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23 janvier 2013

Subsidiarité et solidarité

Bertrand Hériard , Jésuite, ancien directeur du Ceras et de la revue Projet

Dans sa dernière encyclique, Benoît XVI réaffirme l’actualité du principe de subsidiarité : « L’articulation de l’autorité politique au niveau local, national et international est, entre autres, une des voies maîtresses pour parvenir à orienter la mondialisation économique. C’est aussi le moyen d’éviter qu’elle ne mine dans les faits les fondements de la démocratie. » (Caritas in veritate, CV 1)

Quel est le fondement d’un tel principe ?

Remarquons d’abord que les papes en ont toujours fait une utilisation critique. Léon XIII introduit ce principe au moment où le capitalisme triomphant traite les ouvriers comme des marchandises, leur refusant tout droit de coopérer et de se syndiquer. Pie XI le systématise au moment de la montée des nationalismes et des États totalitaires1. Jean XXIII en étend le champ au plus fort de la guerre froide. Dans cette ligne, Benoît XVI rappelle son lien indissoluble avec la solidarité.

« Le principe de subsidiarité doit être étroitement relié au principe de solidarité et vice-versa, car si la subsidiarité sans la solidarité tombe dans le particularisme, il est également vrai que la solidarité sans la subsidiarité tombe dans l’assistanat qui humilie celui qui est dans le besoin » (CV 58.)

De quel droit les papes se permettent-ils de contester l’ordre politique ? Ils le font d’abord au nom du respect de la dignité humaine, principe fondamental du discours social de l’Église. « Au fondement, qui est la dignité humaine, sont intimement liés le principe de solidarité et le principe de subsidiarité. En vertu du premier, l’homme doit contribuer avec ses semblables au bien commun de la société, à tous les niveaux (…) En vertu du second, ni l’État ni aucune société ne doivent jamais se substituer à l’initiative et à la responsabilité des personnes et des communautés intermédiaires au niveau où elles peuvent agir ».2

Quelle en est la portée politique ?

Deux exemples récents soulignent la pertinence du principe aujourd’hui.

Dans le chapitre III de Caritas in veritate, Benoît XVI loue en ces termes l’économie « solidaire », « civile » ou de « communion » : « À l’époque de la mondialisation, l’activité économique ne peut faire abstraction de la gratuité, qui répand et alimente la solidarité et la responsabilité pour la justice et pour le bien commun auprès de ses différents sujets et acteurs. Il s’agit, en réalité, d’une forme concrète et profonde de démocratie économique » (CV 38). En liant solidarité et subsidiarité, Benoît XVI appelle à rénover la démocratie par le bas, car les relations fraternelles développées en solidarité construisent la communauté politique « qui existe pour le bien commun » (GS 74. 1).

Plus récemment encore, douze ONG, dont le Zentralkomitee der deutschen Katholiken (ZdK) et les Semaines sociales de France ont été admises comme « tierce partie » dans l’affaire Lautsi qui sera examinée prochainement par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le 3 novembre 2009, une chambre de sept juges avait statué que l’exposition du crucifix dans les salles de classe des écoles publiques italiennes violait le droit d’une mère à éduquer ses enfants selon ses propres convictions. Un des arguments avancé par les douze ONG pour contrer cet arrêt fait appel au principe de subsidiarité : imposer la neutralité confessionnelle à tous les pays d’Europe, ce serait perdre de vue que les normes établies par la Convention européenne des droits de l’homme sont de nature « subsidiaire », c’est-à-dire qu’elles ne s’imposent que si la législation d’un État particulier n’en traite pas de manière satisfaisante : ce n’est pas à une cour européenne de décider ce que l’Italie peut ou ne peut pas faire sur une question de ce genre.

Pour être reconnu, le principe de subsidiarité a besoin d’être à la fois force de proposition et force critique. Comment peut-il avoir une portée politique, s’il n’est pas porté concrètement par tous les chrétiens, à leur niveau ? Comment peut-il demeurer critique si les chrétiens ne s’en servent pas pour protester chaque fois que sont méprisées des libertés (la liberté religieuse, certes, mais pas elle seule) ? En imposant le respect de toute personne humaine comme principe inconditionnel, en le montrant en particulier par l'accueil des plus petits et des migrants, en rappelant que ce respect comprend les libertés (celles des associations, des syndicats, des « corps intermédiaires »), les chrétiens continuent à « fabriquer » le discours social de l’Église.

1  Quadragesimo anno, QA 90-103. Le pape  aurait ajouté de sa propre main plusieurs paragraphes, qui auraient vivement mécontenté Mussolini.

2  Instructio de libertate christiana et liberatione, 22 mars 1986 AAS 79 (1987) 554-599