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14 juillet 2017

La voie tracée par les papes en 50 ans de Messages pour la paix

Mgr Peter Kodwo Appiah Turkson, Préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral

 

Le 1° janvier 2017 était célébrée la cinquantième Journée mondiale de la paix, la première ayant eu lieu en 1968, à la demande de Paul VI. Les Messages pontificaux écrits annuellement pour cette Journée offrent des éléments importants de compréhension de la pensée de l'Église sur le sujet. Qu'apportent-ils à la théologie et à la spiritualité de la paix ? Quelles ont été à ce propos les réflexions des derniers papes ? Comment l'idée de la paix a-t-elle évolué au sein de l'Église catholique ?

Le 8 décembre 1967, Paul VI écrivait le premier Message pour la Journée mondiale de la paix (JMP), lançant l'idée de consacrer à ce sujet le premier jour de chaque année. Adressée à tous les hommes de bonne volonté, la proposition “ne se [présentait] donc pas dans l'idée [du pape] comme exclusivement religieuse et catholique” (MJMP 1968).

Avec cette initiative, Paul VI donnait ainsi le départ à une série de Messages, aujourd'hui au nombre de 50, destinés à tous les hommes et à toutes les femmes du monde. Le premier était simplement une invitation à participer à l'initiative, tandis que les suivants ont commencé à examiner une multitude d'aspects du sujet. "C'est à la paix véritable, à la paix juste et équilibrée dans la reconnaissance sincère des droits de la personne humaine et de l'indépendance de chaque nation que Nous invitons les hommes sages et forts à consacrer cette Journée" (ibid).

À vrai dire, il n'est pas facile de dégager de tous ces Messages une vision unifiée, mais Jean-Paul II, en décrivant leur finalité, les définit comme “une synthèse de la doctrine sur la paix, une sorte de lexique concernant ce sujet fondamental” (MJMP 2004, n° 3). Dans cet article, nous ne proposerons pas une analyse chronologique de ces textes, mais nous prendrons en considération les motifs récurrents ou particulièrement importants, comme, par exemple, la nature de la paix et les voies pour la poursuivre.

Paix et droits humains

Dans le Message de 1969, Paul VI conjugue la paix avec les droits de l'homme dans la continuité de l'encyclique Pacem in terris de Jean XXIII (1963). Le Pape Jean XXIII – et tout l'enseignement social de l'Église – a adopté une vision inclusive des droits, considérés comme une expression des libertés, des biens et des relations dont les êtres humains ont besoin pour vivre dignement. Paul VI affirme : "La paix est aujourd'hui intrinsèquement liée à la reconnaissance idéale et à l'instauration effective des droits de l'homme […] Car la Paix et le Droit sont mutuellement cause et effet l'un de l'autre : la Paix favorise le Droit, et, à son tour, le Droit favorise la Paix" (MJMP 1969). Ce thème sera repris dans le Message de 1974, qui fait mémoire du 25º anniversaire de la Déclaration universelle des droits humains. Ce lien entre paix et droits humains a été à nouveau mis en évidence dans de nombreux messages de Jean-Paul II. En 1998, à l'occasion du cinquantenaire de la Déclaration universelle, le Pape souligne que la sauvegarde de la paix « s’appuie sur le juste fondement anthropologique des droits et devoirs » de l'homme (MJMP 1998, n°2). De ce fondement, deux enseignements émergent : l'universalité et l'indivisibilité des droits humains. L'année suivante, Jean-Paul II revient sur le sujet : la paix véritable se réalise "quand la promotion de la dignité de la personne est le principe qui nous guide", mais quand "les droits humains sont ignorés ou méprisés, [...] sont inévitablement semés les germes de l'instabilité, de la rébellion et de la violence" (MJMP 1999, n°1). Les droits humains constituent une partie importante de ce que l'on entend par la paix (cf ibid, n° 11), et ils sont l'instrument pour l'instaurer: "Comment, en effet, pourrait-il y avoir une guerre, si tous les droits humains étaient respectés ? Le respect intégral des droits humains est la voie la plus sûre pour tisser des relations solides entre les États" (cf. ibid n° 12).

