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25 février 2019

Migrants : de l'accueil à l'intégration

Session 2019 du Ceras en video

Migrants : de l'accueil à l'intégration

Retrouvez les principales conférences de la session annuelle de formation du Ceras, du 28 au 31 janvier 2019, en video sur notre chaine You Tube ceras agitateur de la doctrine sociale de l'Eglise depuis 1903 et  ceras session annuelle 

 

Conclusion de la session par Jean-Marie Carrière, jésuite, membre du Ceras

« On ne peut pas fermer son cœur à un réfugié ou à un migrant [quelles que soient leurs raisons de s’exiler], mais la prudence des gouvernants n’est pas moins nécessaire : nous devons être très ouverts et les recevoir, mais nous devons aussi calculer la manière de les installer, parce qu’un réfugié ou un migrant, on ne doit pas seulement l’accueillir, on doit aussi l’intégrer. » (Pape François)

Mélange de compassion et d’intelligence pratique...

Compassion pour ceux qui, de loin qu’ils étaient, sont devenus proches, sont là... et intelligence pratique, pas seulement pour trouver un lit dans lequel dormir, ou la meilleure procédure pour avoir des papiers, mais intelligence pratique des projets, des désirs, des potentiels au regard de ce que nous pouvons, nous, offrir concrètement, comme nous sommes, avec nos forces et nos faiblesses.
Mélange de compassion et d’intelligence pratique ; mélange de peur et de courage devant la complexité d’un projet à construire ; mélange d’amour et d’exigence.
Dès le début de la relation avec l’exilé — fût-il demandeur d’asile, migrant, réfugié — tenir un regard à la fois sur l’aujourd’hui concret, ses contraintes et ses faillites, et en même temps un regard vers l’avenir, vers demain, vers où l’on pourra aller ou pas.

L’insertion et l’intégration sont à penser dès le début de nos relations, et sont aussi importantes, pour l’avenir et pour le respect des personnes, que le premier accueil qui ne dure qu’un temps.

La dernière lettre du Pape François, en janvier 2018 nous inscrit dans le temps de la durée : accueillir, protéger, promouvoir, intégrer.
C’est bien à un tel changement de paradigme que nous avons été invités au cours de la session. En commençant par un regard plus aiguisé qu’une simple impression de focalisation grâce à l’enquête de More in Common sur les perceptions des migrations par les catholiques français. Puis, en prenant une journée pour nous redire les joies et les contraintes de l’accueil, jusqu’à l’entendre de la bouche même de nos amis exilés du Service Jésuite des Réfugiés. Ensuite, nous avons essayé d’affronter les deux points qui nous ont semblé cruciaux pour un processus d’intégration ici et maintenant : le jeu des différences, dans le quartier et à l’école, et entre croyants, avec les personnes de tradition musulmane. Enfin, chercher à penser l’intégration dans sa dimension de politique publique, et pressentir qu’il y a là un enjeu pas seulement français, mais aussi européen.

Cette prise de conscience du poids des gestes d’accueil à l’accompagnement de l’intégration, nous y sommes déjà, nous l’avons bien senti. Et c’est bien pourquoi les partenaires du CERAS nous avait proposé cet enjeu et cette thématique. Nous y sommes acteurs, et les exilés et les étrangers sont aussi bien évidemment invités à y être acteurs avec nous. Un tel parcours, d’eux et de nous, d’eux avec nous, implique une pluralité d’acteurs, et de niveaux d’action : il y va d’un jeu politique de fond, puisque la visée est bien, nous en sommes d’accord, de CONSTRUIRE UN NOUS ENSEMBLE.

Au cours des interventions et de nos échanges, quelques points résonnent plus particulièrement.

1- la langue

Ismaïli, Elena, Kader (du Service jésuite des réfugiés) nous l’ont dit : « je me suis dit, il faut que j’apprenne tout de suite la langue française ».
Car la langue, ce sont les mots que l’on n’a pas, les mots qu’on ne sait pas bien employer, les mots qui catégorisent ou enferment. Elena se lançait à nous expliquer quelque chose, et finissait en disant : « j’espère que vous avez compris, les mots me manquent ». Les mots pour dire, pour dire ce que l’on ressent, ce qu’on veut expliquer, les mots pour parler (avec le guichetier ou l’assistante sociale), les mots pour se parler. « Je voudrais écrire mon histoire » disait un jeune afghan, « mais je ne sais pas faire ».

La langue, c’est aussi l’accès aux codes, comme pour ces jeunes qui n’arrivent pas à parler, qui ne peuvent pas dire ce qu’ils pensent ou veulent parce que les mots ou les codes leur manquent.
La langue, ça touche des choses profondes en nous, des images, des représentations, des manières d’être qui passent à travers les mots et les phrases. Et puis, au fond, c’est bien par la langue que nous pouvons tenter d’offrir aux autres le sens de l’héritage qui est le nôtre, à nous français, à nous les exilés —  comme dans l’exemple évoqué du prêche en français puis en arabe.

