« On a fermé des campements, mais on a ouvert de l’innommable »
Cette phrase d’un élu lors de la récente mission de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme résume bien ce que nous ressentons.
Nous avons rencontré des personnes exilées et des acteurs associatifs présents sur le littoral de Calais ou de Grande-Synthe, et nous avons la conviction qu’il est plus que temps pour les pouvoirs publics de revoir en profondeur la façon dont sont traitées ces personnes sur le littoral franco-britannique.
Que nous disent en effet les personnes exilées de leur quotidien ?
Faire la file dehors dans le froid ou la pluie pour manger ;
marcher 3 km pour aller aux toilettes ou pour se rendre au point de passage de la navette pour prendre une douche ;
cacher ses effets personnels dans un bosquet ;
garder, nuit et jour, sur soi ses papiers ;
poser sa tente dans la boue, s’y poser quelques heures pour dormir ;
protéger cette même tente et son sac de couchage contre une confiscation par les forces de l’ordre ;
courir, se cacher, dormir quelques heures en sachant que le lendemain comme l’avant-veille et comme tous les jours précédents, la police viendra vous déloger…
Est-il concevable de faire vivre cela à des enfants, des femmes et des hommes, en France, en 2021 ?
Déjà, des alertes fortes ont été exprimées à plusieurs reprises par des institutions comme la Défenseure des Droits, la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme, ou des experts des Nations unies. Elles évoquent des atteintes graves aux droits fondamentaux, des pratiques de harcèlement, et bien d’autres qualifications encore.
A notre tour, au regard des principes républicains comme au regard de notre foi, de l’enseignement social de l’Eglise et des appels répétés du pape François, nous prenons la parole fermement aujourd’hui pour dire que nous ne pouvons plus laisser ces personnes subir cela sans réagir !
Nous n’ignorons pas la difficulté, pour les pouvoirs publics, à trouver le bon équilibre entre une politique de régulation des mouvements migratoires et la nécessaire protection des personnes, de toute personne et de ses besoins fondamentaux.
Mais on ne doit plus se voiler la face : cet équilibre entre mesures de contrôle et mesures de protection est manifestement rompu, au détriment de la dignité de la personne humaine.
Depuis le démantèlement de la « Jungle » fin 2016, les autorités publiques ne cessent de renforcer chaque jour un peu plus une politique “zéro point de fixation” sur le littoral, qui se traduit par une succession de mesures destinées à rendre la vie impossible aux personnes exilées, en espérant qu’elles renonceront à venir sur ce littoral.
Force est de constater que cet objectif est un déni de la réalité !
Malgré tout ce qui a été mis en œuvre, la réalité, c’est la permanence d’une présence continue de centaines de personnes à Calais et Grande-Synthe, mais aussi à Ouistreham, Cherbourg, et dans d’autres bourgades le long des autoroutes. La réalité, c’est la détermination de ces personnes à tenter de franchir la Manche pour se rendre en Grande-Bretagne, quelles que soient les conditions d’accueil ou de non-accueil sur le littoral.
La réalité, c’est que les passages continuent – et qu’ils continueront tant que la Grande-Bretagne sera à 30 km des côtes. Rendre la frontière “étanche” est un objectif tout simplement irréaliste.
Cette politique de dissuasion ressemble à un puits sans fond, qui construit une forme de maltraitance n’apportant que des souffrances aux personnes concernées tout en créant un désordre insécurisant pour toute la population.
Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites (Matthieu 25,40)
Notre conviction est forte : rien ne justifie que ces personnes soient ainsi maltraitées, exclues de l’accès à des besoins essentiels, humiliées dans le plus profond de leur être.
En 2018, lors de sa venue à Calais, le Président de la République avait semblé entendre cela et avait proposé que soit défini un « socle humanitaire » pour garantir l’accès à ces besoins essentiels. Des efforts et quelques dispositifs ont suivi.
Mais manifestement, aujourd’hui, le compte n’y est pas !
C’est pourquoi nous appelons aujourd’hui les pouvoirs publics, quelles que soient leurs responsabilités sur ces territoires, à un réexamen de l’ensemble des dispositifs et des mesures concernant les personnes migrantes sur le littoral.
Le récent avis de la CNCDH contient nombre d’analyses et de recommandations concrètes. Nous les partageons comme nous faisons nôtre l’esprit général de cet avis.
Mais sans attendre, nous appelons les pouvoirs publics à répondre à des besoins urgents :
· décréter un moratoire immédiat sur les expulsions de lieux de vie (campements, bidonvilles, squats),
· ouvrir des lieux couverts d’accès aux services de base (alimentation , hygiène, recharge électrique, information sur les droits). Ces lieux, adaptés au nombre de personnes présentes, peuvent être répartis sur plusieurs endroits du littoral,
· ouvrir immédiatement des dispositifs de mise à l’abri.
La situation durable de présence de personnes exilées sur le littoral appelle une politique et des dispositifs d’ensemble qu’il convient de construire dans la durée. A cette fin, des échanges et la participation de tous les acteurs sont indispensables. C’est pourquoi, au-delà des mesures d’urgence attendues, nous attendons des pouvoirs publics l’ouverture d’un large espace de dialogue qui, en écoutant les personnes exilées et en s’appuyant sur les initiatives de solidarité, pourra trouver avec tous les acteurs concernés les voies de solutions acceptables par tous.
Mgr Olivier Leborgne, évêque d’Arras, et Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique – Caritas France