Un droit auquel les Papes et l'Église sont particulièrement sensibles est celui de la liberté religieuse. Celle-ci est définie par Jean-Paul II comme « le test décisif » pour vérifier le respect de tous les autres droits. De même, Benoît XVI affirme, dans le MJMP de 2011, que "parmi les droits et libertés fondamentaux enracinés dans la dignité de la personne, la liberté religieuse jouit d'un statut spécial" (n° 5) : elle est intimement liée à la dignité humaine car elle touche la vie intérieure de chaque personne et elle lui confère la capacité de comprendre son identité propre, son sens et sa fin (cf. ibid, n° 1). Jean-Paul II avait souligné le lien intrinsèque existant entre liberté religieuse et liberté de conscience, fondamentale pour la dignité humaine : "La dignité de la personne suppose de pouvoir correspondre aux impératifs moraux de sa propre conscience dans la recherche de la vérité" (MJMP 1988, n° 1). Tout système politique ou culturel qui nie la liberté religieuse est, donc, un système fondé sur "une vision réductrice de la personne humaine" (MJMP 2011, n° 1). La liberté religieuse est fondamentale pour la liberté morale, car elle permet à la personne de s'ouvrir le plus possible à la vérité et au bien (cf ibid, n° 3).

Les quatre piliers de la paix

La recherche d'une culture globale des droits humains est, donc, l'essence d'un ordre mondial de paix, mais ces derniers ne suffisent pas à en comprendre les bases. Comme le rappellent les papes à partir de Jean XXIII, la paix s'appuie sur les quatre piliers de la vérité, de la justice, de l'amour et de la liberté. Ces quatre piliers sont essentiels à la construction d'une société bien ordonnée ; ils constituent les valeurs qui doivent animer la société pour qu'elle soit vraiment pacifique.

En ce qui concerne la vérité, Paul VI a mis en garde contre le danger de « pseudo-conceptions », qui déforment trop souvent la paix et la dénaturent. Chez les dirigeants politiques, on trouve en effet la tentation constante d'imposer, par l'utilisation de la force, « un régime de rapports » qui prend l'apparence de la paix (MJMP 1972). Mais une autre vision erronée de la paix serait une affirmation des droits sans la reconnaissance correspondante des devoirs (voir MJMP 2003, n° 3). Ne parler que des droits, en minimisant les devoirs, c'est ignorer la paix véritable, qui « appelle tous les hommes à entretenir des relations fécondes et sincères, les encourage à rechercher et à parcourir les voies du pardon et de la réconciliation, à être transparents dans les négociations et fidèles à la parole donnée » (MJMP 2006, n° 6). Comme le pape François l'a écrit dans son premier message, « la vive conscience d'être en relation nous amène à voir et à traiter chaque personne comme une vraie sœur et un vrai frère ; sans cela, la construction d'une société juste, d'une paix solide et durable devient impossible » (MJMP 2014, n°1). Cette perspective de l'enseignement des papes sur la vérité comme fondement de la paix découle de la conviction qu'il existe un ordre moral dans la création, déterminé par Dieu. Le bien-être humain, individuel et collectif, est lié à la reconnaissance et au respect de cet ordre moral. C'est la « grammaire » du dialogue entre la conscience de la personne et l'appel divin à mener une existence humaine authentique (cf MJMP 2006, n° 4). L'opposition à une paix fondée sur la vérité rapproche souvent deux conceptions apparemment antithétiques : « Les nihilistes nient l'existence de toute vérité, les fondamentalistes ont la prétention de pouvoir l'imposer par la force » (ibid, n° 10).

