Le modèle de croissance de la consommation des pays développés et depuis quelques années des pays émergents n'est pas « durable ». Il conduit à l'épuisement des ressources naturelles, au changement de climat, à la perte de la biodiversité et à la destruction des écosystèmes. De plus, avec l'augmentation des prix de l'énergie et des matières premières qu'il entraîne, il rend toujours plus difficile à de nombreux pays d'Afrique notamment, la sortie de la pauvreté. La question est grave et ouvre sur de grandes incertitudes et de profonds déséquilibres quant au devenir de nos sociétés.
En quoi cette crise écologique dans laquelle nous sommes entrés concerne-t-elle l'Eglise? Certains, eux-mêmes engagés, attendent qu'elle dise quelque chose à ce sujet et trouvent qu'on ne l'entend pas assez. Quelle parole spécifique a-t-elle à proposer aux chrétiens et plus largement à tous ceux qui cherchent à définir de nouveaux modèles de développement? Une prise de conscience se fait jour: la solution de cette crise n’est pas à considérer seulement du côté des renouvellements technologiques, ni même des réorganisations économiques, elle est à chercher dans l’homme lui-même.
L’homme est au cœur de la nature. Nous chrétiens disons volontiers qu’il est acteur dans le projet créateur de Dieu. Ce qui veut dire en d’autres termes qu’il ne doit pas se contenter de subir les dégradations de l'environnement dans lequel il vit. Il est l’artisan de ce qu'il devient par ses choix de vie, par son rapport aux hommes et aux choses et par la vision de l’avenir qu’il développe. Il l'est aussi par sa volonté de maîtriser l’usage qu’il fait des biens dont il dispose, et par son attention à ne pas accaparer pour lui-même ces biens, mais à les partager avec ses frères humains, actuels et ceux des générations futures.
Cette responsabilité implique que l'Eglise ne doit pas se limiter à faire des discours généraux sur l'importance de se préoccuper de « développement durable »1. Elle a aussi quelque chose de fort à dire et doit dire quelque chose de fort sur l'homme et sa manière d'être au monde, sur l'usage des ressources dont il peut disposer, sur la solidarité à laquelle il est appelé avec ses frères humains. C'est ce que le pape Benoît XVI désigne sous le terme de « développement humain intégral »2.
L’homme n'a-t-il pas vocation à être autre chose qu'un grand prédateur à l’égard de la nature et des ressources mises à sa disposition? N'a-t-il pas vocation à devenir un protagoniste de la construction d’un monde différent, juste, équilibré, harmonieux, respectueux de la nature et des hommes ?
Pour répondre à ce questionnement, l’Eglise peut puiser dans l'expertise qui est la sienne, issue de sa tradition et de sa théologie de la création. Elle ne peut certes pas apporter des réponses scientifiques et techniques aux grands problèmes environnementaux d’aujourd’hui; ce n'est pas de sa compétence. Mais elle peut accompagner les réflexions de ceux qui œuvrent au plan scientifique, économique, politique, pour rappeler la priorité de la dignité de l’homme, sa stature de créature responsable de son intégrité et de sa croissance, en solidarité et non pas en supériorité avec la nature qui l’environne et avec les autres hommes.
C’est pour répondre à cette attente que les évêques de France, à travers leur comité « Etudes et projets », ont choisi de susciter un groupe de travail sur « Ecologie et Environnement ». Pendant deux ans, réflexion, dialogues avec les experts, débats entre évêques ont nourri les travaux de ce groupe qui avait pour mission de donner aux acteurs pastoraux des pistes de réflexion et d’engagement dans leur travail quotidien. Il est apparu au groupe « Ecologie et Environnement » qu’au terme de ces deux années il ne pouvait déposer que des conclusions provisoires et modestes. Elles sont la matière du document que vous avez entre vos mains et qui comporte trois parties :
Il n’en reste pas moins que si elles sont modestes, ces conclusions doivent être claires et engagées. J’en citerai cinq :
Au-delà de l’aspect technique et même théologique des questions de l’environnement, la place que l’homme prend dans le monde est une question spirituelle. Il est destinataire permanent d’un appel à « convertir » son rapport à la nature, à l’homme, à Dieu. C’est cela le plus structurant de ce qu’il est et le plus déterminant de son comportement.
+Marc Stenger, évêque de Troyes, Président du groupe de travail « Ecologie et Environnement »
Le Groupe de travail "Ecologie et Environnement" est composé de :
Marc Stenger, évêque de Troyes,
Jean-Claude Boulanger, évêque de Bayeux-Lisieux
Pierre-Marie CARRE, archevêque de Montpellier
Jean-Pierre Grallet, archevêque de Strasbourg
Gilbert Louis, évêque de Châlons en Champagne
Jean-Louis Papin, évêque de Nancy
Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers
Gildas Kerhuel, secrétaire général-adjoint de la Conférence des Evêques de France
La crise écologique introduit une inquiétude majeure dans nos sociétés. En tant qu’Eglise, nous rejoignons l’inquiétude des hommes et des femmes de notre époque et nous voulons partager avec eux la recherche d’un nouvel horizon d’espérance à travers les menaces qui pèsent aujourd’hui sur les équilibres de notre planète, et qui interrogent avant tout le sens de notre existence.
En effet, la crise écologique doit être considérée comme une crise de sens. Jean-Paul II explique le 1er janvier 1990 que cette crise a un caractère principalement éthique et indique « la nécessité morale urgente d’une solidarité nouvelle ». Benoît XVI reprend ces propos le 1er janvier 2010, journée de la paix, et constate que « cet appel est encore plus pressant aujourd’hui, face aux manifestations croissantes d’une crise qu’il serait irresponsable de ne pas prendre sérieusement en considération ».
