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09 mai 2017

Gouvernance et autorité mondiale

Henri Madelin, jésuite

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Depuis les années soixante, l’Église se préoccupe davantage des réalités mondiales et de la façon de les réguler. En conséquence, le ton des encycliques sociales se fait plus ouvert à des champs nouveaux. On ne parle plus seulement à quelques responsables d’en haut, à ceux des continents marqués depuis longtemps par le christianisme, ou à des catégories sociales bien typées. Le message se dilate et s’élargit ; il entend se tourner vers la pluralité des continents et la totalité du genre humain. On parle alors de toute « la famille humaine ». La question qui traverse les encycliques est désormais de savoir à quelles conditions, selon quels schémas et dans quels délais construire une « autorité mondiale » qui soit à la mesure des besoins des hommes et des nécessités de notre époque. Le mouvement est lancé en 1967, sous la signature de Paul VI, avec Populorum progressio, une encyclique qui parle de « tout l’homme » et de « tous les hommes » et qui s’adresse donc à chacun et à tous les habitants de la planète.

Une encyclique pour tous les peuples : Populorum progressio (1967)

« Voici que le cri des peuples sans travail, sans toit, sans pain, trouve un haut-parleur tellement fidèle que les lecteurs des encycliques traditionnelles restent un instant déroutés par celle-ci. Les phrases feutrées et ecclésiastiques de la diplomatie vaticane sont remplacées par des textes techniques et des invectives aussi dures que celles de saint Jean Chrysostome. Il a osé le dire... » Ainsi s'exprimait Mgr Jean Rodhain en 1987 à l'occasion de la célébration du vingtième anniversaire de Populorum progressio1. Ce texte fort, nouveau, passionné, vraiment catholique au sens étymologique du terme, retentit comme un coup de tonnerre que les hommes du monde entier vont pouvoir entendre. Il est signé par Paul VI en la fête de Pâques du 26 mars 1967. C'est pourquoi cette encyclique sera appelée par François Perroux « l'encyclique de la Résurrection » : elle entend remettre debout toutes les nations, les « nanties » comme les « prolétariennes ».

Il s'agit de s'adresser à l'humanité tout entière, aux riches comme aux pauvres. « Pour les nations comme pour les personnes, l'avarice est la forme la plus évidente du sous-développement moral »... Ou encore : « Nul n'est fondé à réserver à son usage exclusif ce qui passe son besoin, quand les autres manquent du nécessaire. [... ] Il faut aussi le dire : le superflu des pays riches doit servir aux pays pauvres. La règle qui valait autrefois en faveur des plus proches doit s'appliquer aujourd'hui à la totalité des nécessiteux du monde. » Telles sont quelques-unes des perles précieuses qui parsèment l'encyclique. On en conclut que le travail est devant nous, que nous en sommes responsables : le Christ n'a pas dit : « Je vous ai bâti une Église », mais « Je bâtirai mon Église ».

À relire l'encyclique aujourd'hui, on mesure en effet le souffle qui l'anime, son caractère universel, la variété de ses destinataires - catholiques, chrétiens, croyants non chrétiens, hommes de bonne volonté, experts, responsables économiques, sociaux et politiques, etc. - et le changement opéré avec le refus d’un discours trop clérical. Car son message, ainsi que le souligne Paul VI dans l'appel final, s'adresse d'abord et avant tout aux laïcs, que le concile Vatican II vient de reconnaître comme des partenaires essentiels dans l'Église peuple de Dieu (cf PP 81).

Personne et communauté

Les notions de personne et de communauté sont au centre de cette encyclique. La perspective est celle d’une ouverture à une anthropologie mondiale ; c’est pourquoi elle insiste sur le fait qu'il s'agit de promouvoir le développement de « tout l'homme » et de « tous les hommes » : « Le monde est malade. Son mal réside moins dans la stérilisation des ressources ou leur accaparement par quelques-uns que dans le manque de fraternité entre les hommes et entre les peuples » (PP 66). Le développement doit viser l'intégralité de chaque homme et « promouvoir la solidarité entre tous les hommes ». C'est même cette perspective qui structure l'organisation du document et justifie pour ainsi dire son existence. Ainsi la personne et la communauté sont opportunément reliées. Le texte distingue en outre judicieusement « croissance » et « développement », la première n'étant qu'une des causes ou une des conséquences, qui peuvent être néfastes si l'on n'y veille pas, du second.

