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14 avril 2020

Henri Madelin (1936-2020)

Marcel Rémon, jésuite, directeur du Ceras

Henri Madelin (1936-2020)

L'équipe du Ceras a appris avec tristesse le décès du Père Henri Madelin, ce 9 avril 2020, emporté par l'épidémie du Coronavirus.

Peu après son ordination en 1967, Henri Madelin devient membre du Ceras de 1969 à juillet 1979, avant de devenir Provincial des Jésuites de France.

Les sciences politiques

Né en 1936 à Guebviller, dans le Haut-Rhin, Henri Madelin était diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, d’une licence en droit et d’un DES d’économie politique. Sa thèse de doctorat en sciences politiques s'intitulait « Pétrole et politique en Méditerranée occidentale ». Son expertise pour les sciences politiques et son intérêt pour les questions de société l’orientèrent très tôt vers l’apostolat social. Il intègre naturellement l'équipe de rédaction de la Revue Projet dès ses premières années d'apostolat.

La pensée sociale de l'Église

En 1973, il prend la direction du Centre de recherche et d’action sociales (Ceras). Son engagement témoigne de ce que la foi chrétienne est indissociable d’un engagement social et politique pour la justice, engagement qui ne peut se vivre sans une profondeur intellectuelle. En parallèle, il enseignera, comme maître de conférences à Sciences-Po Paris et enseignant à l’Institut d’études sociales (IES) de l’Institut catholique de Paris ainsi qu'au Centre Sèvres, durant des décennies, pour des milliers d’etudiant(e)s.

Henri Madelin a été un ardent défenseur de la pensée sociale catholique. Il écrira avec le père François Boëdec L'Évangile social. Guide pour une lecture des encycliques sociales (1999). Il était inspiré par la pensée du père Arrupe et le décret 4 de la 32e Congrégation Générale des jésuites où est affirmé que le « service de la foi est inséparable de l'engagement pour la promotion de la justice ». En 2013, il présentera dans la Revue Projet le Pape Benoît XVI comme théologien social1.

« Enthousiaste de la nomination de son confrère François comme évêque de Rome (ils furent provinciaux de leurs pays respectifs concomitamment), il lui consacra un de ses derniers ouvrage (Ainsi fait-il, Plon, 2014), pour mesurer l’importance de son élection et aider le grand public à en mesurer la portée. (…) Il espérait fortement un printemps de l’Église, venant des autres continents, mais aussi d’une réelle promotion des talents des laïcs/ques, et notamment des femmes... » (Témoignage reçu de Jean François Vallette, un ami d'enfance d'Henri Madelin)

L'Europe

La question du Politique est au cœur de ses réflexions. En tant que rédacteur en chef de la revue Études, aumônier du Mouvement Chrétien des Cadres et des dirigeants (MCC), collaborateur des Semaines Sociales de France (SSF) ou membre de l'Office catholique d'information et d'initiative pour l'Europe (OCIPE), il utilisait son réseau de connaissances et d'amis, pour promouvoir une gouvernance au service du bien commun, en particulier une Europe solidaire et audacieuse.

« Le monde pour cité »2

« Cette nouvelle forme de gouvernance de la mondialisation dont les papes sont en quête depuis Jean XXIII est évidemment difficile à mettre en œuvre. Il y faudra du temps et la confrontation avec des tensions redoutables : la coopération entre le local et le global ; les deux faces, vers le haut et vers le bas, de la subsidiarité ; l’efficacité et la légitimité ; les crispations nationales, souvent soupçonneuses devant l’ouverture à cette grande cause qui doit être servie par des organisations et des citoyens du monde de plus en plus nombreux. Ces partenaires viennent de tous les continents et ont comme horizon ce que le P. Teilhard appelait justement « le sens de la terre ». Pour faire tenir ensemble les pierres de cette nouvelle construction, le principe de subsidiarité, souligne Benoît XVI, sera un outil capital pour concilier efficacité et légitimité, blocages et dynamismes nouveaux, souci des plus démunis et respect des libertés essentielles.3»

« L’Union européenne est le premier ensemble planétaire à avoir expérimenté réellement cette nouvelle forme de gouvernance pour humaniser au mieux les processus de mondialisation. Avec plus ou moins d’intensité selon les saisons et le charisme des responsables, il y est question, selon Jacques Delors, de relever plusieurs défis : faire de l’Europe un ensemble fondé sur la paix, la compréhension mutuelle entre les peuples, un vivre-ensemble exemplaire, une solidarité effective, 'une manière, à l’époque de la mondialisation, de partager les souverainetés nationales et donc une référence pour les architectes d’une gouvernance mondiale.' »

« Les personnes et les communautés doivent, pour se développer, apprendre désormais à avoir « le monde pour cité », pour reprendre le titre du livre de Jacques Lévy4. Dans une société-monde en gestation, la poussée vers la mondialisation politique introduit un pluralisme à venir, plus propice à la paix et à la justice mondiales que la seule domination d'une superpuissance hégémonique trop sûre d'elle-même. Elle démontre dans les faits, pour éviter de passer par le déchaînement de la violence, que des seuils nouveaux sont devant nous dans la vie en humanité au XXIe siècle, car elle admet elle-même qu’elle doit franchir pacifiquement une étape inédite vers la création d'une société-monde. »

Henri Madelin était un religieux de son temps, traversé et nourri des défis de l'Église et du monde. À sa manière, il a incarné pour beaucoup d'entre nous le visage d'un Christianisme à l'écoute des signes des temps, comme le rêvait Gaudium et Spes. Le Ceras est fier d'avoir pu profiter de son compagnonnage.

Marcel Rémon, jésuite, directeur du Ceras

1 H. Madelin, « Benoît XVI, théologien de la doctrine sociale », Revue Projet 2013/2 (N° 333).

2 H. Madelin, « Gouvernance et Autorité mondiale », 9 mai 2017.

3 Benoît XVI, Caritas in Veritate, 2009, n° 57 et 67.

4 Jacques Lévy, Le monde pour cité, Hachette, 1996.