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05 juin 1929

Lettre à Mgr Liénart

par Sacrée Congrégation du Concile

Sur le conflit entre le consortium des patrons du Nord et les syndicats ouvriers chrétiens

Lettre

Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

1. L'Eglise reconnaît et affirme le droit des patrons et des ouvriers de constituer des associations syndicales

« Les maîtres et les ouvriers eux-mêmes peuvent singulièrement aider à la solution, par toutes les œuvres propres à soulager efficacement l’indigence et à opérer un rapprochement entre les deux classes… Mais la première place appartient aux corporations ouvrières, qui, en soi, embrassent à peu près toutes les œuvres… Aujourd’hui, les générations étant plus cultivées, les mœurs plus policées, les exigences de la vie quotidienne plus nombreuses, il n’est point douteux qu’il ne faille adapter les corporations à la condition nouvelle. Aussi est-ce avec plaisir que Nous voyons se former partout des sociétés de ce genre, soit composées des seuls ouvriers, soit mixtes, réunissant à la fois des ouvriers et des patrons ; il est à désirer qu’elles accroissent leur nombre et l’efficacité de leur action » (Léon XIII, Rerum novarum, RN 36, 15 mai 1891).

« Quand il s’agit de se grouper en sociétés, il faut bien prendre garde de ne pas tomber dans l’erreur. Et ici Nous voulons parler nommément des ouvriers, qui ont certes le droit de s’unir en associations afin de pourvoir à leurs intérêts : l’Église y consent et la nature ne s’y oppose pas » (Léon XIII, Longinqua oceani, 6 janvier 1895).

2. L’Église, dans l’état actuel des choses, estime moralement nécessaire la constitution de telles associations syndicales.

« Jamais assurément, à aucune autre époque, on ne vit une si grande multiplicité d’associations de tout genre, surtout d’associations ouvrières. D’où viennent beaucoup d’entre elles, où elles tendent, par quelle voie, ce n’est pas ici le lieu de le rechercher. Mais c’est une opinion confirmée par de nombreux indices qu’elles sont ordinairement gouvernées par des chefs occultes et qu’elles obéissent à un mot d’ordre également hostile au nom chrétien et à la sécurité des nations : qu’après avoir accaparé toutes les entreprises, s’il se trouve des ouvriers qui se refusent à entrer dans leur sein, elles leur font expier ce refus par la misère. Dans cet état de choses, les ouvriers chrétiens n’ont plus qu’à choisir entre deux partis : ou s’inscrire dans ces associations périlleuses pour la religion, ou en former eux-mêmes d’autres et unir ainsi leurs forces afin de pouvoir se soustraire hardiment à un joug si injuste et si intolérable. Qu’il faille opter pour ce dernier parti, est-il personne, ayant vraiment à cœur d’arracher le plus grand bien de l’humanité à un péril imminent, qui puisse avoir là-dessus le moindre doute ? » (Rerum novarum, RN 40).

3. L’Église exhorte à constituer de telles associations syndicales.

« Nous exhortons en premier lieu à constituer parmi les catholiques de ces sociétés qui s’établissent un peu partout à l’effet de sauvegarder les intérêts sur le terrain social. Car ce genre de sociétés est très adapté à nos temps : elles permettent à leurs membres d’aviser à la défense de leurs intérêts en même temps qu’à la conservation de la foi et de la morale » (Pie X aux archevêques et évêques du Brésil, 6 juin 1911).

Le même Pontife exhortait le comte Medolago Albani, par une lettre du 19 mars 1904, en ces termes : « Continuez donc, cher fils, comme vous l’avez fait jusqu’à présent, à promouvoir et à diriger non seulement des institutions de caractère purement économique, mais encore d’autres qui leur sont apparentées, les Unions professionnelles, ouvrières et patronales, établissant entre elles la bonne entente ; les Secrétariats du peuple, qui donneront des conseils d’ordre légal et administratif… ; les encouragements les plus réconfortants ne vous manqueront pas. »

Et aux directeurs de l’Union économique italienne il adressait ces paroles : « Quelles institutions devrez-vous de préférence promouvoir dans le sein de votre Union ? Votre industrieuse charité en décidera. Quant à Nous, celles qu’on appelle des syndicats Nous semblent très opportunes. »

Benoît XV écrivait, le 7 mai 1919, au chanoine Murry, d’Autun, par l’intermédiaire du cardinal secrétaire d’État, qu’il « désire voir faciliter l’accès des syndicats vraiment professionnels, et se répandre sur toute l’étendue du territoire français de puissants syndicats animés de l’esprit chrétien, rassemblant en de vastes organisations générales, fraternellement associés, travailleurs et travailleuses des diverses professions. Il sait bien qu’en formulant ces encouragements il sert tout ensemble, avec les intérêts les plus sacrés de la classe ouvrière, ceux de la paix sociale, dont il est le suprême représentant, et aussi ceux de la noble nation française qui lui tient tant à cœur ».