D’un côté le développement des pays industrialisés, continu depuis plusieurs décennies, apporte une amélioration des conditions de vie, et particulièrement une élévation de la durée de vie des populations qui en bénéficient. Mais ce développement se caractérise par une consommation qui n’a pas de limite et qui conduit inéluctablement à ce constat que font les scientifiques : l’épuisement des ressources naturelles, les changements climatiques, la dégradation des écosystèmes, l’appauvrissement de la biodiversité. On ne peut pas imaginer maintenir les modes de vie que nous avons aujourd’hui, nous, habitants des pays développés, et en même temps répondre sur la durée à la croissance légitime des besoins des pays émergents et des pays pauvres, sans accélérer la dégradation de l’environnement. C’est en ce sens que nous affirmons que la crise écologique introduit une nouveauté radicale dans la manière de penser le vivre ensemble : la prise de conscience du caractère non durable de notre modèle de développement actuel et le fait que sa poursuite met gravement en danger les possibilités de vie des générations futures.
Or, la transformation à faire ne peut pas se réduire à un changement de nos habitudes. Certes, il faut modifier nos comportements quotidiens et ce ne sera pas facile, mais ce qui est en jeu c’est une véritable métamorphose de notre conception de « la vie bonne ». Qu’est-ce qui nous permet de vivre mieux, autant au niveau individuel que collectif ? C’est le fondement même de la vie qui est concerné par cette crise et non seulement ses conditions matérielles. Car à travers notre manière de consommer, de produire, de nous déplacer, d’habiter l’espace, nous construisons un certain projet de vie et de société. La crise écologique nous donne l’occasion de revisiter ces fondements. Et c’est à ce niveau du débat que notre expérience de foi peut intervenir.
Pour contribuer à cette réflexion à partir de notre foi chrétienne, nous proposons de reprendre trois expériences constitutives de toute vie humaine et qui se trouvent, par ailleurs, particulièrement bouleversées par la crise écologique. Il s’agit du rapport au temps, du rapport à l’espace et du rapport à autrui.
Dans nos sociétés contemporaines, le temps est souvent marqué par trois exigences : l’immédiateté, la sécurité de l’avenir et la progression continuelle vers l’avant. La crise écologique nous invite à faire, par rapport à ces trois exigences, une autre expérience du temps qui résonne fortement avec des fondements de notre foi chrétienne.
Face au court terme valoriser le long terme
L’expérience moderne concentre l’attention sur le moment présent en le détachant du rapport à l’histoire qui nous façonne et à l’avenir qui nous sollicite. Paradoxalement, l’actuelle crise financière et économique conduit à amplifier cette concentration sur l’urgence et l’immédiateté, alors qu’une mise en perspective historique et qu’une prise en compte de l’avenir de notre monde pourraient conduire à de nouvelles orientations de vie, plutôt que s’en tenir à des critères normatifs qui montrent leur incapacité à résoudre les problèmes vitaux. La crise écologique élargit d’une manière radicale l’horizon de notre responsabilité : nos décisions d’aujourd’hui ont plus que jamais un impact direct sur les conditions de vie de demain. Nous sommes ainsi invités à intégrer le futur dans nos décisions sur le présent et, de ce fait, à nous inscrire dans une ligne de temps qui nous précède et qui nous dépasse.
Or, la démarche chrétienne nous inscrit dans une perspective de long terme, au sein d’une histoire du salut qui a commencé bien avant nous et qui se poursuivra bien après nous. Dans la dynamique de la foi, nous mettons en valeur l’héritage qui nous est confié en le considérant comme un don à garder et faire fructifier. Si nous comprenons le monde et notre humanité comme le fruit d’un don créateur continu, nous réalisons que la création ne nous appartient pas mais qu’elle nous donne à vivre. Ainsi, nous interprétons le travail de nos ancêtres comme une contribution à l’action permanente du Créateur qui nous permet d’exister aujourd’hui et nous percevons l’avenir comme porteur d’une promesse de vie pour les générations qui nous succéderont. Passé et avenir élargissent notre présent et l’inscrivent dans une histoire de salut qui dépasse largement notre horizon immédiat. La foi et l’écologie nous invitent à mettre le court terme en tension d’avenir.
Face au catastrophisme dire une espérance
Face à l’ampleur des enjeux écologiques et aux menaces associées, la tentation est le découragement. Les risques auxquels la vie sur notre planète est confrontée sont d’une telle envergure que souvent le catastrophisme s’impose naturellement dans notre vision de l’avenir. La peur paralyse et la recherche de sécurité devient obsessionnelle. Peut-on faire entendre une promesse de vie face à un horizon qui ne parle que de mort ?
L’espérance chrétienne, fondée dans la foi en la résurrection de Jésus Christ, fait de nous les témoins d’une vie qui traverse les expériences portant un goût de mort. Aucune garantie de vie meilleure, mais la croyance que de la mort peut émerger la vie. Aucune sécurité face à l’avenir, mais l’invitation à accueillir l’incertitude comme promesse d’une nouveauté radicale. L’espérance fait de nous les acteurs d’une vie toujours à venir. L’espérance associée à la résurrection n’est pas celle d’une attente angélique mais bien au contraire, celle d’une traversée de la mort. Elle nous invite à développer une approche positive de la limite et à voir dans les contraintes auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés la possibilité d’inventer de nouveaux modes de vie et de déployer nos capacités personnelles et collectives. L’angoisse pour demain risque de nous conduire à la sidération et de nous crisper sur nos possessions actuelles, alors que l’espérance nous permet de découvrir qu’il peut être heureux de servir une humanité et un monde toujours en train de naître.
