A l’occasion du 6e anniversaire de l’encyclique Laudato Si’ (18 juin 2015 – 18 juin 2021) : Mgr Bruno Feillet, évêque auxiliaire de Reims, Président du Conseil Famille et Société de la Conférence des Evêques et Mgr Jean-Pierre Vuillemin, évêque auxiliaire de Metz, Membre du Conseil Famille et Société, en charge de l’accompagnement de la mission Écologie et Société ont rédigé un texte intitulé : « La conversion écologique : c’est le moment opportun ! ».
Ce texte a été initialement publié sur le site de la Conférence des Evêques de France le 17 juin, nous le republions.
Le Pape François publiait le 18 juin 2015 l’encyclique Laudato Si’ à la veille d’un sommet crucial pour l’engagement international sur le climat, la COP 21. Une encyclique historique appelant à un changement profond et radical de notre conception du progrès et de nos styles de vie. L’Église de France a répondu à cet appel à travers plusieurs initiatives : le label œcuménique Eglise verte auquel ont adhéré au jour d’aujourd’hui plus de 600 communautés, le réseau des Référents diocésains à l’écologie intégrale, la démarche synodale autour de l’écologie intégrale mise en place au sein des assemblées plénières des évêques. Un véritable processus de conversion a été ainsi initié.
A l’occasion de son 6ème anniversaire, et face à des rendez-vous majeurs dans l’agenda national et international – la loi Climat et Résilience en France et la COP26 au niveau international – nous nous faisons à nouveau l’écho de ce cri à la fois déchirant et joyeux adressé par le Pape en vue d’une véritable conversion écologique. Un cri déchirant qui nous invitait à entendre de manière conjointe « la clameur de la terre et la clameur des pauvres ». Un cri joyeux qui nous invitait à percevoir cette souffrance comme des douleurs d’engendrement d’un monde nouveau. Ce cri est plus que jamais d’actualité.
Au niveau international, la COP21 en 2015 a montré l’audace des gouvernements pour se fixer des objectifs très ambitieux face à la crise écologique mondiale. Au niveau national, le Convention citoyenne sur le Climat a fait des propositions éclairés et courageuses en faveur de la nécessaire transition écologique. La COP26 qui aura lieu en novembre prochain à Glasgow, en Ecosse, ainsi que la Loi Climat et Résilience en cours d’examen en France, devraient faire preuve de la même audace pour décider des plans d’action qui permettent la réalisation de ces objectifs. Ces instances peuvent constituer un pas décisif en vue de transformer notre planète en véritable « maison commune ». A cet effet, nous adressons ici un triple appel.
« Le temps est supérieur à l’espace » (LS 178)
Nous appelons en premier les décideurs politiques à faire preuve de la « grandeur politique » que le pape François leur attribue : celle qui se révèle quand, dans les moments difficiles, ils sont capables d’initier des processus en pensant au bien commun à long terme plutôt qu’à s’emparer des espaces de pouvoir court-termistes. C’est le moment opportun pour témoigner de cette grandeur d’esprit : les plans de relance post-crise de la COVID-19 sont l’occasion idéale pour prendre des décisions courageuses en faveur d’un développement qui puisse s’inscrire durablement dans le temps, plutôt que de céder à l’immédiateté des demandes privées. La pandémie a rendu possible une baisse extraordinaire et inattendue des émissions de gaz à effet de serre en 2020 de moins 7%. La situation est idéale pour atteindre le but visé de neutralité carbone en 2050, et permettre ainsi de se rapprocher de l’objectif défini dans l’Accord de Paris d’un réchauffement climatique inférieur à 1,5°. Pourtant les experts du GIEC affirment que la tendance actuelle conduit plutôt à 3° de réchauffement, avec des conséquences dramatiques et irréversibles pour l’humanité. Nous appelons les décideurs français et internationaux à prendre des décisions courageuses pour inverser cette tendance. Des propositions ont été faites tant au niveau national qu’international en ce sens, soutenues fortement par la société civile à travers les marches pour le climat. L’attente est de taille et l’enjeu est historique. De même que nous l’avons fait face aux enjeux de la loi sur la bioéthique, nous exerçons ici un rôle de « vigilance éthique » face aux décisions qui peuvent mettre en danger la vie sous toutes ses formes : la vie humaine et la vie de chaque être vivant, la vie individuelle et la vie en société, la vie dans les pays riches et la vie dans les pays pauvres. Car les décisions à prendre au niveau écologique sont également une opportunité pour faire avancer la justice et la solidarité internationales. L’Accord de Paris avait déjà fait preuve de courage en ce sens lorsqu’il reconnaissait une responsabilité différenciée entre pays riches et pays pauvres à l’égard de la crise écologique. Des financements avaient été ainsi promis pour aider la transition écologique des pays plus pauvres. Il est important que ces promesses soient réalisées, sous forme de dons plutôt que de prêts, qui rendraient les pays pauvres encore plus dépendants. Le temps long a besoin d’une audace immédiate de la part des décideurs politiques.
