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23 janvier 2013

La Bible

Kenneth Himes

L’influence globale de la Bible sur la doctrine sociale de l’Église (DSE) est devenue plus sensible au fur et à mesure que les catholiques s’intéressant à la dimension sociale de la foi amélioraient leurs connaissances bibliques et que ceux qui sont chargés d’élaborer les documents de la DSE s'appropriaient davantage les découvertes de la critique biblique moderne. La manière dont les récents documents de la DSE font appel à la Bible reflète la place centrale que celle-ci devrait avoir dans la théologie catholique. L’usage de la Bible dans la DSE fut, en d’autres temps, moins précis : on se contentait d’en citer un passage à titre de bref rappel d’une idée importante de la tradition. Ce fut le cas, par exemple, lorsque les évêques de Vatican II ou les papes Paul VI et Jean Paul II citèrent la parabole du riche et de Lazare (Lc 16, 19-31) pour souligner que ceux qui disposent de moyens corrects doivent toujours se souvenir de ceux qui en sont dépourvus. Ne comportant pas d’examen approfondi du texte de Luc, la citation de la parabole sert plutôt à rappeler toute une série d’images, de récits et d’enseignements formels de la tradition quant à l’obligation morale de prendre soin des pauvres. Il se peut qu’une telle approche de la Bible ne soit pas totalement appropriée d’un point de vue exégétique mais elle interpelle légitimement notre conscience et notre imagination religieuse.

Avant Vatican II, des textes tels que Rerum novarum, Quadragesimo anno et Pacem in terris étaient principalement construits autour d’une réflexion de droit naturel dans laquelle les Écritures servaient d’appui à la formulation de l’enseignement. Bien entendu, la tradition catholique ne traite pas la Bible comme unique origine de la sagesse morale : elle puise aussi à d’autres sources (tradition, philosophie, expérience humaine, sciences empiriques) mais ceci ne signifie pas que le témoignage biblique puisse être négligé.

Publié par le Conseil pontifical Justice et paix en 2004, le Compendium de la doctrine sociale donne un exemple de la tendance à s’appuyer trop fortement sur d’autres sources de sagesse. En effet, ce document contient plus de références à un seul pape –Jean Paul II – qu’à toute la Bible. Pourtant, le Compendium fait un usage approprié du texte biblique lorsqu’il cite celui-ci, « approprié » voulant dire que la Bible est utilisée en tenant compte de son caractère historique et du défi que constitue l’interprétation pour aujourd’hui de la signification et du sens d'un texte ancien.

La Bible en tant que tradition vivante

La tradition catholique est enracinée dans la tradition hébraïque et ses Écritures. La meilleure manière de comprendre cette tradition qui remonte à plus de 3000 ans n’est pas de la considérer comme quelque chose dont nous disposerions mais plutôt comme quelque chose qui nous possède. En effet, nous appartenons à la tradition. Lorsque nous lisons les récits de l’Exode ou les récits historiques relatifs au développement de la royauté en Israël et du mouvement prophétique, nous comprenons que ces textes parlent de nos ancêtres spirituels. Quand Jésus invitait ses auditeurs à devenir disciples, nous entendons cette invitation comme adressée aussi à nous. Lorsque Paul se bat pour exprimer la signification de la résurrection de Jésus aux Juifs et aux Gentils, nous réalisons que son effort fait partie de notre propre recherche pour comprendre ce que Jésus signifie.

Cette pratique d’efforts et de luttes des générations de croyants qui nous ont précédés fait partie de notre propre vie : voilà ce qui garde la tradition biblique vivante. La Bible, en effet, n’est pas un musée que l’on visiterait pour se promener dans le passé. C’est, au contraire, une entrée dans une manière de voir et de comprendre notre propre monde. Étant donné cependant que ce monde ancien n’est pas identique au nôtre, nous ne devons pas nous borner à répéter aujourd’hui chaque détail du texte mais plutôt faire fond sur la tradition qui nous aide à mieux comprendre notre monde actuel au lieu de reproduire l’ancien.

Les documents de la DSE ne présument pas qu’un texte biblique quel qu’il soit puisse résoudre les difficultés pratiques d’ordre économique, politique ou social. Aborder la Bible avec cet espoir serait se fourvoyer d’emblée. Au contraire, nous nous approprions les idéaux, les vertus et les dispositions que nous trouvons dans la Bible car ces qualités forment notre caractère, offrent des repères à notre discernement et encouragent certains types de comportements. En ce sens, la Bible nous révèle quel type d’homme ou de femme nous cherchons à être ainsi que le type de communautés que nous désirons construire. Et surtout, la Bible révèle quel est le Dieu que les chrétiens adorent, auquel ils obéissent et qu’ils suivent.

