facebook
08 juin 2020

Après le synode pour l'Amazonie: l'expérience de la Guyane

Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Guyanne

Après le synode pour l'Amazonie: l'expérience de la Guyane Cayambe - Creative commons 3.0

Le deuxième synode diocésain de l’Eglise de Guyane a été convoqué du 23 au 26 février 2020. Il avait pour objectif d’incarner en Amazonie guyanaise le dynamisme et les résolutions suscitées par le Synode des évêques pour la région pan-amazonienne réuni à Rome en octobre 2019. L'évêque de Guyane, Mgr Lafont, témoigne.

1/ le déroulement du synode diocésain

Tous les prêtres étaient convoqués. Ils devaient venir accompagnés de responsables paroissiaux et de toutes les personnes, jeunes en particulier, intéressées par le thème.
Nous avons eu 250 inscriptions au total, mais plusieurs personnes ont pris part à une partie du synode seulement, sans s’inscrire.
La messe d’ouverture a été célébrée le 23 février après-midi dans l’église Saint-Louis de Mirza.

Lundi 24 février

La journée a commencé par un temps de louange et de prière avec une méditation commune sur le premier synode de l’Eglise, raconté en Actes 6,1-7. Ce texte nous rappelle que, dès l’origine, les croyants ont pris l’habitude de se rassembler autour des apôtres pour prendre les décisions nécessitées par la vie de l’Eglise et sa mission dans un monde sans cesse en mouvement.

La matinée a été réservée à l’écoute bienveillante des cris des peuples d’Amazonie et des cris de la forêt amazonienne. Dès le début, le climat a été marqué par l’écoute et l’accueil dans la prière des interventions de chacun. Ceux qui ont pris la parole avaient quatre minutes pour s’exprimer ; après quatre interventions, nous prenions quatre minutes de prière silencieuse pour laisser descendre dans le cœur ce que nos oreilles avaient capté et pour demander à l’Esprit ce qu’il nous disait à travers ces témoignages. Des personnes de toutes conditions et de tous âges ont parlé : Amérindiens, Bushinengués, Créoles, Hmong, Brésiliens, Métropolitains…

Pour beaucoup, cette écoute bienveillante a été comme une révélation : « des écailles me sont tombées des yeux… » « Je ne savais pas… » « j’étais ignorant de toute cette souffrance… » Dans toutes les catégories, nous avons pu accueillir, recevoir les blessures et entendre les appels ! Ce fut une matinée très émouvante et instructive.

Après l’Eucharistie et le repas, les travaux ont repris en ateliers. Ce fut un moment d’approfondissement : les gens ont pu partager en petit groupe ce qu’ils avaient entendu, découvert, leurs indignations, leur espoirs aussi et leur désirs profonds.

En fin d’après-midi, en assemblée générale, d’autres interventions libres ont été écoutées, toujours avec la même empathie et les mêmes intermèdes de prière silencieuse.

Mardi 25 février

Nous avons de nouveau commencé la journée par un temps de louange puis de méditation biblique sous forme de Lectio Divina, en prenant le deuxième synode présenté dans les Actes des Apôtres au chapitre 15 : comment l’Eglise refuse d’imposer une culture à tous.

Au cours de l’assemblée générale suivante, nous avons donné un témoignage sur Laudato Si’, puis une introduction au Document final du Synode et à l’exhortation du pape Querida Amazónia.

Les ateliers se sont ensuite retrouvés et ils ont passé le reste de la journée à formuler des propositions sur les cinq points suivants

  1. Autour du rêve social de Querida Amazónia et du Document final du Synode

  2. Autour du rêve écologique de Querida Amazónia et du Document final

  3. Autour du rêve culturel de Querida Amazónia et du Document final

  4. Autour du rêve pastoral de Querida Amazónia et du Document final

  5. Autour du rêve synodal du Document final et du Saint Père.

Mercredi 26 février

La journée a commencé comme d’habitude par la prière de louange et la méditation évangélique sur Marc 6,34-43 : comment Jésus substitue à l’économie de marché, financière, l’économie du partage !

À partir des propositions des ateliers, retravaillés dans la nuit, 24 motions ont été mises au vote au cours d’une belle Assemblée Générale pendant laquelle chaque motion a été traduite en Aluku, wayana et kali’na afin que chacun comprenne bien ce sur quoi il devait voter.

Les motions ont été votées, à bulletin secret. Toutes ont obtenu plus des deux tiers des voix, et certaines la quasi-unanimité.

Le synode s’est achevé par la messe solennelle du mercredi des cendres, animée par la chorale diocésaine, mais avec également des chants Kali’na – au son des Sanpulas – et Djuka.

2/ Les 24 motions, feuille de route de l’Eglise en Guyane

a. le rêve social

1. Nous, l’Eglise de Guyane manifestons prophétiquement notre indignation devant les injustices et les crimes d’hier et d’aujourd’hui. Nous demandons qu’on en finisse avec l’injustice envers les peuples autochtones. Nous décidons de nous rendre plus proche et mieux à l’écoute de la vie, des souffrances et des désirs des peuples de l’intérieur (93%).
2. Nous ferons en sorte de demander pardon, dans une célébration solennelle pour la complicité vécue avec la colonisation, la traite des Noirs et autres crimes du passé (89%).
3. Nous soutenons publiquement les demandes des peuples de la forêt pour la ratification de la Convention 169 de l’OIT sur les Droits des Peuples Autochtones et la reconnaissance de zones de propriété collectives, en application des accords de 2017 (69%).
4. Nous soutenons le souhait d’une plus grande autonomie de la Guyane pour pouvoir légiférer en fonction du territoire et instaurer des lois régionales adaptées à la réalité amazonienne (78%).
5. Tout en reconnaissant que l’État de droit est protecteur de la Forêt, nous demandons des moyens plus efficaces pour mettre fin à l’orpaillage clandestin, à la pollution des fleuves et à toute tentation d’exploiter à outrance les ressources de la forêt (92%)

