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24 octobre 2016

Notre maison commune

Bertrand Cassaigne et Bertrand Hériard, jésuites, Ceras, revue Projet

Septembre 2016

Avant les élections présidentielles du printemps prochain, quelques éléments de réflexion sur la base de l'enseignement social chrétien. Première partie : notre maison commune.

Le sous-titre de la dernière encyclique, Laudato Si’, nous invite à « prendre soin1 de notre maison commune ». Mais que désigne cette expression, nouvelle dans la doctrine sociale, qui revient 13 fois dans la lettre ? Il s’agit bien sûr de notre terre et de notre écosystème, mais il s’agit aussi – d’abord - de notre Cité, de notre quartier, de notre village. La maison commune, n’est-ce pas d’abord, pour nous, la mairie ou l’hôtel de ville ? L’expression regroupe en effet un mot usuel et un adjectif qui qualifie un bien partagé. La maison ne se réduit pas à un cadre qui offre des commodités – voire une accumulation de gadgets techniques - pour notre consommation ; elle est un lieu pour se retrouver, pour se poser. Car nul ne peut vivre sans un foyer. De même, la Cité est un « habitat » pour les citoyens, bien plus qu’une organisation ou une administration. Habiter est à la fois un don et la construction d’un vivre ensemble. La maison commune reformule en lui donnant chair l’idée de « bien commun », un principe de la doctrine sociale défini par Gaudium et Spes comme les conditions du vivre ensemble2.

Le pape élargit ainsi l’invitation de ces prédécesseurs «à prendre soin de ce monde que nous habitons» (prière finale, LS 246). Depuis Pie XI, ils parlent des conditions de vie de la « famille humaine » et, depuis Paul VI, ils s’inquiètent de « l’équilibre de notre milieu naturel ». En appelant à prendre soin de « notre maison commune », François réunit nos préoccupations écologiques et sociales. Nous sommes invités à considérer la terre comme « l’habitat » de l’homme et non comme une simple commodité.

Le mot « maison » évoque aussi un regroupement, celui d’une « maisonnée ». Car le « chez soi » n’est pas repli, portes et fenêtres fermées : il traduit une appartenance, pour des relations qui lui donnent vie. Des relations qui comportent des habitudes – parce que l’on a une place familière et reconnue -, comme des découvertes, des différences à assumer, des moments de fêtes, des souvenirs partagés – d’épreuves comme de joies – que l’on peut relire en commun et qui sont le support de nouveautés pour demain.

Nous sommes ainsi invités à élargir notre expérience première pour faire vivre cette « maison commune » que doit être la Cité : ses habitudes (dates, circuits) qui ne sont pas conformismes ou exclusions, ses différences qui sont appelées à entrer en débat avant de déterminer les choix nécessaires, mais qui peuvent être dépassées autour d’initiatives nouvelles. Ces initiatives s’appuient, en l’enrichissant, sur le patrimoine culturel qui fait partie de l’identité commune d’un lieu (LS 143). C’est pourquoi, dans un paragraphe sur l’écologie de la vie quotidienne, l’encyclique parle longuement de la ville : « La ville tout entière est un espace partagé avec les autres. Elle soit être perçue par les habitants comme un cadre cohérent avec sa richesse de sens. Ainsi les autres cessent d’être des étrangers et peuvent se sentir comme faisant partie d’un nous que nous construisons ensemble.» (LS 151).

Mais, cette maison commune est menacée aujourd’hui et se lézarde dangereusement ! Tous ne sont pas admis facilement dans ce « nous » dont parle le pape. Et nous sommes tentés de refermer la porte sur ceux qui nous semblent étrangers, dérangeants. Dérangeants, les nouveaux habitants dans la commune ; dérangeants, les jeunes qui ne trouvent pas place facilement ; dérangeants, les immigrés qui viennent d’autres cultures ; dérangeants, ceux qui disputent notre « espace vital » …

Dès lors, ce qui risque de réunir les « habitants » installés, c’est la peur, le désir de sécurité. Certes, la sécurité peut être l’occasion d’une vraie solidarité : face à une catastrophe naturelle, à une maladie… Mais elle se transforme parfois aussi en exclusion et en recherche de bouc émissaire. La maison commune ne peut être un bastion dressé face à des ennemis. Les problèmes de la Cité (les quartiers difficiles, le chômage, le décrochage à l’école, la pluralité des cultures) sont réels – considérables même. Mais la réponse suppose la mobilisation, l’inventivité de tous. Car « le temps est supérieur à l’espace » (LS 178) : la patience donne l’occasion de participer au diagnostic et à la recherche de solutions. Le projet, où chacun peut participer, sans doute avec des motivations diverses, peut remplacer la peur pour construire la maison.

Quels sont les lieux dans nos cités où des projets peuvent mûrir, se modifier, se relire ? Des maisons de quartier, des journées citoyennes, des rencontres associatives, bien d’autres encore…à condition que tous y soient respectés, sans suspicion ni mise en demeure. Ils n’habiteront la Cité que si leur légitimité d’en faire partie est reconnue. La diversité, nous dit le pape, peut être le moyen d’une contribution collective nouvelle pour l’édification de la maison commune.

Cette édification est d’autant plus urgente que la crise écologique rappelle l’existence d’un commun plus concret encore : l’air, l’eau, la terre menacée par nos mauvaises habitudes. Le ton dramatique de l’encyclique nous met devant un choix radical : « Nous n’avons jamais autant maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers siècles » (LS 43). Plus la crise écologique va s’amplifier, plus le manque de ces communs va nous effrayer et la lutte pour leur protection nous diviser. Au contraire, plus nous habitons en commun cette terre que Dieu nous a confiée, plus « nous marchons vers la maison commune » que Dieu nous prépare (LS 243).

1 « Prendre soin » traduit mieux que « sauvegarder » l’espagnol cuidado ou l’anglais care.

2 Le bien commun est « l'ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu'à chacun de leurs membres, d'atteindre leur perfection d'une façon plus totale et plus aisée » (GS 26).