Octobre 2016
Avant les élections présidentielles du printemps prochain, quelques éléments de réflexion sur la base de l'enseignement social chrétien. Deuxième partie : foi et politique.
« La politique, une Bonne Nouvelle » : l’intitulé d’une session cet été pour des jeunes sonne comme une vraie gageure. Devant le spectacle que nous offre le monde politique en cette année électorale, associer politique et Évangile (Bonne Nouvelle) parait bien audacieux ! Est-il possible de croire encore à la politique ? La foi chrétienne a-t-elle quelque chose à voir avec la politique ? Ne risque-t-on pas de la perdre en s’engageant sur ce terrain ? Incontestablement, c’est un défi. Un défi que le pape François pourrait bien nous aider à relever si nous relisons, plus d’un an après sa sortie, sa lettre Laudato si’ sur le soin à apporter à notre maison commune. Il s’agit d’être réaliste sur les carences actuelles du monde politique mais de reconnaître aussi la nécessité des institutions politiques. L’enracinement dans la foi chrétienne fait alors apparaître quelques incontournables d’un renouveau de la politique. Le bien commun ne peut être poursuivi sans le souci du dialogue qui se fait écoute toute particulière des exclus. Cette poursuite requiert un authentique courage fondé sur une espérance.
Carences
Réaliste, François ne manque pas de souligner les carences et les dysfonctionnements de la politique aujourd’hui. L’actuel désenchantement assez généralisé pour la politique a des causes. Il remarque : « La politique et l’entreprise réagissent avec lenteur, loin d’être à la hauteur des défis mondiaux » (165). Il souligne qu’il est difficile de dépasser les intérêts particuliers pour s’engager sur le chemin du bien commun. Il parle du « drame de l’immédiateté politique » qui empêche de « penser au bien commun à long terme » (178). Il dénonce surtout « la soumission de la politique à la technologie et aux finances » et l’emprise de ce qu’il appelle « le paradigme technocratique » sur l’économie et la politique (109).
Nécessité
Cependant ces critiques ne le conduisent pas à rejeter en bloc la politique. Bien au contraire. François invite à un renouveau de la politique et surtout il insiste sur le fait que l’action politique est au cœur des réponses à apporter aux défis auxquels notre monde fait face. Il défend le rôle des institutions – incluant les institutions politiques - qui ont pour rôle de « réguler les relations humaines » et dont la faiblesse ou les dysfonctionnements engendrent souvent des effets nocifs comme « la perte de liberté, l’injustice et la violence » (142). Il souligne aussi qu’« on ne peut justifier une économie sans politique » (196) et que « le cadre politique et institutionnel n’est pas là seulement pour éviter les mauvaises pratiques, mais aussi pour encourager les bonnes pratiques, pour stimuler la créativité qui cherche de nouvelles voies, pour faciliter les initiatives personnelles et collectives » (197). Finalement, le pape explique que l’amour « est aussi civil et politique » et que « l’amour de la société et l’engagement pour le bien commun sont une forme excellente de la charité » (231).
Le chemin de renouveau proposé par le pape s’incarne bien dans trois mots : dialogue, écoute, courage.
Dialogue
Tout le cinquième chapitre de l’encyclique est consacré aux « lignes d’orientation et d’action ». La voie que propose le pape est celle du dialogue. Un dialogue à tous les niveaux : international, national, local ; dialogue entre acteurs économiques, politiques, et société civile ; dialogue avec et entre les scientifiques ; dialogue avec et entre les religions. Ce qui fonde cette nécessité du dialogue c’est bien sûr le fait que, devant la complexité des problèmes et des défis auxquels nous faisons face, nul ne peut prétendre avoir une compréhension exhaustive et une solution définitive ; en revanche tous peuvent contribuer. Le dialogue est la voie pour faire de nos différences une vraie richesse.