b. le rêve culturel

6. Nous proposons d’élaborer et de nous former à une meilleure compréhension que notre mission ne peut se vivre que dans un dialogue respectueux de tous et des différentes cultures des peuples de Guyane (89%).
7. Nous décidons de travailler pour établir une liturgie, des rites culturels et des chants mieux en harmonie avec la richesse des différents cultures de la Guyane (91%).
8. Nous continuerons de multiplier des échanges entre les différentes cultures au sein de notre Eglise (95%)
9. Nous invitons chaque catholique à bien connaitre sa culture et ses racines, pour entrer dans un dialogue à égalité de cohérence avec les autres cultures (88%).
10. Nous reconnaissons que c’est aux peuples autochtones eux-mêmes de décider de ce qu’ils veulent préserver et ce qu’ils veulent changer, à la lumière du message de Jésus (88%).

c. Le rêve écologique

11. Nous voulons aider chaque catholique à s’approprier l’encyclique Laudato Sí sur l’écologie intégrale, sa dimension spirituelle, sociale, économique et politique, ainsi que l’exhortation post-synodale Querida Amazónia (85%).
12. Nous invitons tous les Guyanais à réduire au maximum l’utilisation des énergies fossiles (consommation d’essence, plastique etc.) et à favoriser les énergies renouvelables (65%).
13. Nous décidons de transformer totalement notre gestion des déchets, par le compostage (personnel et en paroisse), le recyclage, le tri des déchets et les mayouris pour nettoyer nos fleuves et nos rivages (95%).
14. Nous nous engageons à limiter dans nos paroisses l’usage du papier en privilégiant les vidéo projecteurs et en utilisant davantage les chants dans les livrets « chants et prière » (87%).

d. le rêve pastoral

15. Nous reconnaissons que notre mission consiste d’abord à proposer à tous l’amitié de Jésus à travers la Grande Mission, en manifestant la joie de croire en Jésus et au salut qu’il offre comme nous y invite l’exhortation Evangelii Gaudium (92%).
16. Nous continuerons à renouveler nos paroisses pour u vivre en une famille joyeuse, chaleureuse, accueillante, renonçant à tout jugement, sachant vivre ensemble les cinq essentiels : prière commune, formation continue avec la Bible, partage entre nous, charité envers les pauvres, et dynamisme missionnaire (89%).
17. Nous nous engagerons à avancer vers une Eglise de plus grande proximité, manifestée par des missions itinérantes, des prêtres en visites longues, parlant la langue, qui passent du temps avec leurs peuples pour connaitre et la langue et la culture (93%).
18. Nous décidons de mettre en place sur le littoral un commission « Jeunes des fleuves », en lien avec des représentants de leur familles, pour imaginer un véritable accueil des jeunes amérindiens et bushinengués qui arrivent pour leurs études – avec l’aide de familles d’accueil catholiques, l’établissement des pastorales paroissiales d’accueil et un lien avec les familles dans les villages d’origine 90%.
19. Nous chercherons à établir de nouveaux ministères, y compris dans les villages reculés, avec des femmes, des hommes, des propositions de vocations diaconales et presbytérales et un véritable ministère d’accompagnement laïc des familles en deuil (72%).

e. le rêve synodal

20. Nous, Eglise en Amazonie, voulons faire des laïcs des acteurs privilégiés de notre mission. Que soit honoré les orientations du Synode des Evêques et du pape pour que 1. La place des femmes dans les prises de décisions pastorales soit reconnue et valorisée et que 2. Les diacres soient formés au dialogue œcuménique, interreligieux et interculturel (83%).
21. Nous voulons passer d’une église cléricale à une église synodale, cela veut dire une Eglise où tous participent aux décisions concernant la mission et la vie communautaire – cela ne peut se jouer qu’en appliquant dans nos paroisses et nos communautés, l’expérience de ce synode : sous la parole de Dieu, écoute mutuelle, prière sur ce que nous entendons, accueil de ce que l’Esprit nous dit à travers cette écoute et ce dialogue (84%).
22. Nous donnons à toutes les paroisses un mandat pour que, ensemble et jamais séparés dans les prises de décisions, laïcs et prêtres mettent en place la feuille de route que constituent les résolutions que nous venons de voter (91%).
23. Nous donnons au Conseil Pastoral diocésain qui a décidé, préparé et conduit ce synode d’en suivre l’application pour les trois ans qui viennent, dans la mesure du possible avec l’apport de nouveaux membres de l’ouest, de l’est et de l’intérieur (89%).
24. Nous souhaitons que les rencontres de doyennés ne soient plus réservées aux prêtres, mais dans la mesure du possible incluent les acteurs pastoraux principaux, diacres religieuses et religieux, responsables de catéchèse et d’autres services paroissiaux (80%)

3/ Les projets à court terme

  1. Nous allons organiser une séance solennelle pour présenter le Synode des Evêques et le Synode diocésain aux Élus et aux Responsables politiques, administratifs et militaires de la Guyane. Au cours de cette célébration nous leur remettrons l’encyclique Laudato Si’ ; l’Exhortation post-synodale Querida Amazónia ; le Document Final du Synode des évêques ; les Motions du Synode du diocèse de Cayenne
  2. Nous organiserons le 10 mai 2020 (Jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage en France) une célébration solennelle d’Action de Grâce pour les missionnaires et religieuses qui ont annoncé l’Evangile dans sa pureté et une Célébration de Repentance pour les complicités de l’Eglise dans les injustices du passé.