Le développement est donc un autre mot-clé du texte. Comme le souligne Paul VI, il implique la reconnaissance des cultures spécifiques et des valeurs propres à chaque peuple, à chaque communauté. Car, aux yeux de l'Église, les personnes et les communautés qu’elles forment dans chaque nation sont plus importantes que les richesses qu'elles produisent, ou qu'elles possèdent. Aussi la solidarité doit-elle l'emporter sur l'égoïsme. Réduire les armements et taxer leur commerce, passer d'un impôt sur le revenu national à un impôt sur le revenu planétaire pour redistribuer une partie des revenus des pays les plus riches aux pays les plus pauvres, favoriser l'aide et le commerce en faveur des pays les plus démunis, telle est la nouvelle bataille à entreprendre, depuis que « le développement est le nouveau nom de la paix » et parce qu’aujourd'hui « la question sociale est devenue mondiale » (PP 3).

En 1987, pour le vingtième anniversaire de Populorum progressio, Saint Jean Paul II insistera, dans Sollicitudo rei socialis, sur l’actualité de ces thèmes. Il en tirera la conclusion que « la doctrine sociale de l’Église a aujourd’hui le devoir de s’ouvrir à une perspective internationale dans la ligne du Concile Vatican II et des encycliques qui l’ont suivi » (SRS 42)

En 1991, cent ans après Rerum novarum paraît Centesimus annus. Saint Jean Paul II y célèbre la sortie de la nuit du monde communiste. Pour parler de l’autorité publique chère à ses prédécesseurs, il analyse les conséquences pour la planète et les pouvoirs publics d’une mondialisation de l’économie.

« Il ne s’agit pas seulement de donner de son superflu mais d’apporter son aide pour faire entrer dans le cycle du développement économique et humain des peuples entiers qui en sont exclus ou marginalisés. Ce sera possible non seulement si l’on puise dans le superflu, produit en abondance par notre monde, mais surtout si l’on change les styles de vie, les modèles de production et de consommation, les structures de pouvoir établies qui régissent aujourd’hui les sociétés. Il ne s’agit pas non plus de détruire des instruments d’organisation sociale qui ont fait leurs preuves, mais de les orienter en fonction d’une juste conception du bien commun de la famille humaine tout entière. Aujourd’hui est en vigueur ce qu’on appelle la "mondialisation de l’économie", phénomène qui ne doit pas être réprouvé car il peut créer des occasions extraordinaires de mieux-être. Mais on sent toujours davantage la nécessité qu’à cette internationalisation croissante de l’économie corresponde l’existence de bons organismes internationaux de contrôle et d’orientation, afin de guider l’économie elle-même vers le bien commun, ce qu’aucun État, fût-il le plus puissant de la terre, n’est plus en mesure de faire. Pour qu’un tel résultat puisse être atteint, il faut que s’accroisse la concertation entre les grands pays et que, dans les organismes internationaux spécialisés, les intérêts de la grande famille humaine soient équitablement représentés. Il faut également qu’en évaluant les conséquences de leurs décisions, ils tiennent toujours dûment compte des peuples et des pays qui ont peu de poids sur le marché international mais qui concentrent en eux les besoins les plus vifs et les plus douloureux, et ont besoin d’un plus grand soutien pour leur développement. Il est certain qu’il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine. » (CA 58)

Les encycliques successives ne feront que creuser davantage ce sillon. Il s’agira surtout de favoriser une nouvelle « gouvernance » du monde, un concept ancien qui refait surface à cette époque. Cela demande donc quelques explications.