Dans son discours sur l’Europe, en recevant le prix Charlemagne en mai dernier, François l’a redit : « Nous sommes invités à promouvoir une culture du dialogue en cherchant par tous les moyens à ouvrir des instances afin qu’il soit possible et que cela nous permette de reconstruire le tissu social. »
On doit se rappeler que, pour nous les chrétiens, le dialogue n’est pas seulement une option stratégique, rendue nécessaire par la pluralité de nos sociétés contemporaines et la culture démocratique. Le dialogue est inscrit au cœur de notre foi en un Dieu qui est relation de trois personnes, un Dieu qui manifeste son amour salvifique en entrant en dialogue avec l’humanité tout au long de l’histoire du salut. Paul VI – sur lequel François aime tant s’appuyer – parlait dans son encyclique Ecclesiam suam en 1965, de « l'origine transcendante du dialogue [qui] se trouve dans l'intention même de Dieu » (ES 72).
Le dialogue dont parle le pape n’est pas simple échange d’opinions ou confrontation d’idées, mais chemin vers l’action dans la recherche du bien commun. « Aujourd’hui, en pensant au bien commun, nous avons impérieusement besoin que la politique et l’économie, en dialogue, se mettent résolument au service de la vie, spécialement de la vie humaine » (178).
Écoute
Le dialogue en politique comme ailleurs doit se faire d’abord écoute et écoute de ceux et celles qui sont le plus souvent ignorés. Le pape note avec acuité que cette écoute fait souvent cruellement défaut : « Les exclus sont la majeure partie de la planète, des milliers de millions de personnes. Aujourd’hui, ils sont présents dans les débats politiques et économiques internationaux, mais il semble souvent que leurs problèmes se posent comme un appendice, comme une question qui s’ajoute presque par obligation ou de manière marginale, quand on ne les considère pas comme un pur dommage collatéral. De fait, au moment de l’action concrète, ils sont relégués fréquemment à la dernière place. Cela est dû en partie au fait que beaucoup de professionnels, de leaders d’opinion, de moyens de communication et de centres de pouvoir sont situés loin d’eux, dans des zones urbaines isolées, sans contact direct avec les problèmes des exclus » (49).
Au contraire le pape invite à un authentique dialogue dans les processus de de prise de décision sur des projets d’aménagement ou de développement, Un dialogue où « les habitants locaux doivent avoir une place privilégiée » (182).
Cette écoute de tous mais particulièrement de l’échelon le plus bas et de celles et ceux qui sont exclus, n’est-ce pas la manière de faire de Jésus ? L’Église insiste dans sa doctrine sociale sur l’option préférentielle pour les pauvres comme un principe socle qui, selon les mots de Jean Paul II, « concerne la vie de chaque chrétien, en tant qu’il imite la vie du Christ, mais s’applique également à nos responsabilités sociales et donc à notre façon de vivre, aux décisions que nous avons à prendre de manière cohérente au sujet de la propriété et de l’usage des biens » (Sollicitudo rei socialis 42).
Courage
La politique, au service du bien commun, envisagée selon ce qui vient d’être dit appelle des hommes et des femmes qui s’engagent avec courage. Ecouter les exclus, les plus démunis, ne se fera pas sans s’engager dans des rapports de force et des combats. Le pape dresse un impressionnant portrait : « Qu’un homme politique assume ces responsabilités avec les coûts que cela implique, ne répond pas à la logique d’efficacité et d’immédiateté de l’économie ni à celle de la politique actuelle ; mais s’il ose le faire, cela le conduira à reconnaître la dignité que Dieu lui a donnée comme homme, et il laissera dans l’histoire un témoignage de généreuse responsabilité. Il faut accorder une place prépondérante à une saine politique, capable de réformer les institutions, de les coordonner et de les doter de meilleures pratiques qui permettent de vaincre les pressions et les inerties vicieuses » (181).
Portrait impressionnant et qui pourrait faire peur si on ne le couple immédiatement avec le message d’espérance par lequel le pape conclue l’encyclique : « Dieu qui nous appelle à un engagement généreux, et à tout donner, nous offre les forces ainsi que la lumière dont nous avons besoin pour aller de l’avant. Au cœur de ce monde, le Seigneur de la vie qui nous aime tant, continue d’être présent. Il ne nous abandonne pas, il ne nous laisse pas seuls » (245).
Du courage pour ne jamais renoncer au dialogue, qui est écoute active des plus ignorés. Voici un programme pour une année électorale : pas seulement pour celles et ceux qui sollicitent des votes mais bien pour nous tous appelés à nous engager comme citoyens en exerçant notre droit de vote.