Le 17 mars 2009, Marc Ravalomanana était chassé du pouvoir par Andry Rajoelina, jeune maire de Tananarive. Ce dernier a promis de restaurer un État laïc. Eclairage sur les relations entre Églises et politique à Madagascar (en icône, la reine Ranavalona II, convertie au christianisme en 1869). L’auteur, jésuite, vit depuis plus de 30 ans à Madagascar d’où il a été expulsé par le président Ravalomanana. Il a pu retourner dans ce pays en 2010.
Le christianisme à Madagascar, à peine majoritaire dans une population de 20 millions d’habitants, se compose pour moitié de catholiques (Ecar) et pour moitié d’autres dénominations : protestants réformés (FJKM), luthériens (FLM), anglicans (EEM) et plusieurs centaines de groupements évangéliques (les « sectes ») en forte progression. Pour le reste, la religion traditionnelle (l’« animisme ») concerne environ 45 % de la population et l’Islam environ 5 %. Ces chiffres sont approximatifs, les recensements nationaux de 1975 et de 1993 n’ayant pas posé la question de l’appartenance religieuse.
Si les Hautes terres sont majoritairement christianisées, les régions côtières ne le sont qu’à hauteur de 10 % environ – avec une nette prédominance catholique – mais les villes y comptent plus de chrétiens que les campagnes.
L’identité malgache a une double origine indonésienne et africaine, mêlée d’influences arabe, européenne, indienne et chinoise ; la dimension religieuse y tient une place importante. La religion traditionnelle affirme l’existence d’un Dieu lointain qui est « un quelqu’un » (Andriamanitra, prince parfumé) et un créateur (Andriananahary, prince créant). Avec Dieu, se trouvent des esprits qui sont les ancêtres des hommes : tantôt maléfiques tantôt bénéfiques, ils interfèrent dans la vie des humains qui se doivent de les neutraliser ou de se les concilier. Les hommes sacrés s’appellent ombiasy ou mpisikidy (devins), mpisorona (prêtre), mpanandro (astrologue) et mpamosavy (mauvais sorcier). Ils agissent par l’intermédiaire de charmes (ody), talismans (sampy) ou amulettes diverses.
Ce socle originel s’est enrichi, du XI° au XV° siècle, d’un apport arabe qui a introduit localement l’abstention du porc et d’autres animaux impurs, l’horreur du chien, les bandelettes sur les morts, le tombeau (kibory est un nom arabe). Il a donné au pays le vocabulaire des jours et des mois du calendrier lunaire, de l’astrologie et de la divination, ainsi que le jeu d’échecs.
Le christianisme se greffe donc sur ce tronc religieux traditionnel. Arrivée à Tananarive en 1820, sous le règne de Radama 1er, la LMS (London Missionary Society) crée les premières écoles et une imprimerie qui édite en 1835 la traduction de la Bible en malgache. Ce texte fixe l’écriture, stabilise la langue et diffuse la culture chrétienne dans la population – au point que des citations bibliques sont prises pour des proverbes de la sagesse ancestrale ! Les convertis récusent la polygamie et l’esclavage, et parlent de l’égalité entre les hommes. Surtout, l’adhésion au christianisme met en cause la légitimité sacrée au souverain. D’où l’interdiction du christianisme en 1835 par la reine Ranavalona 1ère, suivie de l’expulsion des missionnaires puis de tous les étrangers, et de violentes persécutions entre 1837 et 1857 (la martyre protestante Rasalama a été exécutée le 14 août 1837).
Radama II, fils de Ranavalona 1ère, proclame la liberté religieuse en 1861. Avec lui, le christianisme se répand et se diversifie avec l’arrivée des catholiques, des anglicans et des luthériens. En 1869, la reine Ranavalona II se convertit, déclenchant un raz de marée de conversions : le christianisme est devenu partie intégrante de la société malgache, surtout sur les Hautes terres.
La colonisation (1896-1960) voit s’atténuer la rivalité entre catholiques et protestants. Les Églises s’organisent face à l’afflux des conversions, multiplient les œuvres scolaires et caritatives et malgachisent leurs cadres. Après la deuxième guerre mondiale, on assiste au passage progressif d’un christianisme missionnaire à un christianisme malgache, consacré par l’indépendance recouvrée de 1960. Depuis lors, les Églises chrétiennes ont joué, en plus de leur rôle social habituel, un rôle politique, tantôt comme recours en face de pouvoirs oppressifs, tantôt comme alliés inconditionnels du pouvoir en place.
