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23 janvier 2013

Roms, migrants : sur quoi s’appuient les évêques ?

Le devoir d’accueil selon le catéchisme catholique

Christian Mellon, Jésuite, Ceras, ancien secrétaire de la Commission Justice et Paix France

Une majorité de catholiques pratiquants, si l’on en croit les sondages, se dit en désaccord avec les protestations que viennent d’exprimer bon nombre d’évêques contre les expulsions de Roms. Plus généralement, on sait qu’ils n’approuvent guère les critiques formulées ces dernières années par de nombreux chrétiens contre les politiques visant à restreindre l’accès au droit d’asile, au regroupement familial, à la régularisation des « sans papiers », etc.

Belle occasion de réaffirmer que la doctrine sociale de l’Église n’est pas seulement un recueil de textes à étudier et commenter, mais qu’elle ne cesse de se traduire en jugements éthiques portés sur toute réalité collective où la dignité de l’homme est en cause. Ceux qui écrivent que les évêques protestataires – mais aussi la quarantaine de mouvements ou services d’Église qui viennent d’élaborer un argumentaire rigoureux contre le nouveau projet de loi Besson1 – ne seraient mus que par leur générosité, un évangélisme naïf ou une « éthique de conviction » insensible aux réalités, ne font que manifester leur propre ignorance : ces positions s’adossent d’une part à de solides dossiers d’experts sur les réalités (démographiques, sociales, économiques, juridiques), d’autre part au socle de réflexion fourni par quelques principes fondamentaux de la doctrine sociale de l’Église. Illustrons cela sur deux points essentiels : le devoir d’accueil, le droit à la mobilité.

La doctrine sociale catholique prend très au sérieux le droit à la vie : tout homme a le droit de vivre en sécurité et de disposer de ce qui est nécessaire pour vivre dignement ; si ce n’est pas possible chez lui, c’est pour lui un droit (non une faveur) que d’aller chercher ailleurs sa sécurité et ses « ressources vitales ». Cela crée, pour les pays riches et en paix, un véritable devoir d’accueil, que le catéchisme de l’Église catholique (article 2241) formule ainsi : « Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine ». La formule « autant que faire se peut » précise l’unique limite opposable à un tel devoir : les cas où cet accueil est vraiment impossible ; on ne saurait l’invoquer pour s’exonérer de cet accueil lorsqu’il est seulement jugé peu opportun, dérangeant, désagréable. On ne saurait non plus opposer à ce devoir la souveraineté de l’État, car, comme le dit Mgr Luis Morales Reyes, président de la conférence épiscopale du Mexique, « les États et leurs lois légitimes de protection des frontières seront toujours un droit postérieur et secondaire par rapport au droit des personnes et des familles à la subsistance »2.

Ceci, il est vrai, ne règle la question que quand la migration est pour quelqu’un une question de survie. Dans les autres cas, la doctrine catholique reconnaît aux États le droit de réglementer les conditions d’accès à leur territoire, mais seulement à titre d’exception – et pour des « motifs graves » – au principe général, qui est celui de la liberté de circulation. C’est ce qu’écrivait Paul VI en 19693 : « Les autorités publiques nieraient injustement un droit de la personne humaine si elles s’opposaient à l’émigration ou à l’immigration… à moins que cela soit exigé par des motifs graves et objectivement fondés, relevant du bien commun ».

L’éthique sociale catholique admet donc qu’un État, en raison de « motifs graves et objectivement fondés », puissent faire des exceptions au principe général de liberté de circulation. Mais la référence à la notion de bien commun, non à celle d’intérêt national, indique bien la nature de tels motifs : ni des intérêts catégoriels, ni des intérêts exclusivement nationaux ne sauraient en faire partie. Ce que beaucoup de chrétiens européens ou américains (de toutes les Églises) reprochent aux politiques menées depuis quelques années, c’est justement une extension indue du champ de ces « motifs graves », qui fait que l’exception tend à devenir la règle.

Il faudrait évidemment évoquer bien d’autres points de la doctrine sociale de l’Église pour expliquer les protestations de Benoît XVI et de nos évêques, et remonter aussi à la source biblique : pour le chrétien, le rapport à l’étranger ne relève pas seulement de l’éthique, mais de sa foi même. Tout cela sera, bien sûr, évoqué et développé au cours de nos trois jours de session fin novembre.4

octobre 2010

Photo ©A.Marnat/Flickr/licence CC

1  Appel « Ne laissons pas fragiliser le droit de l’étranger », à lire sur les sites des mouvements signataires ou sur celui du Ceras : http://www.ceras-projet.org/index.php?id=4443.

2  Message du 15 novembre 2002, cité dans Bernard Fontaine, Les Églises, les migrants et les réfugiés, Éditions de l’Atelier, 2006, p. 19.

3  « Pastoralis migratorum cura », La documentation catholique, 1970, n°1555, pp. 58-72.

4  La 85e Semaine sociale de France, du 26 au 28 novembre 2010, est consacrée aux Migrants. Pour plus d’information : Une semaine sociale consacrée aux Migrants.