Le rapport entre paix et justice est lui aussi fréquemment affirmé dans les messages. La justice est, en effet, la vertu qui "défend et promeut l'inestimable dignité de la personne et elle prend en charge le bien commun, en tant que gardienne des relations entre les personnes et entre les peuples" (MJMP 1998, n° 1). Elle doit être le principe directeur et régulateur de l'ordre social, national et international : la paix jaillira comme le résultat d'une situation dans laquelle la dignité de chaque personne est protégée et les droits et devoirs fondamentaux de chacun sont interconnectés harmonieusement. Cette idée que la paix découle de l’affirmation de la justice se retrouve fréquemment dans les messages.

"L'amour sera ferment de paix si les personnes considèrent les besoins des autres comme les leurs propres et partagent avec les autres ce qu'elles possèdent" (MJMP 2003, n° 3). Pour Jean-Paul II, le rôle de l'amour dans l'ordre social est très apparenté à celui de la solidarité. Celle-ci est la volonté d'aller au-delà d'un "sentiment de compassion vague ou d'attendrissement superficiel” envers l'autre, poussant à une "détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien de tous et de chacun". L'amour comme la solidarité signifient que ceux qui disposent "d'une part plus grande de biens et de services communs se sentent responsables du plus faible et sont disposés à partager tout ce qu'ils possèdent" . 

Le quatrième et dernier pilier d'un ordre social pacifique est la liberté. "La liberté nourrira la paix et lui fera porter du fruit si, dans le choix des moyens pris pour y parvenir, les individus suivent la raison et assument avec courage la responsabilité de leurs actes" (MJMP 2003, n°3). La liberté est essentielle pour le développement humain : elle permet l'exercice de la conscience dans les choix de la vie. Dans son dernier MJMP, coïncidant avec le cinquantième anniversaire de Pacem in terris, Benoît XVI évoque les quatre piliers : la famille humaine est structurée “à travers des relations interpersonnelles et des institutions, soutenues et animées par un "nous" communautaire, impliquant un ordre moral, interne et externe, où sont sincèrement reconnus, selon la vérité et la justice, les droits réciproques et les devoirs correspondants. La paix est un ordre vivifié et structuré par l'amour ; ainsi, chacun ressent comme siens les besoins et les exigences d'autrui, fait partager ses propres biens aux autres et rend la communion aux valeurs spirituelles toujours plus répandue dans le monde. Cet ordre se réalise dans la liberté, c'est-à-dire de la façon qui convient à la dignité des personnes qui, par leur nature raisonnable elle-même, assument la responsabilité de leurs actes” (MJMP 2013, n° 3).

La paix est possible et elle est pour tous

Un autre aspect concernant la nature de la paix est la conviction, exprimée déjà par Jean XXIII, qu'elle n'est pas hors de portée de l'humanité. La phrase est répétée par tous les auteurs des MJMP : "La paix est possible !" Et cette affirmation est choisie comme titre par Paul VI pour le message de 1973, même s'il reconnaît la "menace d'un doute, qui peut être fatal : la paix est-elle jamais possible ? Et le doute se transforme facilement chez certains en désastreuse certitude : la paix est impossible !" Mais, face à ce doute, les personnes de bonne volonté doivent redire que la paix est possible. Certes, elle doit être construite grâce à de nouvelles institutions et un engagement renouvelé, basé sur la raison et non sur l'émotion. Cela demandera une nouvelle forme de justice et du courage fondé sur l'amour. Mais “si la paix est possible, "elle est objet de devoir" (MJMP 1973). Le Pape reconnaît que, dans le coeur de beaucoup de personnes, l'espérance s'est éteinte et il pense avoir le devoir de réveiller l'aspiration humaine à la réalisation d'une paix véritable. Ainsi, le pape François témoigne de cette préoccupation, se sentant investi, entre autres, de la responsabilité de "renouveler l'exhortation à ne pas perdre l'espérance dans la capacité de l'homme, avec la grâce de Dieu, à vaincre le mal et à ne pas s’abandonner à la résignation et à l'indifférence" (MJMP 2016, n°2).