« Il s’agit tout simplement de redéfinir le progrès » (LS 194)
Nous invitons ensuite les acteurs économiques, notamment les entreprises, à ne pas limiter leurs efforts à quelques contraintes financières pour satisfaire quelques objectifs environnements et sociaux peu ambitieux. En effet, le Pape invite à redéfinir le progrès et convertir le modèle de développement global. De ce fait, « le marché carbone » ne peut pas être le seul ni le principal outil de conversion écologique. Plutôt qu’une logique de compensation (à travers par exemple la plantation des arbres) il faut viser une véritable politique de réduction des émissions. Le remplacement des technologies fondées sur les énergies fossiles doit se faire sans délai (LS 165). Par ailleurs, la conversion écologique doit intégrer également la dimension sociale d’une manière structurelle. L’impact social de l’activité économique ne doit pas être conçu comme un effet secondaire, mais plutôt comme une nouvelle manière de mesurer la richesse de l’entreprise et d’orienter ses décisions d’investissement. Ainsi, pour redéfinir le progrès il ne suffit pas de verdir les indicateurs financiers.
« Chaque créature est l’objet de la tendresse du Père » (LS 77)
Nous appelons enfin la communauté chrétienne à s’inscrire dans une réelle démarche de conversion écologique en revisitant sa relation avec les différentes créatures. Nous limitons souvent la conversion écologique à une attitude de préservation, de protection et de non-surexploitation de la nature. Or l’appel du Pape est bien plus radical : il nous invite à entrer en communion avec le Créateur qui renouvelle et purifie notre relation avec chacune de ses créatures car « tout est caresse de Dieu » (LS 84). Un enjeu important s’en suit en termes de lien entre climat et biodiversité car ces deux dimensions sont souvent perçues comme des objectifs indépendants. Le « tout est lié » doit aussi s’appliquer entre les différents enjeux environnementaux. Mais plus globalement encore, ce sont toutes nos relations avec les créatures humaines et non humaines qui sont à reconsidérer en termes de conversion écologique. En ce sens, nous encourageons les communautés chrétiennes à s’inscrire dans la démarche Eglise verte, proposée dans cette perspective.
6 ans après la publication de Laudato Si’, nous sommes plus que jamais concernés par son appel qui se résume bien dans l’invitation de la Charte de la Terre reprise dans l’encyclique : « Faisons en sorte que notre époque soit reconnue dans l’histoire comme celle de l’éveil d’une nouvelle forme d’hommage à la vie, d’une ferme résolution d’atteindre la durabilité, de l’accélération de la lutte pour la justice et la paix et de l’heureuse célébration de la vie » (LS 207).
Mgr Bruno Feillet, évêque auxiliaire de Reims, Président du Conseil Famille et Société de la Conférence des Evêques.
Mgr Jean-Pierre Vuillemin, évêque auxiliaire de Metz, Membre du Conseil Famille et Société, en charge de l’accompagnement de la mission Écologie et Société.