Cette étude magistrale des patrons chrétiens permet de mieux comprendre l’histoire religieuse et sociale de la France contemporaine. Fondée en 1926, la Confédération Française des Professions est d’abord une fédération des syndicats professionnels catholiques où cohabitent des médecins, des avocats, des bouchers… Animés par deux anciens de l’Action Populaire dont un aumônier jésuite, ils diffusent la doctrine sociale de l’Eglise telle qu’elle se construit entre Rerum Novarum et Quadregesimo Anno. Leur engagement pour le dialogue dans chaque profession conduit par exemple à l’instauration d’une commission permanente avec la CFTC, qui les protégera d’un soutien inconditionnel à la Charte du travail de Vichy. Au sortir de la guerre, alors que se créent le CGPME et le CNPF, l’organisation se transforme en mouvement patronal de pensée (CFPC) où sont discutées les réformes de l’Etat dans une école du chef d’entreprise (ECE) et de multiples « séminaires de doctrine sociale appliquée ». Les grandes sections laissent pourtant place aux équipes où l’on réfléchit à articuler foi et pratique d’entreprise. C’est ce modèle qui s’impose dans les années 1980 : participer à la section devient une manière de se reconnaître « patron chrétien » à la lumière de l’Evangile. En 2000, le CFPC devient « Entrepreneurs et dirigeants chrétiens » (EDC), manifestant ainsi le passage d’une vision en termes de statut (Patronat) à une vision plus fonctionnelle – comme venait de le faire le MEDEF. Dans toute cette histoire, les patrons chrétiens sont à la recherche d’un autre libéralisme. Avant la guerre, la doctrine sociale de l’Eglise est utilisée à la fois contre le libéralisme et le marxisme. Au moment du Concile, elle est mobilisée pour légitimer la volonté de l’Etat à encadrer l’économie et encourager les formes d’intéressement. Depuis les années 1980, elle sert à moraliser l’économie, depuis une grande campagne contre la corruption (1992-1996) jusqu’à la promotion de labels plus responsables et plus éthiques par la Fondation pour une économie au service de l’homme. En d’autres termes, les patrons chrétiens participent à la réflexion sociale de l’Eglise par une pratique réfléchie de leur métier.
Bertrand Hériard