En 1974, Paul VI rappelait que "la paix n'est possible, que si on la considère comme un devoir" : "elle doit entrer dans la conscience des hommes comme une finalité éthique suprême, comme une nécessité morale." Cette conviction que la paix est possible repose sur une grande confiance dans le pouvoir des idées : si la cause de la paix conquérait vraiment le coeur des hommes et l'opinion publique, les leaders politiques ne pourraient pas ne pas en tenir compte. "La paix vit grâce aux adhésions, mêmes particulières et anonymes, que lui donnent les personnes" (MJMP 1974). Mais c'est vraiment la conviction que la paix est la grande aspiration de toute l'humanité qui soutient l'optimisme de Paul VI: "La paix n'est pas un rêve, ni une utopie, ni une illusion", bien que sa construction implique une tâche “très difficile et fort longue” (MJMP 1977). La stratégie pour la construire doit être laissée aux experts dans les différents domaines, mais il appartient au magistère du Pape d'encourager les hommes et les femmes à s'engager pour sa cause.

L'axiome "la paix est un devoir, la paix est possible" est réitéré sans ambiguïté par les successeurs de Paul VI ; par Jean-Paul II en 2004, par Benoît XVI en 2013 et, plus récemment, par le pape François, mettant en évidence comment la non-violence proposée par le Christ est "réaliste, car elle tient compte du fait que, dans le monde, il règne trop de violence, trop d'injustice, et que, par conséquent, on ne peut surmonter cette situation qu'en lui opposant un supplément d'amour, un supplément de bonté. Ce “supplément” vient de Dieu" (MJMP 2017, n°3).

En fin de compte, il ressort fortement des MJMP que les papes de notre époque, animés par un optimisme prudent, sont convaincus qu'établir la paix n'est pas hors de portée de l'humanité, à condition que les individus et les communautés prennent très au sérieux le devoir de la construire ensemble. 

Les voies pour la paix

Dans le MJMP de 2005, Jean-Paul II écrivait: "La paix est un bien à promouvoir par le bien" (n°1), une maxime qui contredit l'adage romain classique "Si vis pacem, para bellum" ("Si tu veux la paix, prépare la guerre"). Mais quels sont les moyens pour mener à bien ce devoir ? La paix, nous venons de le voir, se construit à travers la solidarité, la création d'un processus de développement juste et la promotion de tous les droits humains nécessaires pour défendre la dignité de la personne. Cependant, les messages pour les JMP offrent trois indications supplémentaires pour l’édification de la paix.

Si "la paix et le développement sont reliés entre eux et doivent être traités simultanément" (MJMP 1985, n° 8), il est clair que la guerre doit aussi être évitée, car elle exige des ressources qui pourraient être destinées au développement. On retrouve ici une constante de l'enseignement social : les ressources dépensées en armements et guerres sont soustraites à la cause juste du développement. Cette condamnation de la course aux armements est présente dans les enseignements de tous les Papes. Paul VI ne limite pas ces critiques aux deux superpuissances de l'époque, les États-Unis et l'Union Soviétique, il rappelle aussi à leur responsabilité les peuples en voie de développement qui, pour le prestige, “s'imposent d'énormes sacrifices pris sur le budget indispensable aux besoins élémentaires de la vie" (MJMP 1973).

