de Dieu, Jésus, ne s'est pas incarné en empereur ou en roi « mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave » (Phi. 2.7) afin de partager notre histoire humaine, y compris les sacrifices que le travail impose, au point d’être connu comme charpentier ou fils de charpentier (Cf. Mc 6.3 ; Mt 13.55). Mais il y a plus. Le Seigneur appelle pendant le travail, comme ce fut le cas pour les pêcheurs qu'il a invités à devenir pêcheurs d'hommes (Mc 1.16-18 ; Mt 4.18-20). De même les talents reçus, nous pouvons les lire comme des dons ou des capacités destinés au monde du travail afin d’y construire des communautés, des communautés solidaires et afin d’aider qui n’en peut plus. Le thème de cette Semaine Sociale est « Le travail que nous voulons : libre, créatif, participatif et solidaire ». C'est ainsi que j'ai voulu définir le travail de l'homme dans l'Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium (EG192). Merci de l'avoir choisi comme thème de travail. « Sans travail, il n'y a pas de dignité », je le répète souvent (justement, je me souviens, à Cagliari, en 2013 et en mai dernier, à Gennes). Mais tout travail n'est pas un « travail digne ». Il y a des travaux qui humilient la dignité des personnes : ceux qui alimentent les guerres par la fabrication d'armes, ceux qui rabaissent la valeur du corps par le trafic de la prostitution et l'exploitation des mineurs. Offensent également la dignité des travailleurs le travail au noir ou géré par des contrats illégaux, la discrimination des femmes, l'exclusion des personnes handicapées. Aussi bien le travail précaire est-il une plaie ouverte pour beaucoup de travailleurs qui vivent dans la crainte de perdre leur emploi. J'ai souvent écouté cette angoisse de perdre son propre travail ; l’angoisse de la personne qui a un travail de septembre à juin et qui ne sait pas si elle l'aura encore en septembre prochain. Précarité totale. Cela est immoral. Cela tue, cela tue la dignité, la santé, la famille, la société. Le travail au noir et le travail précaire tuent. Il faut ajouter à cela la préoccupation pour les travaux dangereux et insalubres qui, chaque année, causent des centaines de morts et d'invalides en Italie. La dignité est une condition pour créer un bon travail : c'est pour cette raison qu'il est nécessaire de la défendre et de la promouvoir. Avec l'encyclique " Rerum Novarum" (1891) du Pape Léon XIII est née la Doctrine Sociale de l'Eglise, pour défendre les travailleurs contre leur exploitation, pour combattre le travail des enfants, les journées de travail de 12 heures, les conditions d'hygiène insuffisantes dans les usines. Je pense aussi aux chômeurs qui cherchent du travail et n'en trouvent pas, à ceux qui sont découragés et n'ont plus la force d'en chercher, aux sous-employés qui ne travaillent que quelques heures par mois et n'arrivent pas à dépasser le seuil de la pauvreté. À tous ceux-là je dis : ne perdez pas confiance. Je le dis aussi à ceux qui vivent dans les zones du sud de l'Italie avec des difficultés plus grandes. L'Eglise travaille en vue d'une économie au service de la personne, qui réduise les inégalités et ait comme but le travail de tous.

La crise économique mondiale a commencé par une crise financière, puis elle s'est convertie en crise économique et de l'emploi. La crise de l'emploi est une crise environnementale en même temps que sociale (voyez l'Encyclique Laudato SI, LS13). Le système économique est dirigé vers la consommation, sans préoccupation pour la dignité du travail ni la protection de l'environnement.  Cela revient à faire du vélo avec des pneus dégonflés : c'est dangereux ! La dignité et la protection sont blessées quand on considère le travailleur comme une ligne budgétaire, quand on ignore le cri des rejetés. Les administrations publiques n'échappent pas à cette logique quand elles signent des contrats selon le critère de la plus grande économie sans prendre en compte ni la dignité du travail, ni la responsabilité environnementale et fiscale des entreprises. En croyant obtenir des économies et de l'efficacité, elles finissent par trahir leur propre mission sociale au service de la communauté.

Parmi toutes ces difficultés, cependant, les signes d'espérance ne manquent pas. Les nombreuses bonnes pratiques que vous avez recensées sont comme le bois qui grandit sans bruit, elles nous apprennent deux vertus : servir les personnes qui en ont besoin et former des communautés où la communion prend le pas sur la compétition. La compétition : c'est la maladie de la méritocratie... Il est beau de voir que l'innovation sociale surgit aussi de la rencontre et des relations, et que tous les biens ne sont pas marchands : par exemple, la confiance, l'estime de soi, l'amitié, l'amour. Que rien ne s’interpose devant le bien de la personne ni le souci de la maison commune, souvent défigurée par un modèle de développement qui a produit une grave dette écologique. L'innovation technologique doit être guidée par la conscience et par les principes de subsidiarité et solidarité. Le robot doit continuer d’être un moyen et ne pas se convertir en idole d'une économie aux mains des puissants ; il devra être au service de la personne et de ses besoins humains.

L'Evangile nous enseigne que le Seigneur est aussi juste avec les ouvriers de la onzième heure,sans porter préjudice à « ce qui est juste » pour ceux de la première heure (cf. Mt 20, 1-16). La différence entre le premier et le dernier ouvrier ne réduit pas la rémunération dont chacun a besoin pour vivre. C’est là le "principe de bonté" grâce auquel, encore aujourd'hui, on obtient que rien ne manque à personne et que les processus de travail, la vie des entreprises et les communautés de travailleurs soient fertiles. La tâche du chef d'entreprise est de confier les talents à ses collaborateurs, appelés à leur tour à ne pas enterrer ce qu'ils ont reçu mais à en tirer parti pour le service des autres. Dans le monde du travail, la communion doit gagner sur la compétition ! Je veux vous souhaiter d'être " un levain social" pour la société italienne et de vivre une forte expérience synodale. Je vois avec intérêt que vous allez traiter des problèmes très importants comme la distance entre le système scolaire et le monde du travail, la question du travail de la femme, le travail dit de soins à la personne, le travail des personnes handicapées et le travail des migrants, qui seront réellement accueillis quand on pourra les intégrer dans des activités professionnelles. Puissent vos réflexions et vos débats se traduire en faits et en une entente renouvelée au service de la société italienne.

J'assure la grande assemblée de la Semaine Sociale de Cagliari de mon souvenir dans mes prières, et de même, je vous demande de prier pour moi et pour mon service auprès de l'Eglise, et je vous envoie de tout cœur la bénédiction apostolique.

Pour aller plus loin

on peut consulter d'autres réflexions du pape François sur le travail sur 

http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2017/may/documents/papa-francesco_20170527_lavoratori-genova.html