Face à l’accélération apprendre le rythme et la contemplation
La modernité nous inscrit dans l’illusion d’une flèche du temps qui avance toujours vers l’avant de manière vertigineuse. Pourtant nous savons aujourd’hui que la croissance matérielle n’est pas illimitée et qu’elle peut brusquement s’arrêter. Ce freinage peut nous aider à redécouvrir que la vie ne se construit jamais de manière linéaire mais à travers des temps différents qui rythment le processus de création : le temps des semailles et celui des récoltes, le temps du travail et celui du repos, le temps de l’action transformatrice et celui de la contemplation.
Dans le premier récit biblique de création, la présentation du « shabbat » met en lumière un acte créateur qui ne se réduit pas au « faire ». Cette institution d’un rythme qui marque le temps est offerte comme une voie de libération : le bonheur ne se réduit pas à la possession des biens ; il suppose aussi une prise de distance à l’égard des choses qui permet de mieux évaluer ce qui vaut vraiment. L’humain ne se réalise pas seulement dans l’action ; le repos et la contemplation lui permettent un plus juste rapport au monde. Si la flèche vers l’avant pousse à courir toujours plus vite, l’expérience du rythme invite au contraire à trouver la juste place.
La crise écologique bouscule notre rapport à l’espace et déplace ses limites : les limites géographiques en augmentant l’interdépendance entre le local et le global, les limites politiques en poussant à chercher de nouvelles formes de gouvernance mondiale, les limites de ressources naturelles en invitant à revisiter notre rapport à la nature. Le déplacement de ces limites peut être mis en écho avec des principes de la tradition chrétienne.
Face au développement uniforme proposer un développement intégral
Nous constatons que la mondialisation comprend une représentation du monde qui le réduit à un seul marché global. Or les enjeux écologiques provoquent une tension forte entre global et local, ils impliquent une reconsidération positive de la proximité. Il s’agit sans doute moins d’opposer radicalement ces deux dimensions que d’apprendre une articulation nouvelle entre proche et lointain.
La foi chrétienne accueille un salut universel, qui vaut pour l’humanité entière et pour le monde, et elle témoigne fermement de cette promesse de vie. Elle résiste donc à tout ce qui induirait un repli sur la seule préoccupation du voisin proche, alors que le plus lointain, géographiquement, culturellement, socialement, est tout autant un frère ou une sœur. La démarche chrétienne nous conduit à articuler singulier et universel, au-delà d’une opposition crispée entre individuel et collectif. Le développement de chaque personne dans son intégralité ainsi que le développement de l’ensemble de l’humanité se retrouvent dans une même dynamique, celle du « développement intégral ». Avec la crise écologique, cette intégralité qui vise tout l’homme et tous les hommes, s’élargit également aux générations à venir et à l’ensemble de la création. L’intégralité du développement acquiert ainsi une nouvelle dimension, celle des personnes pas encore nées mais qui habiteront plus tard notre terre. Le « développement humain intégral » constitue ainsi une autre manière de parler du « développement durable » qui évoque à la fois la vie de chacun et de tous, celle de nos contemporains et de ceux qui viendront plus tard, dans la création qui en est le berceau.
Face aux intérêts nationaux différents inventer une nouvelle forme de gouvernance mondiale
La mondialisation a augmenté le degré d’interdépendance entre les nations, qui restent pourtant marquées par une grande inégalité au niveau de la décision sur les enjeux mondiaux. L’écologie appelle à inventer de nouvelles formes de gouvernance mondiale qui permettent à chaque pays de peser sur les décisions, indépendamment de son poids économique.
La tradition chrétienne n’a pas un modèle de gouvernance à proposer mais elle est nourrie par des références qui permettent de penser l’unité dans la diversité. La différence entre Babel et Pentecôte illustre bien deux modèles d’universalité et de gestion de la différence : l’un fondé sur l’uniformisation et l’autre sur la complémentarité. Une gouvernance où chaque pays, riche ou pauvre, ait son mot à dire résonne avec l’image de la Pentecôte où les langues différentes se retrouvent autour d’un message commun, et donc d’un projet commun.
Face à l’instrumentalisation et la sacralisation penser un juste rapport à la nature
Nous constatons que, notamment en la phase moderne, l’humanité a voulu imposer son pouvoir à la nature, de telle manière qu’elle a cru valoriser son propre bien en négligeant la qualité de son environnement. Aujourd’hui, certains courants de pensée ne voient en l’humain qu’un prédateur, un destructeur, une menace fatale pour le monde et induisent parfois une sorte de sacralisation de la nature. Entre l’instrumentalisation de la nature à laquelle conduit le productivisme exacerbé et sa sacralisation provoquée par une défense non moins exacerbée, comment trouver un juste rapport entre l’homme et la nature ?
La tradition chrétienne reconnaît la place spécifique et éminente tenue par l’homme dans la création. Donner la priorité à l’homme ne signifie pas mépriser la nature mais plutôt trouver un bon équilibre marqué par la réciprocité, c’est-à-dire une relation où chacun (la nature et l’homme) donne et reçoit de l’autre. C’est l’invitation du livre de la Genèse, où l’homme est établi dans le jardin pour le garder et le faire fructifier. Ni exploitation ni simple sauvegarde mais plutôt une relation de partenariat à établir entre l’homme et la nature. Aujourd’hui, nous ne pouvons concevoir notre avenir en dehors de la nature, encore moins contre elle. Elle n’est ni simple paysage ni seulement une ressource. Une interdépendance existentielle relie l’homme à la nature. Il nous faut collectivement apprendre le respect à son égard, mais aussi le sens de la responsabilité, pour l’humaniser d’une manière qui la bonifie au lieu de la détruire. L’homme pourra ainsi reconnaître et célébrer, au nom de la création toute entière, le projet de cette création, dans laquelle il devient co-créateur.