Il ne s’agit pas seulement, nous l’avons compris, que les exilés apprennent notre langue ! Mais on pourrait, avec Ricoeur, réfléchir à la question de la traduction, de notre langue vers la leur, de leur langue vers la nôtre. Plus encore, peut-être devons-nous à certains moments lâcher nos mots habituels — non pas la langue, mais les mots — pour chercher entre nous les mots qui circuleront, et qui permettront de construire un NOUS !
Dimension politique aussi. On se représente souvent, surtout quand on parle migrations, le bien commun d’une communauté nationale, sociale, économique, culturelle, comme un gâteau : comme le gâteau n’est pas extensible, il y a des problèmes de partage, « ils viennent prendre notre part de gâteau ». Mais le bien commun d’une communauté politique, c’est bien plutôt sa langue ! Et, une langue, plus on la parle, mieux elle se porte !

2- Si nous voulons construire un nous ensemble, nous ne pouvons pas raisonner en termes de « eux » et « nous », de cette dissymétrie qui tend à établir les différences.

Ce qui paraît plus utile, et qui permet de jouer la mondialisation par le bas, comme nous l’avons entendu, ou d’avancer par les petits pas depuis le bas, comme on l’a vu pour l’école, ce sera plutôt d’affronter ensemble les questions de la vie, parce ce qu’elles sont les nôtres, et aussi les leurs : il importe de le reconnaître, d’en prendre conscience et de jouer à partir de là. Par exemple, les questions de pédagogie à l’école ; ou bien la vie dans les quartiers : leurs questions et leurs attentes sont aussi les nôtres, et ils ont quelque chose à dire là-dessus. Nous avons noté que les politiques urbaines ne se préoccupaient pas beaucoup de ce que signifiait concrètement « habiter » pour les habitants de tel ensemble : voilà une question commune, travaillons-la ensemble. Car c’est ainsi que se construit un commun solide.

3- Si nous voulons construire un nous ensemble, il nous faut aussi des personnes-relais, des personnes qui font le pont, des médiateurs, ou médiatrices, car souvent les femmes sont de très bonnes médiatrices, à travers les repas partagés, ou les soucis et l’entraide au quotidien.

Des personnes-relais, et aussi des événements qui fabriquent du commun. Un projet partagé, une fête de quartier, toutes ces occasions où les uns et les autres peuvent s’investir, où au fond « on a besoin de toi », le disc-jockey, le sportif, le troubadour qui
raconte des histoires… Dans ces événements, quelque chose est partagé, il y a déjà du commun. Et après, on en reparle, on raconte, et voilà une histoire qui se construit ensemble.
Des choses comme cela, qui fabriquent du commun au plus ras des pâquerettes, vous les pratiquez déjà. Notons que ce sont des choses dont on parle, dont on reparle, au niveau local, et qui vont franchir un seuil, et passer au niveau de la commune, dans une dimension  de politique locale. Notons aussi que ces choses dont on parle portent témoignage de ce qui est possible, surtout lorsqu’elle s’inscrivent dans une durée : cela attire et souvent convertit les regards.
 
4- Et puis, quatrième et dernier point dans ce que nous avons entendu, la mixité.

Nous en avons pas mal parlé, et ce n’est évidemment pas sans lien avec l’enjeu de la rencontre des différences. Nous le savons, ce dont il s’agit là, c’est de la rencontre de l’autre. Et la rencontre de l’autre, c’est une violence, parfois une agression. Pensons aux voisinages dans les quartiers... La rencontre de l’autre, cela provoque de l’agressivité, cela engendre de la suspicion, du niveau local jusqu’aux mises en oeuvre des politiques publiques.
Comment faire un NOUS ensemble avec cette violence et tout ce qu’elle emporte et provoque ? Une volonté d’être dans une attitude d’ouverture, une compassion n’y suffisent pas toujours… Cette violence, il nous faut apprendre à la traverser, et à la traverser ensemble. Et puis, il faut tenir compte des fragilités des uns et des autres, les nôtres comme les leurs, et savoir accompagner patiemment ces traversées.

Bien évidemment, nous n’avons pas pu tout faire, tout discuter ! 

Au tout début de la réflexion de l’équipe du CERAS, nous pensions à un titre comme « Peut-on accueillir tout le monde ? », qui aurait demandé un travail sur les phénomènes migratoires, sur les politiques de contrôle des frontières, sur les politiques migratoires en Europe. C’est une vraie question, pour laquelle la présence d’avis et d’attitudes un peu clivants pourraient aider à avancer. Car nous savons que c’est aussi le contexte dans lequel nos engagements se déploient, dans les paroisses, les diocèses, ou les communes et les régions. Nous nous y tenons comme des résistants, contre les mensonges, les cynismes et les peurs. Un combat usant.

Peut-être aussi, nous n’avons pas suffisamment honoré la dimension européenne de notre thème.

En somme, continuons à avancer et à chercher ensemble !