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21 décembre 2012

Migrations : l’Eglise parle haut et fort mais les catholiques l’ignorent trop

La fabrique de la doctrine sociale - N°3

Christian Mellon, Jésuite, Ceras, ancien secrétaire de la Commission Justice et Paix France

 « J’étais étranger et vous m’avez accueilli » (Mt 25, 35). Comme le précisait Mgr Daucourt dans son homélie à la célébration de clôture des Semaines Sociales de 2006, Jésus ne dit pas : «J’étais un étranger avec des papiers en règle, et vous m’avez accueilli ». Le plaidoyer de l’Église pour une « immigration accueillie » – son opposition au vocabulaire « choisi/subi » appliqué à des êtres humains – n’étonne pas ceux qui ont quelque familiarité avec les grands principes de sa doctrine sociale. Mais d’aucuns imaginent qu’il s’agit là de protestations morales, généreuses certes, mais peu argumentées. Il n’en est rien. Un parcours, même rapide, des nombreux textes – livres, déclarations, études, discours – produits sur les migrations et le droit d’asile par ceux qui concourent à l’élaboration du « discours social chrétien » montre qu’ils s’adossent à des argumentaires solides, où l’analyse des situations concrètes est éclairée certes par l’exégèse biblique et la réflexion éthique, mais aussi par l’expertise de démographes, sociologues, historiens, juristes, etc.

Le paysage des migrations bouge vite et beaucoup ces dernières années : l’ampleur – actuelle et, plus encore, future – des mouvements de population sur notre planète ne cesse de renouveler les questions auxquelles les chrétiens sont confrontés quand ils s’efforcent de donner chair aux grands principes qui, puisés dans l’enseignement social chrétien, forment le socle de leurs prises de position  : respect de toute personne (quelle que soit son origine ou son statut légal), devoir d’accueil de l’étranger, opposition à ce qui limite le regroupement familial, obligation (morale et juridique) d’accorder l’asile à ceux qui sont persécutés chez eux, invitation à ne pas définir les politiques migratoires en fonction du seul intérêt des pays d’accueil, souci du bien commun universel, etc.

Des documents nombreux, trop méconnus

Chaque année, le pape publie un message pour la journée mondiale des migrants, en janvier. Les textes français de ces messages sont accessibles sur le site du Vatican. Quant aux positions des évêques du monde entier, on en trouve une bonne sélection dans le recueil Les Églises, les migrants et les réfugiés, 35 textes pour comprendre (L’Atelier, 2006), qui offre aussi une contribution originale de Geneviève Médevielle « Pourquoi les Églises chrétiennes prennent position dans ce débat ? ».

En France, la Pastorale des migrants, service de la conférence épiscopale, mène conjointement action pastorale, formation, animation des réseaux et réflexion. Voir son site - sa revue, Migrations et Pastorale, et ses publications, notamment L’immigration, un rendez-vous pour la foi (1997) et surtout l’excellent dossier, très pédagogique, Quand l’étranger frappe à nos portes, dont la publication dans Documents-Episcopat (juin 2004) avait fait un certain bruit, notamment en raison du rappel de la position de l’Église sur la légitimité de la désobéissance à la loi dans certains cas. Sur les atteintes au droit d’asile, signalons le livre dont Justice et Paix-France a piloté la publication et dont le titre résume bien le contenu : Asile en France, Etat d’urgence (Bayard-Cerf, 2002). Le Ceras, qui aborde souvent ces questions dans sa revue Projet et sur ce site, a animé lors de la session 2006 des Semaines sociales un atelier dont on lira la synthèse dans Qu’est-ce qu’une société juste ? (Bayard Edition, pp 258-272). Signalons enfin, outre l’action d’un mouvement œcuménique bien connu, la Cimade, les réflexions intéressantes du Réseau Chrétien-Immigrés.

Au niveau européen, la Commission des épiscopats de la communauté européenne (Comece) a créé un groupe « Migration », qui rassemble dans un travail œcuménique Caritas Europa, la Ccme (commission des Églises protestantes), l’Ekd (Église évangélique allemande) et le Service jésuite des réfugiés.  Il suit de près les débats des diverses instances de l’Union européenne et donne son opinion sur les mesures en cours d’élaboration (voir le site de la Comece). Reste une question délicate, qu’on ne peut honnêtement éluder : quelle est la crédibilité des positions courageuses prises par les autorités ecclésiales, si elles sont ignorées – voire désavouées, les sondages le montrent – par la majorité des catholiques pratiquants ? Un véritable travail de «conversion » de l’opinion des catholiques est devant nous. Les outils sont là : il importe de les connaître, et de les faire connaître.

Christian Mellon