Avertir qu’un véritable israélite ne doit pas opprimer l’étranger, la veuve et l’orphelin (Ex 22, 21-22) – triade biblique désignant ceux qui sont marginalisés dans une société tribale et patriarcale – ne nous donne aucune orientation particulière directe pour notre législation sociale mais le texte nous dit que Dieu en qui nous croyons s’intéresse de manière spéciale aux pauvres et aux sans-pouvoirs. Ceux qui prétendent aimer un tel Dieu ne pourraient-ils pas s’efforcer, eux aussi, d’aimer ceux qu’Il aime : les veuves, les orphelins et les étrangers de notre temps ? De même, l’exemple de Jésus lavant les pieds de ses disciples lors du dernier repas (Jn 13, 3-15) ne donne aucune directive précise aux chrétiens quant à la manière de concevoir leurs obligations sociales. Cependant la méditation régulière de ce texte influencera sans aucun doute l’esprit du croyant qui cherche l’occasion de servir les autres.

Ce qui précède suggère qu’on ne peut limiter l’influence de la Bible dans la DSE aux textes contenant un enseignement explicitement social. Nombreux sont, en effet, les passages bibliques qui transmettent des idéaux, des vertus et des dispositions dont notre vie sociale peut s’inspirer. La meilleure manière de comprendre l’importance de la Bible pour la DSE ne consiste donc pas à centrer notre attention sur les seuls passages directement cités dans les textes de celle-ci. Car l’influence de la Bible s’étend à la manière dont elle forme notre réceptivité à l’enseignement de la DSE en nous disposant à lire ses textes avec sympathie. Évidemment, reconnaître cette influence large de la Bible ne nous empêche pas de noter que certains passages de l’Ancien et du Nouveau Testament revêtent une grande importance en raison de leur pertinence directe pour la DSE.

Thèmes communs de l’Ancien Testament dans la DSE

Le cœur de la DSE repose sur un ensemble d‘affirmations selon lesquelles la personne humaine est à la fois sacrée et sociale. Croire, selon Genèse 1, 26, que les êtres humains sont créés à l’image et à la ressemblance de Dieu constitue le fondement de la tradition sociale catholique sans cependant que ceci soit imputable à une quelconque qualité humaine telle que l’intelligence ou le libre arbitre. Les exégètes considèrent que ce texte pointe plus probablement le fait que les hommes ont un rôle de représentants, de régents de Dieu ou d’interlocuteurs créés avec lesquels le Créateur peut communiquer, de sorte que toute personne est digne de respect et d’honneur quel que soit son statut social, sa race, son appartenance ethnique, sa religion ou son sexe.

Les récits de la création tels qu’ils figurent dans la Genèse suggèrent ainsi que les êtres humains sont des êtres sociaux faits les uns pour les autres. Etre humain, ce n’est pas être seul mais être en relation (Gn 2, 18-24). Cette vision du caractère intrinsèquement social de la personne se retrouve aussi dans l'enseignement biblique qui affirme que, dès le début, l’être humain est en relation avec Dieu son créateur ainsi qu’avec les autres créatures.

Plus récemment, les textes de la Genèse ont été étudiés en raison de leur vision du monde dans une approche proprement catholique de l’écologie, thème récent mais important de la DSE. Il est clair que les récits de la création dans la Genèse affirment la bonté essentielle de l’univers physique. La bonté de la création n’est pas reconnue à celle-ci par le jugement de l’homme mais elle est proclamée par Dieu. Le monde n’est pas bon en raison de son utilité pour l’humanité mais parce que la création est sortie de la main de Dieu. Il faut lire le passage où les hommes sont établis par Dieu « pour cultiver et garder » le jardin (Gn 2, 15) et bien comprendre ce que signifie pour les humains le fait d’avoir domination sur la création. Dans le monde hébreu ancien, cette expression signifiait : prendre soin de quelque chose donné par un roi en sa qualité de représentant ou de régent de Dieu. Le rôle du roi ne consistait pas à mettre les autres sous sa coupe mais à agir en tant que « dominus », seigneur, représentant de Dieu, cherchant le bien de ceux qui lui étaient confiés. Compris correctement, le message biblique transparaissant dans les récits de la création reconnaît le rôle unique du genre humain dans le plan de la création mais pas en tant que maître du jardin terrestre et libre d’y faire ce qu’il lui plait. Les humains ont, au contraire, une responsabilité particulière pour la terre puisqu’ils ont été chargés d’exercer la domination sur le monde (c’est-à-dire d’en prendre soin comme Dieu qui l’a créé).