Le pape Pie XI, glorieusement régnant, faisait écrire, le 31 décembre 1922, par le cardinal secrétaire d’État à M. Zirnheld, président de la Confédération française des travailleurs chrétiens : « C’est avec le plus vif plaisir que le Saint-Père a appris le progrès de ce groupement, qui tâche d’obtenir l’amélioration des classes laborieuses par la mise en pratique des principes de l’Évangile tels que l’Église les a toujours appliqués à la solution des questions sociales. Le Saint-Père forme les meilleurs vœux afin que les membres catholiques de vos groupements aient toujours à cœur de maintenir leur foi vive et leur piété fervente par la fréquentation régulière des différentes pratiques religieuses catholiques dans lesquelles ils puisent, avec les moyens de sanctification personnelle, les ardeurs du zèle et du dévouement qu’ils témoignent dans les associations syndicales… »

4. L’Église veut que les associations syndicales soient établies et régies selon les principes de la foi et de la morale chrétienne.

« On doit prendre pour règle universelle et constante d’organiser et de gouverner les corporations de façon qu’elles fournissent à chacun de leurs membres les moyens propres à lui faire atteindre, par la voie la plus aisée et la plus courte, le but qu’il se propose, et qui consiste dans l’accroissement le plus grand possible des biens du corps, de l’esprit, de la fortune. Mais il est évident qu’il faut viser avant tout l’objet principal, qui est le perfectionnement moral et religieux ; c’est surtout cette fin qui doit régler toute l’économie de ces sociétés ; sinon elles dégénéreraient bien vite et tomberaient, ou peu s’en faut, au rang des sociétés où la religion ne tient aucune place » (Léon XIII, Rerum novarum, RN 42).

« Tel est précisément le motif pour lequel Nous n’avons jamais engagé les catholiques à entrer dans des associations destinées à améliorer le sort du peuple, ni à entreprendre des œuvres analogues, sans les avertir en même temps que ces institutions devaient avoir la religion pour inspiratrice, pour compagne et pour appui » (Léon XIII, Graves de communi, 18 janvier 1901).

« Quoi qu’il fasse, même dans l’ordre des choses temporelles, le chrétien n’a pas le droit de négliger les intérêts surnaturels ; bien plus, les prescriptions de la doctrine chrétienne l’obligent à tout diriger vers le souverain bien comme vers la fin dernière » (Pie X, Singulari quadam, 24 septembre 1912).

5. L’Église veut que les associations syndicales soient des instruments de concorde et de paix, et dans ce but elle suggère l’institution de commissions mixtes comme un moyen d’union entre elles.

« Ceux qui se glorifient du titre de chrétiens, qu’ils soient pris isolément ou en tant que groupés en associations, ne doivent pas, s’ils ont conscience de leurs obligations, entretenir entre les classes sociales des inimitiés et des rivalités, mais la paix et la charité mutuelle » (Pie X, Singulari quadam).

« Que les écrivains catholiques, en prenant la défense de la cause des prolétaires et des pauvres, se gardent d’employer un langage qui puisse inspirer au peuple de l’aversion pour les classes supérieures de la société… Qu’ils se souviennent que Jésus-Christ a voulu unir tous les hommes par le lien d’un amour réciproque, qui est la perfection de la justice et qui entraîne l’obligation de travailler mutuellement au bien les uns des autres » (Instruction de la Sacrée Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires, 27 janvier 1902).

« Ceux qui président à ce genre d’institutions (ayant pour but de promouvoir le bien des ouvriers) doivent se souvenir… que rien n’est plus propre à assurer le bien général que la concorde et la bonne harmonie entre toutes les classes, et que la charité chrétienne en est le meilleur trait d’union. Ceux-là travailleraient donc fort mal au bien de l’ouvrier qui, prétendant améliorer ses conditions d’existence, ne l’aideraient que pour la conquête des biens éphémères et fragiles d’ici-bas, négligeraient de disposer les esprits à la modération par le rappel des devoirs chrétiens, bien plus, iraient jusqu’à exciter encore davantage l’animosité contre les riches, en se livrant à ces déclarations amères et violentes par lesquelles des hommes étrangers à nos croyances ont coutume de pousser les masses au bouleversement de la société » (Benoît XV à l’évêque de Bergame, 11 mars 1920).

