Le deuxième synode sur L’Église en Afrique, « au service de la réconciliation, de la justice et de la paix » s’est achevé sur 57 propositions que les évêques considèrent d’une importance capitale1 pour l’avènement d’une société africaine réconciliée, justifiée et pacifiée. Nous voudrions en dégager les principales innovations socio-politiques et souligner les défis à affronter pour en rendre effectives les visées.
Le premier synode avait été consacré à l’évaluation de l’œuvre de l’Évangélisation en Afrique. Il avait abouti, dans une perspective ecclésiologique, à la compréhension de l’Église en Afrique comme une « Église Famille de Dieu », où les fidèles chrétiens trouvent la joie d’être et de vivre en frères et sœurs autour de Jésus Christ l’Unique Nécessaire. Les oppositions tribales2, l’instabilité politique (Ecclesia in Africa sur l’Église en Afrique et sa mission évangélisatrice vers l'an 2000, EA 51), les déficits de réconciliation (EA 79), les carences de justice et de paix (EA 105), étaient identifiés comme les soubresauts qui fragilisent les sociétés africaines contemporaines. Le thème du deuxième synode se trouve ainsi englobé dans le premier. S’agit-il pour autant d’une répétition redondante ? L’analyse des propositions témoigne, qu’à la différence du précédent, où les questions socio-politiques étaient l’objet d’une simple prise de conscience (EA 49 ; 51), d’exhortations catéchétiques au changement, cette deuxième assemblée utilise un ton beaucoup plus engagé. Elle a cherché à élaborer des stratégies concrètes pour faire de l’Église en Afrique un instrument efficace au service de la réconciliation, de la justice et de la paix.
La proposition la plus audacieuse, quasi révolutionnaire, est cette annonce que « l’Église en Afrique demande d’être présente dans les institutions nationales, régionales et continentales d’Afrique », en vue de contribuer à « l’élaboration de lois justes et de politiques favorables au bien des populations » (P 24). L’Église ne se contente plus de dénonciations enflammées, prophétiques, ni d’une mission de consolation des cœurs meurtris. Elle veut prévenir le nombre croissant des épreuves dont souffre l’Afrique, causées par trop d’irresponsabilité en influençant efficacement les décisions politiques. Outre l’importance de la prière qui est le ferment de la vie de l’Église (P 14), il est question de créer à tous niveaux des commissions dynamiques pour la justice et la paix (P 15), de former la conscience politique de tous les chrétiens sans exception, en incluant dans le matériel catéchétique des éléments de la doctrine sociale de l’Église (P 18), d’établir une initiative africaine de paix et de solidarité grâce à laquelle l’Église locale pourrait aider à la résolution de conflits et à la consolidation de la paix (P 21), d’ouvrir des facultés de sciences politiques (P 25) pour former une élite compétente et œuvrant au bien commun. Ce projet de travailler au relèvement des sociétés africaines ne constitue pas une dérive par rapport à la mission de l’Église. « La gloire de Dieu c’est l’homme debout. »
Des propositions aussi engagées ne sont pas sans soulever quelques questions. Et d’abord celle-ci : le Pape à qui il a été demandé de rédiger une exhortation apostolique post-synodale, comme piste d’action, ira-t-il dans le sens de ces propositions fortes (sinon au-delà), en invitant les Églises d’Afrique à des actes à la mesure du drame que traverse le continent africain ?
Mais en supposant que le Pape s’inscrive dans cette direction, le premier défi sera la capacité des évêques de chaque conférence épiscopale à travailler ensemble, à concilier leurs vues, pour « réconcilier toute chose dans le Christ » (Cf. 2 Cor 5, 19). Trop souvent, les évêques eux-mêmes n’échappent pas à la dérive ethnique, tribale, régionale, voire à l’allégeance partisane vis-à-vis de certains hommes politiques.
Un deuxième défi sera de constituer au sein de chaque Conférence une commission pluridisciplinaire, chargée de réfléchir concrètement aux pistes ouvertes par les propositions du synode, afin qu’elles prennent chair dans chaque société. Les évêques africains auront-ils l’humilité de décléricaliser ces commissions en y intégrant des laïcs compétents dans le domaine des sciences humaines et sociales, conformément à la disposition juridique de l’Église ?3
Le dernier défi concerne la formation du clergé. Face à la complexité des sociétés et de la politique africaine contemporaine, il faut aller plus loin que la simple intégration de la doctrine sociale de l’Église dans la formation des prêtres (P 18), et diversifier les études spécialisées au-delà de la philosophie et de la théologie. Bien des prêtres qui font des incursions dans le domaine politique sont plus proches de la rhétorique médiatique que d’une rigueur d’analyse capable d’orienter les fidèles dans la construction de sociétés réconciliées et prospères. Les facultés de sciences politiques que l’on entend créer ne devraient pas servir uniquement à la formation des laïcs !
Cette assemblée des évêques a su avancer des propositions vigoureuses. Elle est d’abord une provocation pour les membres de l’Église en Afrique dans leur capacité à les traduire sagement en actes.
Thomas Ahoussi
1 Proposition n°1 du deuxième synode africain. Je cite ce document par le sigle P, suivi du numéro.
2 Jean Paul II, Exhortation post-synodale. Ecclesia in Africa sur l’Eglise en Afrique et sa mission évangélisatrice vers l’an 2000, Kinshasa, Médiaspaul, 1995 n°49. Nous citons ce document par le sigle EA, suivi du numéro
3 Code de Droit canonique de 1983, Canon 228§1-2