Nous trouvons dans le livre de l’Exode deux thèmes particulièrement importants pour la DSE : la libération et l’alliance. Le récit de l’esclavage du peuple hébreu en Egypte constitue un paradigme pour tous ceux qui vivent l’oppression du fait d’institutions sociales injustes. Le récit biblique ne se borne pas à raconter une lutte de pouvoir entre des opprimés et un oppresseur : il parle aussi du combat d’un Dieu juste et miséricordieux contre des puissances créées qui s’opposent à lui. Quand nous lisons dans l’Exode que « Dieu entendit leurs gémissements et se souvint de son alliance » (Ex 2,14), le texte affirme que le Dieu d’Abraham et de Sarah sera fidèle au peuple qu’Il s’est choisi. C’est précisément à travers l’expérience d’une libération politique, économique et sociale qui l’a fait sortir d’Égypte et entrer dans un pays nouveau que le peuple hébreu accède à sa connaissance religieuse de qui est Yahweh. La DSE veille bien à ne pas faire équivaloir la plénitude du salut à quelque réussite terrestre ou historique tout en montrant clairement cependant que ni Dieu ni Son peuple ne peuvent être indifférents aux malheurs qui enlèvent à ce dernier toute possibilité d’être tel que Dieu l’a appelé, en chacun de nous, à être.

Évidemment, la libération ne consiste pas seulement à se dégager du joug de Pharaon mais aussi à être libre d’entrer plus authentiquement dans une relation d’alliance avec Yahweh. Israël fut établi en tant que nation afin que le peuple hébreu puisse vivre sous la loi de Dieu plutôt que sous le fouet d’un oppresseur. Comme tous les prophètes après lui, Moïse fut appelé par Dieu pour prendre soin d’un peuple qui cherchait un guide et un chef pour pouvoir vivre une vie plus authentique avec son Dieu. Et l’authenticité implique une manière de vivre les uns avec les autres ainsi qu’avec Yahweh. Le point central de la DSE apparaît de façon évidente dans tous ses documents et consonne à l’accent mis par la Bible sur la construction d’une communauté véritable, chemin pour chacun d’expression de sa foi en Dieu.

Pourtant, pendant leurs pérégrinations au désert et lors des époques ultérieures, les Hébreux furent inconstants dans leur fidélité à Yahweh. Cette inconstance à l’égard de l’alliance se manifesta dans la tentation d’idolâtrie et l’indifférence au désir de Yahweh qui souhaitait une communauté vivant dans la justice, la miséricorde et la paix. D’Amos à Zacharie, les prophètes furent les hommes que Dieu envoya à la communauté pour rappeler le peuple à la fidélité à l’alliance. Celle-ci impliquait un pacte relationnel violé chaque fois que les Hébreux négligeaient les veuves, les orphelins et les étrangers qui sont les préférés de Yahweh.

L’option pour les pauvres – entendus au sens de sans-pouvoirs et de marginalisés – est un thème central de la DSE moderne et sa première expression remonte au message des prophètes.

Le cœur de la doctrine sociale est un message concernant la justice et la paix et il est clair que l’Ancien Testament joue un rôle majeur dans la formation de ces idées qui sont au centre de la DSE. A la différence de nombreuses approches philosophiques de la justice, la meilleure manière de comprendre l’idéal de la justice au sens de la Bible ne consiste pas à rendre aux gens ce qui leur est du ni à décomposer la justice en catégories – justice communautaire, juridique, distributive – à l’instar des théoriciens médiévaux.

La justice biblique est globale et, de ce fait, moins précise mais elle dépeint un idéal essentiel de la vie sociale. Vue à partir de l’alliance, la justice concerne les relations. En fait, la justice biblique porte entièrement sur le maintien d’une juste relation aux autres : Yahweh, les coreligionnaires et la société dans son ensemble. La justice porte essentiellement sur la construction de la communauté et la mise en place d’institutions capables d’aider les membres de la communauté à se développer pleinement et de façon authentique. La promotion de la justice sociale réclamée par la DSE est une manière d’exprimer cet idéal en soulignant que c’est en vivant dans des sociétés pourvues d’institutions politiques, économiques, juridiques, éducatives, sociales et religieuses fonctionnant correctement que les personnes réalisent au mieux leur développement véritable et authentique. La paix est à réaliser par un travail de création et de restauration d’une saine communauté.

