« J’étais un étranger ». Message de Mgr Sylvain Bataille pour entrer en carême
Ils sont venus d’abord de Haute-Loire, mais aussi d’autres régions de France, de Pologne, d’Italie, d’Espagne, du Maroc, d’Algérie… La Loire est une terre d’immigration depuis plusieurs siècles.
Pourquoi ? Parce qu’on avait besoin de main d’œuvre pour nos mines et nos industries en plein essor, et parce que ces personnes ne pouvaient pas vivre et faire vivre décemment leur famille là où elles se trouvaient. Cette épopée humaine et industrielle a fait de notre région une terre d’accueil, une terre où les relations sont simples et fraternelles, où la différence n’est pas forcément un problème. Nous nous rappelons le cri de Mgr Pierre Joatton en 1993 :« Migrants, nous avons besoin de vous ! », et pas seulement pour faire tourner notre économie, mais parce que chaque personne est une richesse, un trésor, avec son histoire, sa culture… Cette tradition d’accueil se poursuit
de bien des manières, en particulier dans nos paroisses aujourd’hui. Je vous invite à lire les témoignages réunis par l’Antenne diocésaine « Église et migrations ». Ils sont pleins d’Evangile et d’espérance.
Mais pourquoi ces personnes migrantes ont-elles quitté leur pays ? Parce qu’il est devenu invivable à cause de l'instabilité politique et de la violence liée à des richesses mal exploitées ou accaparées par quelques-uns, à cause des dérèglements climatiques liés à nos modes de vie, à cause de la finance folle qui veut toujours plus posséder et gagner en méprisant les personnes, à cause d’une mondialisation qui voudrait uniformiser les cultures dans une course à la consommation qui fait rêver d'une vie idéale ailleurs. Les raisons sont diverses, mais c’est toujours un profond traumatisme de devoir quitter son pays, sa famille, sa culture... Nous savons aussi qu’il n’est pas simple de s’intégrer dans un autre pays. La rencontre des personnes, des cultures, n’a jamais été et ne sera jamais une chose facile. La vie en société, si essentielle et si précieuse, sera toujours à construire et reconstruire ; elle est un défi à l’égoïsme, un fragile équilibre toujours à protéger, comme nous le constatons encore aujourd’hui tristement en Ukraine.
Ce défi, nous le retrouvons tout au long de la Bible, et Dieu s’y engage, lui qui nous a fait tous frères, puisqu’il est notre Père à tous. A bien des reprises, il défend le pauvre et l’étranger :« Qu’as-tu fait de ton frère ? » Jésus va jusqu’à s’identifier à lui : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger. J’étais un étranger et vous m’avez accueilli. » (Mt 25). Le Pape François ne cesse de nous rappeler ce respect dû à tout être humain et la nécessité d’être attentif à celui qui souffre à côté de nous. Face au scandale de la mort de tant de migrants sur les routes de l’exil et des conditions inhumaines dans lesquelles certains vivent dans nos pays, nous ne pouvons rester indifférents ou résignés.
L’encyclique Laudato Si invite à regarder les causes profondes du grand déséquilibre qui traverse notre monde aujourd’hui, et le phénomène migratoire en est un signe qui nous touche plus directement. Puisse-t-il nous ouvrir les yeux ! Le Pape propose des perspectives et des remèdes prophétiques, qui se situent à différents niveaux. Il y a d’abord la réponse à l’urgence des
migrants sont en grande difficulté, en danger de mort, et il faut les aider là où ils sont. Il y a aussi les réponses politiques, pour permettre aux pays les plus pauvres de se doter de gouvernements qui assurent la sécurité et les biens essentiels pour une vie vraiment humaine. Il y a la réponse économique et financière, pour permettre un meilleur partage des richesses, en refusant qu’il y ait les gagnants et les perdants de la mondialisation. Il y a la réponse écologique, avec cet appel à un mode de vie plus sobre dans nos pays hyperdéveloppés, plus respectueux de notre « maison commune », pour qu’elle puisse offrir à chacun une vie décente. Il ne s’agit donc pas seulement de traiter la « question » des migrants, et surtout pas en mettant des barrières qui seront toujours vaines, même s’il faut reconnaître à chaque Etat le droit et le devoir de réguler les flux migratoires. Il s’agit de construire la paix et, pour cela, de développer une culture de la rencontre qui « mette au centre de toute action sociale et économique, la personne humaine, sa très haute dignité et le respect du bien commun » (Fratelli tutti 232). N’est-ce pas l’enjeu fondamental de la prochaine élection présidentielle ? Quel projet de société sommes-nous prêts à
soutenir et à mettre en œuvre ? Sommes-nous prêts à protéger la vie, quoi qu’il en coûte ? Sommes-nous prêts à affronter les causes profondes de la pauvreté et des inégalités dans le monde ? Sommes-nous prêts à remettre en cause certaines de nos manières de vivre pour que tous puissent mieux vivre ?
En ce temps de Carême, laissons le Seigneur nous conduire au désert, une longue marche, ensemble, avec nos frères et sœurs pauvres et migrants, en particulier ukrainiens. Entendons leurs appels urgents, ouvrons les yeux, découvrons nos responsabilités personnelles, nos possibilités d’action, vivons et annonçons l’Evangile car notre monde est en feu.
+ Sylvain Bataille, Évêque de Saint-Étienne