Si le temps et l’espace sont affectés par la crise écologique, le rapport à autrui demande également à être revisité. Entre rivalité et alliance, entre force et fragilité, entre engagement et détachement, c’est tout le champ des relations humaines qui est concerné.
De la rivalité à l’alliance
Le défi que constitue l’ouverture de notre monde à un avenir de vie nous invite à contester une vision du rapport à « l’autre » pensé sous le seul mode de la rivalité. Cet autre pouvant être bien sûr un semblable, un frère (cf. Caïn et Abel), une communauté humaine, mais aussi le monde dont nous sommes partie prenante.
Or, nous croyons que le salut en Jésus Christ est réconciliation ; il nous faut donc concevoir le rapport à l’autre, non sous le mode exclusif de rapports de force, mais à la lumière de la figure biblique de l’alliance.
La relation d’alliance suppose une manière particulière de se situer face à la différence de l’autre, face au collectif à construire et face à l’incertitude de l’avenir. La différence n’est pas vue comme source d’opposition mais d’enrichissement réciproque. Le collectif à construire prend la forme d’un bien vivre ensemble plutôt que d’une simple prospérité partagée. L’incertitude de l’avenir conduit à prendre des risques ensemble plutôt qu’à se protéger du risque que l’autre peut me faire encourir. A l’image de l’alliance entre Dieu et l’homme qui fait de la créature un co-créateur, nous sommes appelés à établir des relations d’alliance avec nos frères et sœurs en humanité. Voir dans l’autre un co-créateur plutôt qu’un concurrent transforme l’interdépendance subie en interdépendance choisie. L’autre n’est plus perçu uniquement comme une menace à l’égard de mon projet personnel, il devient promesse d’un projet commun porteur de plus de vie pour chacun.
Un tel projet commun du monde à venir suppose que nous apprenions à cultiver entre nous des relations de solidarité et de fraternité. Pour un vrai développement solidaire et durable, il nous faut tisser une interdépendance et une réciprocité qui ne soient pas mesurées en termes de simple équivalence, mais de « bien vivre ensemble ». Les enfants d’un même Père se savent appelés à vivre en sœurs et frères, au sein d’un même monde, conscients qu’il n’y a qu’une seule terre pour tous, aujourd’hui et demain.
De la force à la fragilité
Nous habitons un monde où la valeur est donnée en fonction de la puissance, de la force et de la richesse détenues. Un monde où la vulnérabilité est cause d’exclusion et de mépris. La crise écologique montre pourtant aujourd’hui que la fragilité de la nature peut être une source de nouveauté poussant nos sociétés à inventer de nouvelles manières de vivre ensemble.
Le mystère pascal, fondement de notre foi chrétienne, invite à voir dans la mort une promesse de vie. Cette expérience de foi rejoint une expérience profondément humaine, celle de la fragilité qui ouvre au radicalement nouveau. La crise écologique nous confronte de manière radicale à la fragilité humaine. Le progrès technique a produit l’illusion d’une toute-puissance humaine capable d’une croissance infinie. La faiblesse et la pauvreté étaient ainsi perçues comme des défaillances à dépasser. La crise écologique ouvre aujourd’hui la possibilité de voir dans la fragilité une promesse de nouveauté : grâce aux limites environnementales on redécouvre la valeur de la dimension relationnelle de la vie. On prend conscience que la qualité de la vie ne relève pas que de l’accès aux biens mais également de son tissu social. La fragilité de l’actuel mode de développement devient une chance pour penser autrement le développement.
Or, les principales victimes de la crise écologique risquent d’être encore une fois les populations plus fragiles, en plus des générations futures qui n’ont pas la possibilité aujourd’hui de défendre leur droit à la vie. Ces nouvelles fragilités appellent à créer de nouvelles formes de solidarité.
La fragilité du modèle de développement et la fragilité des personnes présentes et futures, pourraient ainsi être source de renouvellement en termes de lien social et de solidarité. Le message pascal qui rappelle que la vie nouvelle est toujours une traversée de la mort, prend ainsi forme au sein même de l’histoire contemporaine.
Entre engagement et détachement
Face aux dérèglements du monde, les humains s’engagent dans la recherche de solutions. Cet engagement est parfois tellement fort qu’il fait croire à l’homme qu’il est tout puissant. Le désir de contrôle et de maîtrise pourrait nous établir comme propriétaires de nos projets. Or, la crise écologique nous conduit à faire, avec une radicalité extrême, l’expérience de la dé- maîtrise et elle nous invite à apprendre en même temps le détachement.
La foi permet justement d’articuler ces deux mouvements opposés : l’engagement et le détachement. Si le déploiement de notre responsabilité en ce monde suppose un engagement courageux, il implique aussi un détachement qui exclut l’attitude du maître dominateur. Si à travers l’engagement nous assumons notre rôle de co-créateurs, le détachement nous rappelle en permanence que la création est un don et que nous ne sommes pas propriétaires du résultat de nos actions. La promesse d’un avenir de vie, qui nous met en marche vers quelque chose que nous ne connaissons pas encore, mais que nous espérons meilleur, actualise aujourd’hui la promesse faite à nos pères dans la foi qui ont tout quitté pour se mettre en marche vers la « terre promise ». Si l’engagement en faveur d’une terre habitable pour tous est incontournable, la contemplation et la liturgie peuvent nous aider à ne pas oublier que cet engagement s’inscrit dans un projet de salut qui nous précède et nous dépasse.