Lorsque la justice est réalisée, au moins dans une bonne mesure, la paix peut fleurir. La paix est « le fruit de la justice » (Is 32,17), elle résulte de l’établissement de communautés justes. C’est pourquoi la DSE n’a pas une conception négative de la paix – absence de guerre, ce qui reste lorsque les armes se sont tues – mais positive : la paix est un état d’existence construit par des actes de justice, de pardon, de compassion et de vérité. La paix est quelque chose à réaliser par des travaux qui créent et restaurent une saine communauté.

Construire la paix est un projet qui intéresse de plus en plus la DSE, précisément parce qu’il s’agit d’une tâche, d’un objectif qui nécessite un travail et qui ne découle pas automatiquement de l’établissement d’une trêve. Il est possible en effet qu’une fausse paix s’instaure, c’est-à-dire un arrêt de la force violente sans création de formes justes de la vie communautaire. C’est en soulignant que la paix va de pair avec la construction d’une véritable communauté, que l’Ancien Testament donne à la DSE un ton particulier quant à la signification de la paix à notre époque.

Thèmes communs du Nouveau Testament dans la DSE

Un autre thème de la DSE – le règne ou le royaume de Dieu – se trouve dans les évangiles du Nouveau Testament. La prédication de Jésus en est totalement pénétrée du début de son ministère public, au premier chapitre de Marc, jusqu’à son entrevue avec Pilate (Jn 18-19). Pour Jésus et ses disciples, chaque institution, chaque pratique sociale doit être placée dans le contexte du règne de Dieu. Rien ne peut prévaloir sur cette réalité. Les exigences du royaume ont priorité sur toutes les demandes humaines d’ordre politique ou économique.

La compréhension de l’avenir désiré par Dieu pour l’humanité tel qu’il se révèle par les images du règne de Dieu, aide à comprendre ce que devrait être la vie à notre époque. Le règne de Dieu, l’expérience de sa présence active et puissante dans l’Histoire exige de réordonner les fins de celle-ci afin qu’elles reflètent le but divin et non des ambitions humaines. Quant au but de Dieu, il reste constant : former un peuple vivant dans la plénitude de la paix, embrassant la justice et la miséricorde pour tous ses membres.

En réponse à la question de savoir quel est le plus grand commandement, Jésus approuve la réponse du légiste : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit et ton prochain comme toi-même. » Puis, répondant à la question : « Et qui est mon prochain ? », Jésus raconte la parabole du bon Samaritain en montrant que le prochain n’est pas une catégorie géographique mais une catégorie morale : le prochain, c’est quiconque est dans le besoin (Lc 10, 25-37). Pour la DSE, l’amour du prochain ne se limite jamais aux personnes physiquement proches mais la meilleure manière de le comprendre est de lui donner une acception universelle. Cette conception sous-tend les thèmes fondamentaux de solidarité et de destination universelle des biens.

L’enseignement de Jésus se caractérise par l’usage de paraboles dont les histoires et les métaphores ont souvent plusieurs niveaux de sens et la DSE y a évidemment puisé des enseignements importants pour le message social de la foi. Comme nous l’avons déjà dit au sujet de l’emploi fréquent de la parabole du riche et de Lazare, la DSE n’utilise pas les paraboles pour apporter des solutions concrètes aux problèmes sociaux mais pour inviter à une réflexion critique sur les attitudes et motivations qui devraient animer la recherche de remèdes aux maux sociaux. La parabole des brebis et des chèvres (Mt 25, 31-46) où Jésus s’identifie à ceux qui ont faim, soif, qui sont nus et prisonniers, est l’un des enseignements les plus connus ayant influencé la DSE.