Le christianisme a donc été un important vecteur de la modernité : d’abord seul, puis en complémentarité/opposition avec le moment colonial, hier en butte aux idéologies tiers-mondiste et socialiste, aujourd’hui face au libéralisme et la mondialisation. Mais l’influence a été réciproque, la culture traditionnelle ayant pénétré et influencé le christianisme.
Membres de leur société, les Églises donnent leur point de vue lorsque la société est en difficulté. Les évêques catholiques l’ont fait dès avant la colonisation : dès 1889, le premier évêque de Tananarive avait dit sa préoccupation face à la pratique de l’esclavage. Bien que majoritairement composé d’Européens (le premier évêque Malgache, Ignace Ramarosandratana, sera sacré en 1939), l’épiscopat reconnaîtra le légitime nationalisme en 1934, et la légitimité de l’aspiration à l’indépendance en 1953.
Pendant la première crise de 1972, les Églises catholique, réformée et anglicane proposèrent leur médiation pour mettre un terme aux affrontements. En 1975, les luthériens se joignirent à elles pour défendre l’héritage de Ratsimandrava, le Chef d’État assassiné six jours après sa prise de fonction. Et lorsque Ratsiraka voulut imposer son idéologie marxisante et tiers-mondiste, l’Église catholique fut souvent la seule à défendre la population manipulée et exploitée. Les trois autres la rejoignirent pour former en 1980 le FFKM, Conseil des Églises Chrétiennes à Madagascar.
L’année 1989 constitue une charnière, marquée par l’élection présidentielle remportée par Ratsiraka dans des conditions douteuses, la création du KMF/CNOE (Comité National pour l’Observation des Elections) et la visite de Jean-Paul II. La contestation s’organise, encouragée par le FFKM qui convoque une Concertation nationale en 1990. Les manifestations populaires se succèdent jusqu’à la « marche de la liberté » du 10 août 1991, qui fait plus de 100 morts et aboutit et à une Transition présidée par Albert Zafy. Le FFKM (sans les catholiques) en est partie prenante. Les belles intentions ne se concrétisent pas, et le président Zafy est « empêché » en 1996.
Complice de l’échec et décrédibilisé, le FFKM s’est tu. En 2001, il récidive en soutenant le candidat Marc Ravalomanana, vice-Président de la FJKM (Église Réformée de Madagascar). Les catholiques sont plus réservés, sauf le Cardinal archevêque d’Antananarivo, quelques évêques merina (peuple implanté autour de Tananarive), le clergé et les religieux/ses. La côte est partagée entre le rejet de Ratsiraka et la crainte de l’hégémonie merina. Pendant les années du pouvoir de Marc Ravalomanana, le système des relations Églises/État est caractérisé par une ingérence mutuelle dans les affaires des unes et de l’autre, au grand bénéfice financier de la FJKM.
Après le départ à la retraite du Cardinal Razafindratandra, son successeur Odon Razanakolona revient à une neutralité critique de l’Église catholique, notamment lors du référendum constitutionnel qui abolit le caractère laïc de l’État en avril 2007. Marc Ravalomanana le comprend comme un passage à l’opposition, et les mesures vexatoires se multiplient : menaces contre des prêtres, interdiction de l’émission Karajia de la radio catholique RDB, ma propre expulsion du pays, exclusion du nonce d’une réception à la présidence, etc. Lors de la crise qui aboutit à la chute de Ravalomanana le 17 mars 2009 et à la « transition » dirigée par Andry Rajoelina, la médiation du FFKM fut à nouveau sollicitée. Les autres Églises étant trop liées au pouvoir, l’archevêque catholique d’Antananarivo en prit seul la responsabilité, mais renonça très vite face à l’intransigeance des deux parties. Par contre, le nouveau Président de la Haute Autorité de Transition, Andry Rajoelina, a promis de restaurer la laïcité de l’État.
Au contact du christianisme, Madagascar s’est enrichi d’une écriture, d’un vocabulaire nouveau, d’une sagesse approfondie et d’une vision religieuse renouvelée. Pour sa part, le christianisme s’est intégré dans la réalité malgache par des rites spécifiques, des structures ecclésiales longtemps inédites et un rapport original à la société, notamment politique. Un enrichissement mutuel, dont il faut espérer que le pays saura profiter longtemps encore.