Notre temps, notre espace et nos relations sont aujourd’hui bouleversés par la crise écologique. Ce bouleversement est une opportunité pour tisser une nouvelle articulation entre foi et vie, à travers laquelle et la foi et la vie pourront sortir enrichies. Ne ratons pas cette opportunité !
Face à tous ces enjeux et à l’urgence de poser des changements dans nos modes de vie, l’Eglise est appelée elle aussi à montrer par des signes son engagement aux côtés des différents acteurs de la société pour un authentique « développement durable ». Elle doit proposer aux communautés chrétiennes des pistes d’action par lesquelles celle-ci pourront manifester leur prise de conscience de la question environnementale et leur volonté d’agir.
L’espérance chrétienne dont nous sommes porteurs nous fait croire en l’avenir de l’homme et du monde. Cette foi nous avons à la partager avec tous les hommes de bonne volonté. Avec eux nous sommes invités à travailler dès maintenant à assurer cet avenir dans une alliance renouvelée entre l’homme et le reste de la création.
A cause de la profonde solidarité qu'il y a entre l'homme et le monde créé, théologie et catéchèse de la création sont désormais essentielles à toute proposition de la foi chrétienne.
Une catéchèse de la création doit expliquer sur la base de l’anthropologie biblique la responsabilité spécifique de l’homme par rapport au reste de la création et montrer en quoi cette vision du rôle profond de l’homme est conforme au projet de Dieu.
Elle devra nécessairement intégrer la notion d’écologie humaine, alliée à celle de développement intégral, montrer l’incohérence, voire la contradiction qu’il y a à « exiger des nouvelles générations le respect du milieu naturel »3, « si le droit à la vie et à la mort naturelle n’est pas respecté, si la conception, la gestation et la naissance de l’homme sont rendus artificielles, si des embryons humains sont sacrifiés pour la recherche » (CV 51). Cette catéchèse est nécessaire pour sensibiliser les chrétiens aux fondements de leur engagement pour le respect de la création et leur conversion à de nouveaux modes de vie. Elle pourra naître si se développe une recherche théologique qui saura démontrer le caractère unique et indivisible du « livre de la nature » « qu’il s’agisse de l’environnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement humain intégral » (CV 51).
L’Eglise ne doit pas laisser les questions de gestion de la création, d’écologie et de « développement durable » uniquement à la bonne volonté de chacun.
Elle se préoccupera donc d’élaborer et de proposer des modules de formation sur ces sujets dans les centres diocésains de formation, dans les séminaires, dans les établissements catholiques d'enseignement, dans les universités.
Certains mouvements, tel le scoutisme ou le MRJC mettent déjà en œuvre des pédagogies de découverte de la création à travers la nature. Ce sont des initiatives à encourager.
La liturgie chrétienne est une célébration de l’œuvre de Dieu. Il s’agit de redécouvrir que dans ses expressions de louange, d’adoration et de prière, elle invite l’homme à vivre la relation au monde et à la nature comme le bénéfice d’un don du Dieu créateur et d’un amour créateur de fraternité entre les hommes.
Il y a donc à entreprendre un travail de valorisation de la dimension écologique de la liturgie.
En lien avec les autres confessions chrétiennes, et à l’image de ce qui existe dans plusieurs diocèses de France et d'Europe, nous encourageons l’instauration de fêtes de la création. Pourquoi ne pas reprendre la recommandation émise lors du rassemblement œcuménique de Sibiu en 2007 de les programmer entre le 1er septembre et le 4 octobre, fête de saint François d’Assise ?
Nous préconisons de donner un relief nouveau à l’expérience séculaire des « bénédictions » et du jeûne pour stimuler la relation à la nature et faire découvrir la fécondité d’une sobriété heureuse.
Nos célébrations seront enrichies en s’appuyant sur la variété des formes de l’expression artistique de la création et de la responsabilité de l’homme pour sa gestion. La liturgie deviendra ainsi éducatrice aux questions environnementales pour ceux qui y participent.
Pour réfléchir et intervenir de manière pertinente sur les questions environnementales, l’Eglise a le devoir de se donner les moyens d’une information fiable, approfondie et plurielle. Elle peut aussi disposer des compétences de divers groupes d’expertises, tels la Commission Justice et Paix ou l’Antenne Environnement et Modes de Vie, qui travaillent en lien avec le Service Famille et Société de la Conférence des Evêques de France.
Les experts de l’Antenne « Environnement et Modes de Vie », pour répondre à ce besoin d’information objective, sont sollicités pour rédiger des fiches qui outre l’exposé des données techniques et scientifiques concernant un sujet environnemental, fournissent les éléments du ou des débats sur tel ou tel sujet. Parmi les fiches déjà rédigées et diffusées on pourra trouver : « Le gaz de schiste », « Séismes, éruptions volcaniques et tsunamis », « Les marées vertes ». Elles sont destinées à l’information des évêques, des mouvements et services d’Eglise, et au-delà de tout public qui pourra y accéder grâce à la consultation du site internet du Conseil Famille et Société (www.pensee sociale.catholique.fr).
De même nous encourageons, à l’image de ce qu’ont déjà entrepris certains diocèses et mouvements d’Eglise, la formation de groupes de chrétiens pour réfléchir aux questions liées au respect de la création, échanger des expériences, rédiger et diffuser des documents diocésains ou locaux, proposer des initiatives et des campagnes qui mobilisent largement.
