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20 juin 2016

Déclaration épiscopale transatlantique

Françoise Salmon, Ancienne rédactrice en chef de la revue Projet

Le 16 juin, sous la signature du cardinal R. Marx, président de la Comece, et du cardinal J. Kurtz, président de la conférence des évêques des États-Unis (USCBB) a été publiée une déclaration commune sur l’accord de libre échange euro-américain (TTIP ou Tafta). Les évêques européens et états-uniens rappellent 9 principes éthiques découlant de la Doctrine sociale de l’Église, dont devraient tenir compte les négociateurs de l’accord.

Leur préoccupation principale obéit aux recommandations du pape François de porter d’abord attention au sort des plus vulnérables. Mais ils n’ont pas l’audace de l’évêque de Rome !

Ils listent les points précis problématiques de la négociation, si l’on se place du point de vue du Bien commun : droits de propriété intellectuelle, agriculture, principe de précaution, droits des travailleurs, droit à la migration, protection de l'environnement, déficit de transparence et de démocratie.

Par ailleurs, comme le souligne l’institut Veblen pour les réformes économiques, « ils interrogent très directement les fondements du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États en ciblant y compris la réforme proposée par la France et l'UE et les conséquences en matière d'affaiblissement des normes fondamentales ».

Cette déclaration commune est une première dans l’histoire des relations entre conférences épiscopales des États-Unis et de l’Europe et vient après environ deux ans de négociations. Signe sans doute de l’importance qu’attachent les Églises des deux côtés de l’Atlantique aux problèmes soulevés par cet accord.

 

Ci-dessous, quelques exemples des préoccupations des évêques européens et américains.

Sur le commerce en général :

« L'histoire a prouvé que l'accroissement du commerce et de l'investissement ne peut être véritablement bénéfique, qu’à condition qu'ils soient structurés de manière à contribuer à réduire, et non exacerber, l'inégalité ou l'injustice. Les politiques commerciales doivent être fondées sur des critères éthiques axés sur l'être humain et avoir pour objectif le bien commun pour nos nations et pour les citoyens du monde entier. La négociation et la mise en œuvre des accords commerciaux doivent respecter les principes qui favorisent et défendent la vie et la dignité humaine, la protection de l'environnement et la santé publique, et qui promeuvent la justice et la paix dans notre monde ».

Sur le principe de précaution :

« L’un des fondements du principe de précaution est de mettre l’accent sur la prévention des dommages. Pour l’autorisation d’un produit ou d’une procédure, il convient de faire preuve de patience jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment de preuves scientifiques démontrant qu’il ne présente de danger ni pour les générations actuelles et futures, ni pour l’écologie naturelle. »

Sur la protection des travailleurs :

« La dignité humaine requiert en priorité la protection des travailleurs et de leurs droits. Nous soutenons les droits des travailleurs, y compris le droit de s’organiser, ainsi que le respect des normes de travail adoptées au niveau international. » (…)

Sur le développement durable :

« L'augmentation de l'intégration économique mondiale recèle des avantages potentiels pour tous, mais elle ne doit pas se limiter à réglementer le commerce et l'investissement. Le lien essentiel entre la préservation de l'environnement et le développement humain durable demande une attention particulière à la protection de l'environnement et à la santé des communautés, y compris l'aide aux pays pauvres qui manquent souvent de connaissances ou de ressources techniques suffisantes pour maintenir un environnement sûr. »

Sur les droits de propriété :

« Nous sommes également préoccupés par les dispositions en matière de droits de propriété intellectuelle pour les produits pharmaceutiques et l'agriculture. Nous devons tenir compte de la nécessité de l'accès aux médicaments et du progrès agricole pour les populations vulnérables. L'Église envisage les droits de propriété intellectuelle dans le cadre plus large du bien commun et estime que ces droits doivent être en adéquation avec les besoins des plus pauvres. Le principe du bien commun exige non seulement une protection légitime de l'intérêt privé, mais aussi la prise en compte du bien commun local et mondial. Les accords ne peuvent être fondés ou validés sur la seule base des avantages qu’ils présentent pour les entrepreneurs bilatéraux. »

Sur les mécanismes de règlement des différends :

« Nous nous interrogeons sur le bien-fondé d'exiger des parties souveraines aux traités internationaux d'accepter un arbitrage international contraignant sous la forme d’un forum pour le règlement des différends, que ce soit par le biais d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) ou d’une juridiction internationale d'investissement, tel que proposé récemment. L’un comme l’autre peuvent conduire à des avantages indus pour les intérêts commerciaux désireux d'exploiter les règles des systèmes arbitraux ou judiciaires et pourraient mener à l'affaiblissement de normes fondamentales en matière d'environnement, de travail et de droits de l'homme. Les intérêts privés ne doivent pas éclipser le bien général. L'impact sur la législation environnementale et sociale, ou sur la santé, l'éducation et les politiques culturelles, doit être étudiée avec soin. Une attention excessive à l'harmonisation ou la simplification réglementaire ne peut justifier de porter atteinte aux règlements relatifs à la sécurité adéquate, au travail, à la santé et à l’environnement décrétés au niveau local par des organismes nationaux, étatiques ou régionaux. »

 

http://www.cathobel.be/wp-content/uploads/2016/06/TTIP-Position-commune-des-eveques-UE-et-USA.pdf