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12 octobre 2012

En attendant l’encyclique

La fabrique de la doctrine sociale – N° 5

Christian Mellon, Jésuite, Ceras, ancien secrétaire de la Commission Justice et Paix France

On sait que Benoît XVI est en train de mettre la dernière main à sa première encyclique sociale, qui portera, dit-on, sur la mondialisation. C’est l’occasion de mettre en œuvre « en temps réel » l’intuition qui a présidé à la création de cette chronique, telle qu’on la trouve dans La Lettre de juin 2007 : « Repérer les lieux, les personnes, les groupes où germent les éléments d’une réflexion chrétienne sur des thèmes qui pourraient un jour – proche ou lointain – faire l’objet d’une encyclique sociale ».

De fait, sur la mondialisation, la réflexion des chrétiens est déjà abondante. On devra se limiter ici à ce qui a été produit en France.

Commençons par l’important ouvrage publié par Justice et Paix-France en 1999, Maîtriser la mondialisation (Cerf, Centurion, Fleurus-Mame, coll. Documents d’Eglise), plusieurs fois réédité. Piloté par Daniel Maquart (malheureusement décédé peu après), ce travail collectif invite à discerner, dans l’ensemble des phénomènes regroupés sous le terme « mondialisation », entre ce qui relève du « mauvais universalisme », celui de l’uniformisation et de la puissance – symbolisé par le récit de Babel – et le seul universalisme acceptable pour un chrétien, celui qui combine solidarité et respect des différences, symbolisé par le récit de la Pentecôte (c’est « dans sa langue » que chacun entend la même bonne nouvelle). La mondialisation – si l’on prend soin de ne pas la réduire à ses composantes économiques et financières, si importantes soient-elles – n’est en soi ni bonne ni mauvaise : elle sera ce que nous en ferons. Il ne s’agit ni de l’encenser, ni de la dénigrer, mais de la « maîtriser », notamment en construisant « des contrepoids juridiques, sociaux et politiques à la logique implacable des entreprises et de la rentabilité », en œuvrant au développement d’institutions internationales plus efficaces et plus démocratiques.

Cet appel au discernement, ce refus de toute approche simpliste (en pour ou contre), ce désir de soumettre les intérêts économiques à des contrôles politiques à visée éthique, on les retrouve dans les échanges et confrontations qui marquent le processus des « Assises chrétiennes de la mondialisation ». L’histoire de cette aventure, ouverte en 2002 et conclue en 2006 par une vaste « assemblée synodale », mériterait qu’on s’y attarde (voir plus de détails sur : http://www.cathonet.org/mondialisation/index.php et http://www.ceras-projet.com/index.php ?id =2574 ). Les ACM ont en effet réussi un pari difficile : faire dialoguer et travailler ensemble, sur un thème controversé, des milliers de chrétiens (catholiques et protestants) très divers par leurs positions dans la société – dirigeants d’entreprise, syndicalistes, militants, bénévoles, permanents de mouvements – et par leurs options. Pilotée par un comité qu’animait Jérôme Vignon, cette réflexion collective a produit un livre qui garde la trace de ses débats, Dialogues pour une terre habitable (Bayard, 2006).

Evoquons aussi trois productions très éclairantes : l’interpellation dérangeante de Mgr Albert Rouet, Faut-il avoir peur de la mondialisation ? Enjeux spirituels et mission de l’Eglise (Desclée de Brouwer, 2000), l’analyse engagée du théologien dominicain Alain Durand, La foi chrétienne aux prises avec la mondialisation (Cerf, 2003) et l’enquête de Pierre Vilain, Les chrétiens et la mondialisation (Desclée de Brouwer, 2002).

De tout cela, il ressort que les chrétiens n’ont certes pas à produire des analyses du phénomène « mondialisation » qui leur soient propres (ce qui irait contre le principe conciliaire de « l’autonomie des réalités terrestres »), mais qu’ils trouvent dans leur tradition des raisons de s’engager contre les effets négatifs d’une mondialisation « non maitrisée » : elle creuse les écarts entre riches et pauvres, elle suscite des réactions « identitaires » (nationalistes, souverainistes ou intégristes religieuses) qui sont facteurs de violences. Mais, porteurs d’une espérance et d’une éthique universalistes, ils ne sauraient « rejeter en bloc la mondialisation, puisque celle-ci associe tous les hommes et les solidarise » (Justice et Paix, p. 21). Poussés par la visée du « bien commun universel », il leur revient de chercher à la maîtriser.

Cette conjonction de critique et d’accueil positif explique que de nombreux chrétiens se sentent proches de la mouvance « altermondialiste ». Le Secours catholique et le CCFD – pour ne citer que deux des organismes les plus importants – ont choisi d’être activement présents dans les « Forums sociaux mondiaux ». A Nairobi (janvier 2007), la Caritas internationalis était omniprésente. S’en étonner, c’est ignorer le rôle des chrétiens dans la naissance de cette dynamique, à Porto Alegre, en 2001, et en particulier celui, décisif, de Chico Whitaker, alors secrétaire de la commission Justice et Paix de l’épiscopat brésilien, auteur d’un livre qui en résume bien l’histoire et les objectifs : Changer le monde (Editions de l’Atelier, 2006). Certes cette mouvance est très composite, ce qui peut expliquer la méfiance de ceux qui n’en ont que des échos médiatiques indirects. Mais un récent article de la revue Etudes (février 2008) montre bien, sous la plume de Pierre Martinot-Lagarde, que le courant qui reste dominant en son sein depuis le début - celui qui a très vite enterré l’« antimondialisation » pour imposer le mot « altermondialisme » - reste marqué par l’influence des mouvements chrétiens. Pour eux, il en va du sérieux à accorder, dans le monde tel qu’il est, à des principes aussi importants que l’option préférentielle pour les pauvres, la destination universelle des biens, l’unité de la famille humaine et la réhabilitation du politique.

Article paru dans La Lettre des Semaines sociales n° 51 (juillet 2008)