L’Eglise doit avoir conscience qu’elle n’est ni la première ni la seule à intervenir sur le terrain de l’environnement. D’où l’importance pour elle de bien repérer ceux qui sont des acteurs décisifs du futur et de bien situer sa propre parole.
Une parole d’Eglise sur les sujets environnementaux ne peut être une prise de position scientifique. Elle n’a pas compétence pour cela. Mais si elle veut que sa parole soit une parole d’alerte et d’espérance, entendue par un grand nombre, il est essentiel qu’elle soit en dialogue avec les principaux acteurs de la société : chercheurs, politiques, philosophes, économistes, techniciens.
Le groupe de travail « Environnement et écologie » a eu l’occasion de procéder à diverses auditions de tels acteurs. Nous avons pu constater qu’ils étaient demandeurs de rencontres avec les hommes de religion, qu’ils considéraient que ceux-ci avaient un avis à donner dans la recherche de solutions pour assurer un avenir durable à l’humanité.
Certains de ces experts, chrétiens par ailleurs, sont prêts à se mettre au service de l’Eglise pour approfondir la réflexion sur les sujets environnementaux à la lumière de la foi, accompagner les Eglises dans leurs décisions pratiques en vue de l’amélioration de leur propre bilan écologique et dans la définition d’orientations à l’usage de tous;
Les contacts établis à l’occasion de l’élaboration du dossier du groupe de travail touchent des domaines limités. Il appartiendra au département « Environnement et Modes de vie » du Conseil Famille et Société qui prendra en charge le dossier d’élargir ces relations avec les acteurs de l’environnement. Des contacts ont été pris mais ils ne touchent que des domaines limités. Ces relations avec les acteurs de l’environnement demanderaient à être poursuivies et organisées.
Un grand défi à relever c’est l’accompagnement des situations difficiles que vit le monde rural aujourd’hui. Dans certains cas, l’Eglise, en raison de son implantation locale, pourra offrir aux agriculteurs un espace d’écoute et de dialogue, non pas seulement sur les aspects techniques de la profession, mais sur le fond et le sens. Les mouvements ruraux d’Eglise, CMR, MRJC, y contribuent déjà très utilement. C’est aussi ce que propose une association d'inspiration catholique comme les« Journées paysannes », présente dans 12 régions en France.
L’Eglise peut aussi favoriser des ponts et des solidarités entre les producteurs et les consommateurs, et promouvoir la prise de conscience de responsabilités écologiques partagées. C’est la perspective dans laquelle travaillent les AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne).
Les espaces de rencontre, d’écoute et de dialogue entre des acteurs ayant des points de vue différents sont utiles et féconds, s’ils sont des lieux d'échange fraternels et respectueux de la parole de l’autre. Ils ne sont pas nécessaires seulement dans le monde rural, où il s'agit de surmonter des sentiments d’isolement et de culpabilité. Il s’agit également aujourd’hui d’habiter de manière nouvelle l’espace urbain qui rassemble la majorité de la population. Il est donc nécessaire de créer des lieux de parole où puisse se penser un « vivre ensemble » harmonieux. C’est une expérience que proposent actuellement des groupes chrétiens des doyennés de Roubaix et de Tourcoing au moment où s’élaborent les plans d’un nouveau quartier entre les deux villes. Pour d’autres sujets environnementaux en débat, où les positions sont souvent exacerbées, ils ont aussi une grande raison d’être. Il faudrait en particulier les créer aujourd'hui pour aborder les questions autour de l’énergie nucléaire. Dans une région de France l’Eglise a pris l’initiative de susciter un tel groupe autour de la problématique du stockage des déchets nucléaires.
La finalité de telles initiatives c’est d’aider les chrétiens à une meilleure prise de conscience des enjeux et des exigences qui s'imposent à chacun face à ces nouvelles questions de la vie en société.
L’Eglise n’a pas de compétence propre pour apporter des solutions globales aux différentes questions environnementales, tels les changements climatiques, l’épuisement des ressources naturelles, la perte de la biodiversité, les choix énergétiques. Mais elle doit être exemplaire dans ses actions et dans ses modes de consommation. Elle ne doit pas hésiter à faire connaitre ses réalisations heureuses en la matière, convaincue de la force de persuasion et du pouvoir d’entrainement de tout passage aux actes de sa part.
A l’image de réalisations pilote comme la Maison diocésaine de Châlons en Champagne, prix d’un concours d’architecture en 2006, le Collège des Bernardins à Paris, ou encore un Centre de formation du diocèse de Rennes, les chantiers de rénovation ou de construction des bâtiments diocésains et paroissiaux doivent résolument faire place à des techniques qui permettent une faible consommation d’énergie.
L’ancienneté et la vétusté de certains équipements pastoraux ne facilitent pas toujours la mise en œuvre de techniques modernes et performantes. La donne écologique doit intervenir de manière décisive, fût-ce au prix de quelques sacrifices économiques et patrimoniaux, dans les options retenues pour le devenir de ces équipements : isolation des bâtiments, choix des techniques de chauffage, etc.
De même les organisateurs de réunions d’Eglise doivent être très vigilants pour ce qui touche les modes de consommation, dans le cadre de leurs initiatives de rassemblement, en particulier pour les transports, la nourriture, le volume et la nature des déchets, etc., covoiturage, nature des matériaux utilisés pour les «repas tirés du sac », éclairage et chauffage des salles de réunion… recyclage… On peut retenir des enseignements de quelques expériences déjà menées en la matière. Les centres d’accueil chrétiens en particulier, seront incités à un fonctionnement et à une gestion de leur patrimoine bâti ou naturel écologiquement irréprochables. Il faudra organiser des échanges d’expériences, répertorier celles qui peuvent servir de références pour d’autres, entreprendre des démarches de sensibilisation, comme cela se pratique déjà dans d’autres Eglises européennes.
