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23 janvier 2013

« Caritas in veritate » : une encyclique théologique

Bertrand Hériard , Jésuite, ancien directeur du Ceras et de la revue Projet

Bertrand Hériard est jésuite et directeur du Ceras ; Bertrand Cassaigne est jésuite et rédacteur de la revue Projet ;Françoise Salmon est rédactrice en chef de la revue Projet.

La lettre « Caritas in veritate » paraît le 7 juillet 2009. C’est la première encyclique sociale du pape Benoît XVI. Ancrée dans une longue tradition, commencée avec Léon XIII en 1891, elle n’en porte pas moins la marque explicite d’un pape théologien. Prenant pour thème central la question du développement, elle cherche aussi à enraciner la parole sociale de l’Eglise dans la tradition théologique et le mystère chrétien. Elle s’oppose ainsi à certains courants qui marginalisent cet enseignement, soit parce que l’Eglise n’aurait pas autorité pour parler de ces questions, soit parce que son discours s’appuierait davantage sur une philosophie sociale que sur une théologie. Dès l’introduction, en reprenant la dialectique qui lie « Amour et vérité », déjà développée par ses prédécesseurs, en particulier par Jean Paul II, Benoît XVI rappelle combien la pratique de la charité est l’expression par l’Eglise de sa foi en Dieu et dit la vérité de l’homme tant celui-ci a besoin d’amour. Le premier chapitre commence par rappeler l’actualité du message de « Populorum Progressio », l’encyclique de Paul VI dont on célèbre le 40e anniversaire, en montrant comment la question du développement (intégral et durable) est bien l’expression contemporaine de la question sociale dans un contexte de mondialisation. Mais en même temps, revenant sur des thèmes abordés dans sa première lettre « Deus est Caritas », Benoit XVI déploie une réflexion qui lui tient à cœur en insistant sur la nécessité pour la foi et la raison de s’éclairer mutuellement sur ce point.

Cette recherche donne à l’ensemble de l’encyclique une vigueur anthropologique originale. Elle rappelle combien la question sociale aujourd’hui, celle du développement et de la mondialisation, celle du bouleversement des anciennes solidarités, et les effets de crises, comme celles que nous connaissons, ne touchent pas seulement la surface (celle des procédures et des règles) mais engagent une vision de l’homme, sa dignité, sa transcendance. La charité ne peut être réduite à l’assistance ou à un complément social venant corriger les effets de l’économie mais doit informer tout le fonctionnement de notre vie économique et sociale car il y va de la vérité de la personne humaine, centre de tout vrai développement. Un paragraphe entier (n° 34) du chapitre 3 montre comment l’économie du don, qu’appelle la charité, est nécessaire à la justice et l’accomplit tout en la dépassant. Dans le chapitre 5, un regard sur l’homme comme relation fait de l’amour le fondement où l’homme se découvre lui-même. De même dans le chapitre 6, la technique est présentée positivement comme une « réalité profondément humaine, liée à l’autonomie et à la liberté de l’homme » (n° 69), mais cela lui permet de critiquer toute technologie qui se fait idéologie.

Certes, cette anthropologie est profondément théologique, présentant l’adhésion aux valeurs du christianisme « comme un élément non seulement utile mais indispensable pour l’édification d’une société bonne et d’un véritable développement humain intégral » (n° 4). Mais le théologien moraliste n’oublie jamais que le dialogue de la foi et de la raison commence à propos de la loi naturelle dans la recherche des valeurs universelles accessibles à tout homme.

Cette relecture de la doctrine sociale de l’Eglise n’est pas pour autant hors du temps ; elle fait droit à des points d’attention et des insistances nouvelles.

L’alimentation et l’accès à l’eau sont présentés « comme des droits naturels de tous les êtres humains sans distinction ni discrimination » (n° 27). En reprenant un passage de son discours à la FAO pour la journée mondiale de l’alimentation de 2007, il donne tout son poids à cette urgence.

Benoît XVI prolonge l’enseignement de Jean Paul II dans « Centesimus annus » qui rappelait : « quand l’écologie humaine est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage1 ». Il le complète en précisant la notion de développement durable et en insistant sur les nouveaux styles de vie nécessaires et sur la place des consommateurs.

Un paragraphe sur l’économie « civile et de communion », une expression que l’on pourrait traduire ici par l’économie sociale, fait place à des notions nouvelles comme le commerce équitable et le micro-crédit.

Le concept de travail décent, fortement mis en avant par l’Organisation internationale du travail, fait aussi son apparition dans le discours du magistère.

Si Benoît XVI porte l’attention sur un certain nombre de points concrets (et d’autres encore sur la participation, sur de nouvelles formes de coopération respectueuses des cultures, sur la réforme des organismes internationaux, sur la nécessité d’une organisation mondiale de régulation…), il les inscrit dans une perspective théologique qui nous interroge sur le sens de l’homme et sur nos solidarités. On aurait pu souhaiter qu’il les développe davantage mais leur éclairage par la Révélation chrétienne leur donne une grande force. Pourtant, on peut se demander si l’ensemble du texte n’est pas davantage écrit pour les évêques que pour les hommes de bonne volonté ! L’insistance sur le lien intrinsèque entre la doctrine sociale et la foi chrétienne est à la fois une force et une limite pour sa réception. Des affirmations comme « l’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain » (n° 78) ne risquent-elles pas d’être mal comprises par ceux qu’ont blessés certaines images de Dieu ? Cependant, elles ne devraient pas nous laisser sourds à son appel à de vraies convergences éthiques, présentes dans toutes les cultures (n° 59), dans la recherche de la vérité – du sens de l’homme – et de la charité – d’une solidarité à la fois débordante et concrète. C’est le « développement de tout l’homme et de tous les hommes » qui est en jeu plus que jamais.

Photo A. Salmon, DR

1  II, Lettre encyclique Centesimus Annus, n° 38.