De même, Jean-Paul II met en évidence "le scandale de la course aux armements face aux nécessités du Tiers Monde" (MJMP 1982, n° 12). Les distorsions dans les priorités de dépense causées par les tensions dans les relations Est-Ouest ont été l'objet de critiques fréquentes de la part du Pape polonais. Et, des années après la dissolution de l'Union Soviétique, Benoît XVI reconnaît que "les dividendes de la paix", c'est-à-dire les bénéfices économiques résultant de la fin de la course aux armements, n'ont pas encore produit la percée espérée dans la disponibilité en ressources pour “les pays pauvres, qui réclament non sans raison, après bien des promesses, la réalisation concrète du droit au développement"  (MJMP 2006, n° 15) et il revient sur le sujet trois ans après, traitant de manière spécifique le thème du rapport entre désarmement et développement (cf MJMP 2009, n° 6). Quant au pape François, il s'unit à la voix de ses prédécesseurs, affirmant que “d'importantes quantités de ressources sont destinées à des fins militaires et soustraites aux exigences quotidiennes des jeunes, des familles en difficulté, des personnes âgées, des malades, de la grande majorité des habitants du monde" (MJMP 2017, n°2). Ainsi, les dépenses d'armements, causées par les tensions entre les superpuissances, les ferveurs nationalistes, la soif de contrôle de la part d'élites militaires ou de dictateurs, rencontrent l'opposition forte et déterminée des papes de ces derniers temps.

Un autre aspect important réside dans le lien entre la paix et le bien commun. Ainsi que le souligne Benoît XVI, "les voies de réalisation du bien commun sont aussi celles qu'il importe de parcourir pour obtenir la paix" (MJMP 2013, n° 3). Pour la doctrine sociale de l'Église, le bien commun suppose l'existence d'une autorité politique qui puisse rassembler et guider les activités qui assurent le bien-être de chaque personne. Et cela vaut aussi pour le bien commun international et mondial. Même si, à ce niveau, on ne dispose pas de toutes les institutions nécessaires, celles qui existent et sont au service du bien commun sont soutenues par les papes. Mais, le pape François fait mention d'un autre empêchement, qui déborde l'aspect institutionnel : dans ses MJMP, il déplore la “mondialisation de l'indifférence” (MJMP 2014, n° 1 ; MJMP 2015, n° 6 ; MJMP 2016, n° 3). A ses yeux, "l'indifférence et le désengagement qui en est la conséquence constituent un manque grave au devoir que toute personne a de contribuer, dans la mesure de ses capacités et de son rôle dans la société, au bien commun, en particulier à la paix, qui est l'un des biens les plus précieux de l'humanité" (MJMP 2016, n° 4).

Un dernier élément, enfin, est rappelé dans de nombreux messages : la nécessité du pardon pour établir la paix. Au début des cinquante années que nous relisons, Paul VI avouait que "prêcher l'Évangile du pardon peut paraître absurde à une politique purement humaine" (MJMP 1970). Il se demandait cependant quelle paix résultait de la seule fin de conflits et il répondait : "La paix qui met fin à un conflit est d'habitude une domination, une oppression, un joug", "il manque à cette paix, trop souvent feinte et instable, la complète solution du conflit, c'est-à-dire le pardon" (ibid). Le pardon fait ainsi partie intégrante de nombreux messages de Jean-Paul II, pour qui "c'est le préalable indispensable pour s'acheminer vers une paix authentique et stable." Pour ce motif, le Pape adresse "un appel à tous afin que l'on recherche la paix sur le chemin du pardon" (MJMP 1997, n° 1). Dans le message de 2002, alors qu'il écrit "sur l'arrière-plan des événements dramatiques du 11 septembre dernier" (n°1), il souligne la nécessité de rétablir "l'ordre moral et social violé de manière aussi barbare" avec la conviction “qu'on ne rétablit pleinement l'ordre brisé, qu'en harmonisant entre eux la justice et le pardon." Revenant sur le thème des fondements d'un ordre social pacifique, il affirme que : "Les piliers de la véritable paix sont la justice et cette forme particulière de l'amour qu'est le pardon" (ibid, n° 2). Un pardon nécessaire, si nous voulons que l'avenir s'extraie du cycle actuel de l'histoire où la vengeance ne produit que la violence. Cela ne signifie pas qu’il soit évident ou facile ; pourtant, il représente la bonne stratégie pour atteindre la paix : "En effet, le pardon comporte toujours, à court terme, une perte apparente, tandis qu'à long terme, il assure un gain réel" (ibid, n° 10).