L’expérience monastique d’équilibre économique social, spirituel et environnemental, autrement dit de « sobriété heureuse » doit être mise en valeur comme mode de vie alternatif. Certaines communautés religieuses axant leur mission sur le respect de la création seront encouragées dans cette mission et invitées à en rendre compte pour le bénéfice de l’Eglise toute entière.
Notre monde vivra de la dynamique du Royaume de Dieu si, dans son développement, il intègre en même temps l’économique, le social/sociétal, et l’environnemental, et s’il a le souci du développement des populations les plus pauvres et les plus vulnérables et des générations à venir.
Construire ce monde suppose une conversion de nos mentalités marquées par l’individualisme et le consumérisme. Pour des chrétiens, les changements de nos modes de vie devraient être considérés comme une bonne nouvelle. Cet engagement relève en partie de décisions individuelles, et surtout de choix communs, à chaque niveau gouvernement, local, régional, national, européen, mondial. Partout des stratégies de développement se construisent et se mettent en œuvre plus ou moins rapidement ; ils portent le nom d’agenda 21, ou de plan climat. Le Grenelle de l’Environnement est l’exemple d’un modèle de travail collectif qui a mis autour d’une table différentes parties prenantes aux intérêts divers, voire divergents, industriels, collectivités locales, associations environnementales, syndicats, experts.
Beaucoup de chrétiens travaillent à cette construction collective d’un monde nouveau, dans un engagement politique ou associatif, au sein des entreprises ou des collectivités territoriales, ou encore dans des organismes mondiaux. L’Eglise doit affirmer haut et fort l’importance majeure de cette transformation du monde car comme le dit Albert Jacquard « Ce n’est pas la planète qu’il faut sauver, mais l’humanité ». Elle doit ainsi encourager les chrétiens à s’engager dans cet immense travail collectif pour construire un monde plus durable ou « soutenable ». Elle doit utiliser les moyens actuels de communication : Internet, réseaux sociaux pour relancer les appels à de tels engagements.
Le présent document est le fruit du travail d’un groupe d’évêques constitué à la demande des évêques de France lors de l’Assemblée plénière tenue à Lourdes en Mars 2010. Ce travail s’est appuyé sur l’écoute d’experts et de groupes de chrétiens engagés sur ces questions. Il veut montrer l’importance que l’Eglise attache au travail de construction d’un monde plus « durable ». L’Eglise doit avoir conscience qu’elle est attendue pour dire une parole qui porte du sens et pour poser des actes en correspondance avec cette parole. Car ce qui est en jeu, ce n’est pas simplement la préservation de l’environnement, c’est aussi le sens de l’homme et de la vie, c’est la question de la justice et du bonheur.
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Nous avons conscience que la réflexion qui a été menée ici doit être complétée et approfondie avec l’aide des mouvements et communautés chrétiennes, en dialogue avec des hommes et des femmes, individus et collectifs, soucieux de comportements et de choix cohérents face aux défis environnementaux d'aujourd'hui.
Il n'y a pas d'écologie qui ne soit globale : Terre, Homme et Dieu, Créatures et Créateur sont étroitement liés. Respecter la terre, c'est respecter l'Homme. Aimer l'humanité, c'est aussi aimer la terre. Tous les êtres sont nés sur une même terre, terre mère, terre nourricière. Une même destinée, une même solidarité les unit. Cette solidarité est au cœur de la question écologique.
En 1987, Jean-Paul II rappelait déjà : "Nous formons une seule famille humaine. Nous sommes frères et sœurs… Nous sommes appelés à reconnaître la solidarité fraternelle de la famille humaine comme la condition essentielle de notre vie commune sur terre". (Jean-Paul II, 1987, Journée Mondiale de la Paix)
À son tour, Benoît XVI avertit qu'il ne saurait y avoir d'écologie de la nature sans écologie de l'homme : "L'Église a une responsabilité envers la Création et doit la faire valoir publiquement aussi. Ce faisant, elle doit préserver non seulement la terre, l'eau et l'air comme dons de la Création appartenant à tous, elle doit aussi surtout protéger l'homme de sa propre destruction. Une sorte d'écologie de l'homme, comprise de manière juste, est nécessaire. La dégradation de l'environnement est en effet étroitement liée à la culture qui façonne la communauté humaine : quand l'«l'écologie humaine» est respectée dans la société, l'écologie proprement dite en tire aussi avantage…
Le livre de la nature est unique et indivisible, qu'il s'agisse de l'environnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement humain intégral. Les devoirs que nous avons vis-à-vis de l'environnement sont liés aux devoirs que nous avons envers la personne considérée en elle-même et dans sa relation avec les autres. On ne peut exiger les uns et piétiner les autres. C'est là une grave antinomie de la mentalité et de la praxis actuelle qui avilit la personne, bouleverse l'environnement et détériore la société". (Caritas in veritate, CV 51)
Nous le recevons, ce « grand livre ». Chaque génération continue à en être la lectrice, par le croisement des multiples regards des philosophes, des scientifiques, des femmes et des hommes de bonne volonté. Chaque génération en est aussi la rédactrice, par ses choix et ses engagements. Il induit, puisqu’il est unique, une vision globale dont découlent des changements de comportements et des relations nouvelles.
Puisque nous formons une seule famille humaine, nous devons nous préoccuper les uns des autres, veiller à partager les biens et à en user de façon respectueuse des besoins de tous. La solidarité entre tous, entre riches et pauvres, entre pays du nord et du sud, entre générations présentes et générations futures, cette solidarité, à vivre dans des structures économiques et politiques justes, est étroitement liée à l'instauration d'une écologie globale.