La notion de gouvernance

Le mot de gouvernance a été en usage dans la langue française jusqu’au 16e siècle, époque où les États modernes commencent à se penser, à se forger et à se doter de « gouvernements ». Le gouvernement désigne dorénavant l’exercice du pouvoir, et la gouvernance, l’éthique dans l’acte de gouverner.

Mais le mot revient sur le devant de la scène, via son cousin anglo-saxon « governance », à partir des années 70. Il désigne d’abord de nouvelles formes de gestion d’entreprise, puis il est associé, dans les années 80, à un « management public » anglo-saxon privilégiant la délégation de pouvoir. Mais c’est dans les années 90, avec la montée en puissance de la mondialisation, que la gouvernance – et les débats passionnés qu’elle suscite – se retrouve dans la bouche de tous les politiques et chercheurs.

La gouvernance (mondiale, globale, politique, économique, « bonne ») fait l’objet de définitions concurrentes. Elle concerne en tous cas la recherche de nouveaux modes de régulation, dans un monde globalisé où les vieilles recettes ne sont plus adéquates. Elle prône un décentrement par rapport aux espaces classiques de la prise de décision, essaye de prendre en compte la multiplicité des lieux et des acteurs impliqués, privilégie la mise en place de nouveaux modes de pilotage plus souples et plus éthiques, fondés sur un partenariat ouvert et éclairé entre différentes parties prenantes.

L’Église se montre réticente à entrer dans ce vocabulaire ancien et nouveau parce qu’il est susceptible d’interprétations contrastées et qu’il suscite d’âpres polémiques. La gouvernance mondiale est en effet l’objet d’évaluations diverses. Elle est notamment combattue par l’altermondialisme et le souverainisme, pour des raisons opposées. Il reste que la question qu’elle pose – « Comment résoudre de façon démocratique les problèmes globaux auxquels notre monde est dorénavant confronté ? » - touche au cœur de la crise de désaffection que traversent nos systèmes démocratiques. En essayant de penser à nouveaux frais, et de mettre en œuvre, une autorité mondiale renouvelée, gagnant en leadership, en légitimité, en efficacité et en cohérence, c’est à la démocratie, et non à l’anarchie ou à la loi du plus fort, qu’elle propose d’arbitrer les conflits de la mondialisation. De même, ce qui préoccupe désormais l’Église est de lutter contre le désordre mondial par le biais d’une autorité nouvelle à compétence universelle.

Vers une gouvernance mondiale

Paul VI insiste, dans Populorum progressio, sur la nécessaire collaboration internationale qui doit conduire un jour à une autorité mondiale en mesure d'agir efficacement sur le plan juridique et politique (PP 78). Il reprend brièvement l'argumentation développée par son prédécesseur, Saint Jean XXIII, dans Pacem in terris. Aujourd’hui encore on est frappé par les formules audacieuses et novatrices qui avaient beaucoup frappé dès la parution de cette encyclique. Saint Jean XXIII y décrit la nécessité de dépasser le blocage des relations entre États nationaux en vue de construire petit à petit une « autorité politique mondiale », qui présuppose pour son fonctionnement le respect de quelques conditions (cf PT 136-138).

Selon Saint Jean XXIII, ce pouvoir supranational ne peut être imposé par la force, ni tourné vers des intérêts particuliers ou confié aux nations les plus puissantes (cf PT 139-140).

La référence à la personne humaine, le souci d’un bien commun universel, la pratique de la subsidiarité, l’appel aux corps intermédiaires soulignent à la fois la complexité de ces questions et l’urgence de leur trouver une solution satisfaisante (cf PT 141).

Les perspectives de Benoît XVI

Benoît XVI s’inscrit dans la continuité avec ses prédécesseurs, notamment dans l'encyclique Caritas in veritate, publiée le 29 juin 2009. Mais le successeur de Saint Jean-Paul II introduit sa marque propre grâce à une meilleure articulation entre foi et raison et surtout par de nouveaux enrichissements du principe de subsidiarité. Ces approches lui permettent d’établir des liens forts entre le principe de subsidiarité (CV 57) et les contours de ce qu’il appelle une « véritable Autorité politique mondiale » dont il est question en CV 67.