Dans son premier message, le pape François reprend cette exhortation au pardon: "Renoncez à la voie des armes et allez à la rencontre de l'autre par le dialogue, le pardon, et la réconciliation, pour reconstruire la justice, la confiance et l'espérance autour de vous !" (MJMP 2014, n° 7) et il invite tout le monde à pardonner et à donner (cf MJMP 2016, n° 3). 

Construire la paix ensemble

Les catholiques, malgré des exceptions notables, ont longtemps été considérés comme des partisans de la doctrine de la guerre juste. Pourtant, plus récemment, on a entendu résonner de nouveau l'idée de la non-violence active. Si, en un sens, la première conception - l'éthique de la guerre juste - se focalise sur la façon de prévenir la guerre et de la mener de manière moralement correcte, la seconde, la non-violence, met l'accent sur l'opposition à la guerre. La célébration, chaque année, de la Journée mondiale de la paix témoigne que la paix est au cœur du message chrétien et qu'elle signifie plus que l'absence de guerre. « La construction de la paix au moyen de la non-violence active est un élément nécessaire et cohérent avec les efforts permanents de l'Église pour limiter l'utilisation de la force, par les normes morales, par sa participation aux travaux des institutions internationales et grâce à la contribution compétente de nombreux chrétiens à l'élaboration de la législation à tous les niveaux » (MJMP 2017, n° 6).

À l'intérieur de l'Église catholique grandit l'intérêt pour les pratiques visant à instaurer une paix stable et juste, et connues au niveau international sous le nom de peacebuilding (construction de la paix) : ces pratiques vont de la résolution des conflits au développement économique, de la réforme des institutions politiques à l'intensification des échanges culturels, de la transformation des stéréotypes ethniques à la création d'un espace ouvert et libre pour les associations de la société civile. Dans les dernières décennies, on a vu dans de nombreux pays se renforcer l'engagement des catholiques en vue de construire la paix, un engagement qui s'avère souvent crucial pour la stabilité sociale, la résolution des conflits et le développement économique. Cet engagement doit s'inspirer d'une idée de la paix. Comme l'affirmait le théologien anglican John Macquarrie, nous avons besoin d'une conception de la paix suffisamment profonde et persuasive pour influer sur les aspirations humaines et guider et motiver nos techniques. Il est juste de dire que l'enseignement social récent offre une idée de la paix cohérente, apte à motiver et guider les artisans de paix. Les éléments clés de ce concept sont les relations entre la paix perçue de manière positive, la justice comme développement et l'amour comme solidarité.

Les messages annuels ont offert aux papes l'occasion d'une réflexion constante sur le sujet, avec quelques thèmes récurrents : la référence constante aux piliers fondateurs d'un ordre social pacifique déjà proposés par Jean XXIII ; la proposition d'un développement juste comme « nouveau nom de la paix » faite par Paul VI ; l'accent mis par Jean-Paul II sur la solidarité comme voie pour le développement et la paix. Pour être vivante, la tradition doit continuer à progresser : enracinée dans le passé, elle doit se confronter aux circonstances actuelles, ce qui permet à la sagesse du passé d'informer les réponses du présent et au présent de susciter le développement de la tradition elle-même. L'enseignement sur la paix est clairement un exemple de tradition vivante. Aujourd'hui, l’Église catholique a développé une théologie de la paix positive, en en reconnaissant les multiples dimensions. La paix est possible et c’est un devoir d’y travailler. Les Messages pour les Journées Mondiales de la Paix le rappellent à ceux qui en ont perdu l'espérance, en suggérant aussi les moyens pour l'atteindre. Bien que leur impact pastoral n'ait pas été aussi fructueux que Paul VI l'espérait il y a 50 ans, il ne fait aucun doute qu'ils ont apporté une contribution fondamentale au développement d'une théologie et d'une spiritualité incitant les catholiques à devenir des artisans de paix dans un monde encore marqué par la violence.