Mais Jésus n’enseignait pas seulement par ses paroles : ses actes aussi rendaient témoignage à Dieu. L’un des aspects incontournables de son ministère fut son attitude envers ceux que la société jugeait les moins dignes d’entrer dans le royaume de Dieu. Dans l’Antiquité, partager un repas avec quelqu’un n’était pas un simple moment réservé à l’ingestion de nourriture. S’asseoir à la même table que quelqu’un signifiait montrer avec qui on partageait sa vie, ceux dont on appréciait la présence, auxquels on s’identifiait. Or les évangiles ne cessent de nous dire que Jésus mangeait avec de nombreuses personnes considérées comme des pécheurs publics (Mt 9, 10-12, Lc 19, 7-10). Les collecteurs d’impôts, les prostituées, les lépreux et les handicapés étaient réputés indignes de l’attention de Dieu et pourtant c’est vers eux que Jésus était attiré. Son absence d’exclusion dans l’établissement de relations de soin contredisait directement ceux qui excluaient et méprisaient certains groupes.

Au-delà des évangiles, le Nouveau Testament contient des textes qui attestent que l’Église primitive acceptait d’être une communauté de partage, attentive aux nécessiteux vivant en son sein, ce qui se manifestait par la manière dont les premières églises chrétiennes partageaient les propriétés (Ac 2, 44-46, ; 4, 32-37) et pratiquaient l’aumône (Ac 10,2 ; 10,4 ; 10, 31) en tant qu’expression de la création nouvelle instaurée en Christ (2Co 5, 16-17) et en cohérence avec la lettre de Jacques qui exhorte les disciples à mettre la Parole en pratique et à n’être « pas seulement des auditeurs qui s’abusent eux-mêmes » (Jc 1,22). Dans sa lettre, Jacques emploie un ton qui ressemble à celui du prophète Amos jugeant sévèrement les riches qui n’agissent pas généreusement envers les pauvres.

Un trait important du ministère de Paul auprès des Églises de gentils est la collecte qu’il entreprit auprès d’elles pour leur permettre de témoigner leur solidarité et leur souci aux églises de Judée et aux frères et sœurs juifs plus pauvres de l’église de Jérusalem (1Co 16,1-4 ; 2Co 8-9). Dans l’Église primitive, l’aumône n’était pas facultative : elle était un devoir et un témoignage de la nouvelle forme de vie constituée par le Corps du Christ. Cette question de solidarité se manifeste dans la pensée de Paul au sujet des relations entre les Églises de gentils et les Églises juives ainsi qu’à l’intérieur des communautés de gentils elles-mêmes.

L’enseignement de Paul sur la signification de l’eucharistie montre que le partage du repas du Seigneur comporte une dimension morale. Paul blâme les Corinthiens qui conservent la stratification typique de la société grecque lorsqu’ils se réunissent pour célébrer l’eucharistie. Il poursuit en décrivant l’exemple du Christ dans l’eucharistie et les exigences qui s’imposent aux vrais disciples (1Co 11, 18-27).

L’attitude de solidarité, le souci du prochain proche ou éloigné et le devoir particulier d’attention aux faibles et aux personnes vulnérables sont encouragés d’un bout à l’autre du Nouveau Testament. Ce sont ces thèmes qui ont joué un rôle important dans la conception des principes sous-jacents de la DSE et des valeurs qu’elle promeut explicitement.

Enfin, un autre thème parcourant toute la Bible a aussi marqué la DSE : l’importance du travail. On a souvent dit que la tradition de l’enseignement social moderne catholique a débuté avec l’encyclique sur la condition des ouvriers (Rerum novarum) de Léon XIII. A l’intérieur de cette tradition, le travail continue d’être considéré comme une « clef et probablement la clef essentielle de toute la question sociale ». A cette déclaration, Jean Paul II ajoutait que ce centrage sur le travail humain remonte à la Genèse et se poursuit dans le Nouveau Testament (Laborem exercens 3). Dans la tradition, le travail est considéré comme une bénédiction et non comme une malédiction. Il est vu comme l’occasion d’utiliser ses talents pour contribuer au bien commun, s’assurer un certain bien-être matériel et s’exprimer soi-même. Les aspects positifs du travail humain dans la DSE se situent dans la ligne de l’enseignement biblique sur la dignité du travail.

Conclusion

La Bible n’est pas un livre unique mais une collection de livres nombreux présentant des formes littéraires différentes. On y trouve des poèmes, des récits historiques, des paraboles, des épigrammes, des mythes, des sermons, des lois et des hymnes pour ne citer que quelques genres présents dans cette vaste bibliothèque. Il n’est donc pas étonnant que, prêts à l’emploi, certains textes soient directement utilisés par la DSE alors que d’autres matériaux bibliques y soient moins souvent cités. Il est certain cependant que la DSE a été profondément formée de l’intérieur par la Parole de Dieu.