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15 janvier 2009

Gaza : légitime défense ?

Christian Mellon, Jésuite, Ceras, ancien secrétaire de la Commission Justice et Paix France

Parmi les arguments qu’échangent partisans et adversaires de l’opération militaire israélienne contre Gaza, il en est un qui mérite une discussion précise : l’appel au « droit de légitime défense ». Il constitue en effet la seule exception qui soit admise, tant dans la charte de l’Onu que dans la réflexion éthique chrétienne, au principe d’interdiction totale de la guerre. On lit en effet, dans l’article 51 du chapitre VII de la Charte : « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. » Et, sous la plume des évêques rassemblés en Concile : « On ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifique, le droit de légitime défense » (Gaudium et spes, 79, 4).

La notion de « légitime défense » constitue donc une bonne base pour débattre de la justification éthique de l’opération israélienne contre Gaza. Mais à condition de ne pas citer certains textes pour mieux en oublier d’autres ! Du Moyen-Âge au Concile Vatican II, les théologiens catholiques n’ont cessé de rappeler que ce droit de légitime défense ne peut être mis en œuvre que moyennant le respect de quelques conditions strictes. Ce n’est pas parce que cet enseignement, d’ailleurs peu suivi, a été affublé de la très maladroite appellation de « guerre juste » (comme s’il y avait de « bonnes guerres » !) qu’il faut le croire démonétisé aujourd’hui : il contient quelques principes généraux qui restent très utiles pour mener un discernement éthique face aux situations concrètes de violence1

Ultime recours ?

La première de ces conditions fait l’objet d’un très large consensus : aucun recours aux armes, même « défensif », n'est légitime s’il existe d’autres moyens que les armes pour mettre un terme à une agression. Or tout observateur du conflit israélo-palestinien sait qu’il existe un moyen qui permettrait à Israël de réduire d’abord, puis de faire cesser, les attaques dont ses citoyens sont la cible : respecter le Droit international et les résolutions de l’ONU. L’État d’Israël a le droit, politique et moral, d’exister et de vivre en sécurité – en ce sens, le sionisme, au sens précis du terme, est légitime – mais pas de fixer ses frontières à son gré, en fonction du seul rapport de forces. Bien des Israéliens le savent et l’ont écrit : si leur pays acceptait enfin de revenir aux frontières de 1967, la sécurité de sa population ne serait plus menacée que par quelques extrémistes, qui deviendraient vite ultra minoritaires. Le plan de paix élaboré à Genève en 2003 par de hauts responsables politiques des deux camps constitue une solution que beaucoup d’amis d’Israël ont estimée à la fois juste et réaliste : tant qu’il n’a pas été vraiment essayé, comment prétendre que l’action armée constitue un « ultime recours » ?

Peser toutes les conséquences

La deuxième de ces conditions, c’est de respecter le principe dit de proportionnalité : même en légitime défense, même en « ultime recours », il est immoral de recourir aux armes si les conséquences prévisibles des opérations militaires sont hors de proportion avec les violences qu’elles se proposent de contrer. Ce principe s’inscrit dans une « éthique de responsabilité », qui prend en considération toutes les conséquences des actions que l’on décide : pas seulement celles du court terme (morts, blessés, destructions, etc.), mais aussi celles du moyen et du long termes : haines renforcées, appétits de vengeance, extrémistes du camp adverse renforcés, etc. C’est sur ce principe, par exemple, que s’appuyait Jean Paul II lorsque, prévoyant que la guerre de 1991 contre l’Irak serait « particulièrement meurtrière, sans compter les conséquences écologiques, politiques, économiques et stratégiques », il rappelait que « le recours à la force pour une cause juste n'est admissible que si celui-ci est proportionnel au résultat que l'on veut obtenir et en soupesant bien les conséquences de l'action militaire ».

Les opérations militaires actuelles, à supposer même qu’elles parviennent à mettre un terme aux tirs de roquettes partant de la bande de Gaza, auront des conséquences disproportionnées par rapport à cet objectif. En exacerbant les haines, en creusant le désespoir des Palestiniens, en conférant au Hamas (comme hier au Hezbollah libanais) un surcroît de prestige aux yeux des peuples arabes, les armes de cette « légitime défense » auront fait reculer dramatiquement le moment, pourtant inéluctable, où elles devront se taire pour rendre une chance à une paix fondée sur la justice et la sécurité pour tous.

Article publié dans le magazine Témoignage chrétien du 15 janvier 2009.

1  Je me permets de renvoyer au chapitre 3 de l’ouvrage collectif Justifier la guerre ? (Presses de Sciences-po, 2005), dans lequel je montre la pertinence actuelle de la plupart des critères de jugement développés par la mal nommée « doctrine de la guerre juste ».