Ce centrage sur la personne humaine, sa responsabilisation, son ouverture et sa capacité à se montrer oblative en toutes circonstances exigent dans les faits le débat entre consciences capables de se hisser jusqu’à un universel concret, autre nom de la réalité internationale. Car la société civile mondiale ne peut se construire qu’en s’appuyant, en chaque nation, dans le respect de l’autonomie des corps intermédiaires, sur la capacité d’une élite citoyenne à se mouvoir au sein d’un bien commun universel toujours plus élargi.

La subsidiarité est à concevoir comme l’antidote de toute forme de paternalisme. Elle est profondément démocratique, liée à un constant souci de promouvoir la liberté dans la vie sociale. C’est pourquoi, elle refuse toutes les formes de monocratie. Une autorité mondiale est désormais nécessaire. C’est pourquoi, affirme Benoît XVI à la fin du n°57, elle doit être pensée de façon nouvelle. « La ‘gouvernance’ de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui coopèrent entre eux ».

Interdépendance mondiale et gouvernement planétaire

Interdépendance mondiale et gouvernement planétaire sont devenus nécessaires en notre temps. Mais ils ne sont plus suffisants devant l’urgence des questions qui se posent aux peuples de la terre. Face à de nouvelles nécessités, Benoît XVI reprend les demandes de ses prédécesseurs - spécialement Saint Jean XXIII - en faveur d’une autorité de type planétaire, qu’il ne craint pas d’appeler une « véritable Autorité politique mondiale ».

A quelles conditions une telle autorité planétaire pourrait-elle se mettre en place si elle veut fonctionner pour le bienfait de tous et ne pas devenir la proie d’intérêts particuliers ou de la stratégie des plus puissants ? Il importe d’inventer un nouveau modèle qui ne soit ni éloigné des réalités de base, ni technocratique, ni destructeur des libertés des hommes et du respect des peuples. La richesse du principe de subsidiarité, mis en œuvre pour le bénéfice de chacun et de tous, devrait en guider les orientations. Le modèle à trouver est à concevoir sur le modèle d’une sorte de Sénat des représentants d’un monde fait de quelques régions significatives et autogouvernées, comme l’est déjà potentiellement l’Union européenne. Au terme de ce N° 67, Benoît XVI énumère quelques finalités à promouvoir pour cette nouvelle avancée de l’espèce humaine, tout en soulignant les impasses à éviter si l’on veut engendrer un processus durable (CV 67).

Les perspectives du pape François

Le pape François se situe dans la ligne de ses prédécesseurs en matière de prise en compte des apports novateurs de la Doctrine sociale de l’Eglise. Ayant habité un continent et un pays marqués par des difficultés économiques et des soubresauts politiques, il est plus attentif que ses prédécesseurs aux « fragilités » de l’économie et de la politique. L’économie est constamment tirée par l’autonomie des marchés, l’appât du gain et les risques de corruption. De son côté, le politique est velléitaire ; chaque nation entend rester le plus possible souveraine, ce qui ne facilite guère l’organisation d’une coopération entre pays et la mise en œuvre d’une politique de coopération mutuelle sous la houlette d’une autorité publique mondiale. C’est ce que souligne le N°56 d’Evangelii Gaudium :

 « Alors que les gains d’un petit nombre s’accroissent exponentiellement, ceux de la majorité se situent d’une façon toujours plus éloignée du bien-être de cette heureuse minorité. Ce déséquilibre procède d’idéologies qui défendent l’autonomie absolue des marchés et la spéculation financière. Par conséquent, ils nient le droit de contrôle des États chargés de veiller à la préservation du bien commun. Une nouvelle tyrannie invisible s’instaure, parfois virtuelle, qui impose ses lois et ses règles, de façon unilatérale et implacable. De plus, la dette et ses intérêts éloignent les pays des possibilités praticables par leur économie et les citoyens de leur pouvoir d’achat réel. S’ajoutent à tout cela une corruption ramifiée et une évasion fiscale égoïste qui ont atteint des dimensions mondiales. L’appétit du pouvoir et de l’avoir, ne connaît pas de limites. Dans ce système, qui tend à tout phagocyter dans le but d’accroître les bénéfices, tout ce qui est fragile, comme l’environnement, reste sans défense par rapport aux intérêts du marché divinisé, transformés en règle absolue. »(EG 56)