"Nous devons avoir soin de l'environnement", dit le Pape Benoît XVI ; "il a été confié à l'homme pour qu'il le garde et le protège dans une liberté responsable, en ayant toujours en vue, comme critère d'appréciation, le bien de tous… Il ne faut pas que les pauvres soient oubliés, eux qui, en bien des cas, sont exclus de la destination universelle des biens de la Création… Si la protection de l'environnement a des coûts, il faut qu'ils soient répartis de manière juste, en tenant compte des différences de développement des divers pays et de la solidarité avec les générations futures… L'alliance entre l'être humain et l'environnement doit être le miroir de l'amour créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons". (Message pour la Journée Mondiale de la Paix – 1er janvier 2008)
Si l'homme est si dur avec son frère, n'est-ce pas parce qu'il s'est coupé de Dieu ? Si le cœur de l'homme est si sec, n'est-ce pas parce qu'il n'est plus greffé au cœur aimant de Dieu ? Ne sachant plus que Dieu est leur père, beaucoup ne savent plus qu'ils sont frères et sœurs, membres d'une même famille, créatures d'un même créateur, enfants aimés d'un même père. L'ignorance de Dieu conduit l'homme à l'ingratitude envers Lui, et souvent à la dureté avec ses semblables.
La prière d'action de grâce des chrétiens doit pouvoir exprimer l'attitude juste de l'homme face à Dieu, face à la nature et face à ses semblables, comme le rappellent déjà les Psaumes de la Bible.
Le Rituel de l'Église catholique prévoit déjà beaucoup de prières de bénédiction, au début des semailles ou à la fin des récoltes, devant les éléments précieux de la nature, la terre, l'air, l'eau et le feu, ou face aux animaux. Une relecture juste des récits bibliques de la création nous rappelle que le Créateur nous a placés au centre du jardin, non pas pour le négliger et en abuser, mais pour l'entretenir et en user avec respect, sens du partage et souci des générations futures. C'est une offense faite à Dieu que de négliger et mépriser sa Création. C'est aussi une offense mutuelle que nous nous faisons les uns aux autres, humains, animaux, végétaux et minéraux, tous créatures d'un unique Créateur.
La liturgie eucharistique où l'action de grâce et l'offrande sont si présentes, contribue à une vision écologique globale où Dieu est au centre, la nature respectée, l'homme, aimé. Depuis le Rassemblement œcuménique européen de Bâle de 1989, et ceux qui l'on suivi (Graz, Sibiu), une même prise de conscience des chrétiens de toutes confessions s'est faite jour. Il est important que nous proposions aux chrétiens des célébrations œcuméniques et des actions communes.
Notre humanité a un urgent besoin de gens responsables et solidaires, d'économistes et d'ingénieurs, de juristes et de politiques, d'éducateurs et de paysans, d'artistes, de poètes et de mystiques, réconciliés avec leur condition d'enfants de la terre. Elle a besoin de vrais jardiniers. La Création de Dieu a besoin de toutes ses créatures et d'une harmonie fraternelle régnant entre toutes. Pour changer notre monde, changeons nos cœurs ! Il y a donc une conversion à faire, un sursaut moral majeur, un changement radical de nos façons de penser, de communiquer et de nous déplacer, de travailler et de consommer. Il est temps d'associer à nouveau, goût de vivre et sobriété, usage et respect, bonheur et simplicité ! Maintenant que les alertes ont été lancées, les études et déclarations faites, les plans d'action collective sont désormais nécessaires, comme le sont les actions de chaque citoyen –et donc de chaque chrétien– dans tous les domaines de la vie quotidienne ; et ceci pour consommer mieux, partager davantage et prévoir en solidarité avec tous les humains, d'aujourd'hui et de demain. De nouveaux liens sont donc à faire avec la nature, avec nos frères et sœurs et avec Dieu. N'est-ce pas ce qu'avait compris Saint-François d'Assise, Patron des Écologistes, lui qui, au prix d'une courageuse désappropriation, fit de toute sa vie une vaste œuvre de réconciliation et de fraternité et qui, dès lors, pouvait chanter :
" Loué sois-tu, mon Seigneur, dans toutes tes créatures, Spécialement Messire frère Soleil…
Loué sois-tu pour sœur Lune et les Étoiles…
Pour frère Vent, pour sœur Eau et pour frère Feu…
Oui, loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la Terre,
Qui nous porte et nous nourrit,
Qui produit la diversité des fruits,
Les fleurs diaprées et les herbes…’’ (Cantique de Frère Soleil)
A l’issue de ce travail, il apparaît clairement que les chrétiens et les communautés chrétiennes ont vocation à se saisir des questions posées par la crise écologique, dans un esprit évangélique. Il n’est pas possible d’aimer Dieu et son prochain en restant indifférent à l’avenir de la création. La publication de ce document peut permettre la prise de conscience et la réflexion des chrétiens et les inciter à prendre des initiatives, en même temps qu’elle les invite à se réjouir du désir créateur de Dieu. Comme le dit la prière eucharistique n° 4 : « avec la création tout entière qui t’acclame par nos voix, Dieu, nous te chantons ». Que les chrétiens, personnellement ou en groupes, s’emparent donc de ce texte et y trouvent matière à renouveler leur conscience écologique, à élaborer des initiatives nouvelles pour préserver l’environnement, à creuser la solidarité avec tous ceux qui se préoccupent de l’avenir de l’homme et du monde.