De plus le pape François souligne la nécessité de s’appuyer sur des hommes politiques véritablement soucieux de se mettre au service du bien commun au N°205 d’Evangelii gaudium :

 « Je demande à Dieu que s’accroisse le nombre d’hommes politiques capables d’entrer dans un authentique dialogue qui s’oriente efficacement pour soigner les racines profondes et non l’apparence des maux de notre monde ! La politique tant dénigrée, est une vocation très noble, elle est une des formes les plus précieuses de la charité, parce qu’elle cherche le bien commun2. Nous devons nous convaincre que la charité "est le principe non seulement des micro-relations : rapports amicaux, familiaux, en petits groupes, mais également des macro-relations : rapports sociaux, économiques, politiques"3. Je prie le Seigneur qu’il nous offre davantage d’hommes politiques qui aient vraiment à cœur la société, le peuple, la vie des pauvres ! Il est indispensable que les gouvernants et le pouvoir financier lèvent les yeux et élargissent leurs perspectives, qu’ils fassent en sorte que tous les citoyens aient un travail digne, une instruction et une assistance sanitaire. Et pourquoi ne pas recourir à Dieu afin qu’il inspire leurs plans ? Je suis convaincu qu’à partir d’une ouverture à la transcendance pourrait naître une nouvelle mentalité politique et économique, qui aiderait à dépasser la dichotomie absolue entre économie et bien commun social. »(EG 205)

Le 25 septembre 2015, le Pape François, s’exprimant à la tribune de l’O.N.U., exhortait les Etats à « aller au-delà des déclarations et [à] être efficaces ».

Dans l’article 175 de son encyclique Laudato Si du 24 mai 2015, il insistait à nouveau sur la nécessité d’une « Autorité politique mondiale » esquissée par le Pape Saint Jean XIII (Encyclique  Pacem in terris) et le Pape Benoît XVI (Encyclique Caritas in veritate), clef de voute – à créer – de l’organisation internationale, destinée à veiller à l’application effective des accords entre gouvernements nationaux en tous domaines.

« La même logique qui entrave la prise de décisions drastiques pour inverser la tendance au réchauffement global, ne permet pas non plus d’atteindre l’objectif d’éradiquer la pauvreté. Il faut une réaction globale plus responsable, qui implique en même temps la lutte pour la réduction de la pollution et le développement des pays et des régions pauvres. Le XXIème siècle, alors qu’il maintient un système de gouvernement propre aux époques passées, est le théâtre d’un affaiblissement du pouvoir des États nationaux, surtout parce que la dimension économique et financière, de caractère transnational, tend à prédominer sur la politique. Dans ce contexte, la maturation d’institutions internationales devient indispensable, qui doivent être plus fortes et efficacement organisées, avec des autorités désignées équitablement par accord entre les gouvernements nationaux, et dotées de pouvoir pour sanctionner. Comme l’a affirmé Benoît XVI dans la ligne déjà développée par la Doctrine sociale de l’Eglise : "Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, [saint] Jean XXIII"4. Dans cette perspective, la diplomatie acquiert une importance inédite, en vue de promouvoir des stratégies internationales anticipant les problèmes plus graves qui finissent par affecter chacun. » (LS 175)

« Le monde pour cité »

Cette nouvelle forme de gouvernance de la mondialisation dont les papes sont en quête depuis Saint Jean XXIII est évidemment difficile à mettre en œuvre. Il y faudra du temps et la confrontation avec des tensions redoutables : la coopération entre le local et le global; les deux faces, vers le haut et vers le bas, de la subsidiarité ; l’efficacité et la légitimité ; les crispations nationales, souvent soupçonneuses devant l’ouverture à cette grande cause qui doit être servie par des organisations et des citoyens du monde de plus en plus nombreux. Ces partenaires viennent de tous les continents et ont comme horizon ce que le P. Teilhard de Chardin appelait justement « le sens de la terre ». Pour faire tenir ensemble les pierres de cette nouvelle construction, le principe de subsidiarité, souligne Benoît XVI, sera un outil capital pour concilier efficacité et légitimité, blocages et dynamismes nouveaux, souci des plus démunis et respect des libertés essentielles (CV 57 et CV 67).

Malgré la fin de la guerre froide, on ne constate guère de véritables pas en avant. Le projet de réforme de l’O.N.U. n’a pas abouti pour le moment. Chaque État continue de régir ses rapports avec les autres nations selon les règles de l'état de nature tel que l'ont décrit les philosophes du Contrat social, recourant à la force pour faire valoir le droit ou se mettant sous la protection des plus puissants d'entre eux. Il se pourrait cependant que depuis l'effondrement de l'URSS qui a consacré la faillite du modèle léniniste, les rapports internationaux empruntent aujourd'hui des voies inédites par le biais de regroupements régionaux. La marche vers l'Union européenne a représenté, en ce sens, une avancée décisive. Cette avancée dépasse l'horizon du continent : engagée de façon volontaire et pacifique à partir des situations conflictuelles d'antan, elle a, malgré ses lenteurs, une valeur d'exemplarité pour d'autres qui sont attirés par ce modèle, sans avoir tous les atouts que possèdent les Européens de l'Ouest.

L’Union européenne est le premier ensemble planétaire à avoir expérimenté réellement cette nouvelle forme de gouvernance pour humaniser au mieux les processus de mondialisation. Avec plus ou moins d’intensité selon les saisons et le charisme des responsables, il y est question, comme le soulignait Jacques Delors, de relever plusieurs défis : faire de l’Europe un ensemble fondé sur la paix, la compréhension mutuelle entre les peuples, un vivre-ensemble exemplaire, une solidarité effective, « une manière, à l’époque de la mondialisation, de partager les souverainetés nationales et donc une référence pour les architectes d’une gouvernance mondiale ». A côté de l’Alena nord-américaine, de l’Asean asiatique, du Mercosur sud-américain… l’UE est un ensemble qui reste, en dépit de ses failles, en tête de la course par suite de ses choix audacieux au sortir de la Seconde Guerre mondiale et grâce à un certain savoir-faire communautaire.

Les personnes et les communautés doivent, pour se développer, apprendre désormais à avoir « le monde pour cité », pour reprendre le titre du livre de Jacques Lévy5. Dans une société-monde en gestation, la poussée vers la mondialisation politique introduit un pluralisme à venir, plus propice à la paix et à la justice mondiales que la seule domination d'une superpuissance hégémonique trop sûre d'elle-même. Elle démontre dans les faits, pour éviter de passer par le déchaînement de la violence, que des seuils nouveaux sont devant nous dans la vie en humanité au XXIe siècle, car elle admet elle-même qu’elle doit franchir pacifiquement une étape inédite vers la création d'une société-monde.

La mise en place d’une Autorité politique mondiale suppose la croissance d’une opinion publique planétaire dans un monde plus solidaire et moins désordonné que celui dans lequel nous vivons. Certains parlent d’utopie. Certes l’horizon semble encore lointain, mais les convictions et les nécessités y poussent de plus en plus. Une telle avancée apparaîtra un jour indispensable pour la survie de la planète toute entière.



  • 1. Message du Secours catholique, n° 391, mars 1987.
  • 2. Cf. Commission sociale des Évêques de France, Réhabiliter la politique (17 février 1999) ; Pie XI, Message, 18 décembre 1927.
  • 3. Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), CV 2 : AAS 101 (2009), 642.
  • 4. Benoît XVI, Lett. Enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), CV 67 : AAS 101 (2009), 700.
  • 5. Jacques Lévy, Le monde pour cité, Hachette, 1996.