« Que les droits et les devoirs des patrons soient parfaitement conciliés avec les droits et les devoirs des ouvriers. Afin de parer aux réclamations éventuelles qui s’élèveraient dans l’une ou l’autre classe au sujet de droits lésés, il serait très désirable que les statuts eux-mêmes chargeassent des hommes prudents et intègres pris dans son sein de régler le litige en qualité d’arbitres » (Léon XIII, Rerum novarum, RN 43).

« Les associations catholiques doivent non seulement éviter, mais encore combattre la lutte des classes comme essentiellement contraire aux principes du christianisme… Il est opportun, utile et très conforme aux principes chrétiens de continuer, en principe, pour autant que cela est pratiquement possible, la fondation simultanée et distincte d’unions patronales et d’unions ouvrières en créant comme point de contact entre elles des commissions mixtes chargées de discuter et de trancher pacifiquement, suivant la justice et la charité, les différends qui peuvent surgir entre les membres de ces deux sortes d’unions ouvrières » (Lettre du cardinal Gasparri à l’Union économique sociale, 25 février 1915).

6. L’Église veut que les associations syndicales suscitées par des catholiques pour des catholiques se constituent entre catholiques, sans toutefois méconnaître que des nécessités particulières puissent obliger à agir différemment.

« Les catholiques doivent s’associer de préférence à des catholiques, à moins que la nécessité ne les contraigne à agir différemment. C’est là un point très important pour la sauvegarde de la foi » (Léon XIII aux évêques des États-Unis, 6 janvier 1895).

« Quant aux associations ouvrières, bien que leur but soit de procurer des avantages temporels à leurs membres, celles-là cependant méritent une approbation sans réserve et doivent être regardées comme les plus propres de toutes à assurer les intérêts vrais et durables de leurs membres, qui ont été fondées en prenant pour principale base la religion catholique, et qui suivent ouvertement les directions de l’Église : Nous l’avons fréquemment déclaré Nous-même, lorsque l’occasion s’en est offerte dans un pays ou dans l’autre. Il s’ensuit qu’il est nécessaire d’établir et de favoriser de toute manière ce genre d’associations confessionnelles catholiques, comme on les appelle, dans les contrées catholiques tout d’abord, et aussi dans toutes les autres régions, partout où il paraîtra possible de subvenir par leur moyen aux besoins divers des associés » (Pie X, Singulari quadam).

7. L’Église recommande l’union de tous les catholiques pour un travail commun dans les liens de la charité chrétienne.

« Oui, la situation le réclame, et le réclame impérieusement : il nous faut des cœurs courageux et des forces compactes. Certes, elle est assez étendue la vue des misères qui sont devant nos yeux ; elles sont assez redoutables les menaces de perturbations funestes que tient suspendues sur nos têtes la force toujours croissante des socialistes » (Léon XIII, Graves de communi).

« Que les ministres sacrés déploient toutes les forces de leur âme et toutes les industries de leur zèle, et que, sous l’autorité de vos paroles et de vos exemples, Vénérables Frères, ils ne cessent d’inculquer aux hommes de toutes les classes les règles évangéliques de la vie chrétienne ; qu’ils travaillent de tout leur pouvoir au salut des peuples, et par-dessus tout qu’ils s’appliquent à nourrir en eux-mêmes et à faire naître chez les autres, depuis les plus élevés jusqu’aux plus humbles, la charité, reine et maîtresse de toutes les vertus. C’est en effet d’une abondante effusion de charité qu’il faut principalement attendre le salut ; Nous parlons de la charité chrétienne, qui résume tout l’Évangile et qui, toujours prête à se dévouer au soulagement du prochain, est un antidote très assuré contre l’arrogance du siècle et l’amour immodéré de soi-même : vertu dont l’apôtre saint Paul a décrit les offices et les traits divins dans ces paroles : La charité est patiente ; elle est bénigne ; elle ne cherche pas son propre intérêt ; elle souffre tout ; elle supporte tout » (Léon XIII, Rerum novarum, RN 45).

À la lumière de ces principes et de ces directions, on voit clairement le chemin qu’il faut suivre pour porter un jugement équitable sur la question.

Et pour commencer par les syndicats ouvriers, on ne peut refuser aux ouvriers chrétiens le droit de constituer des syndicats à eux, distincts des syndicats patronaux, sans toutefois leur être opposés. Cela surtout quand, comme c’est ici le cas, ces syndicats sont voulus et encouragés par l’Autorité ecclésiastique compétente selon les règles de la morale sociale catholique, dont l’observation s’impose aux adhérents, de par leurs statuts, dans leur activité syndicale, où ils doivent s’inspirer surtout de l’encyclique Rerum novarum.

De plus, il est évident que la constitution de tels syndicats, distincts des syndicats patronaux, n’est pas incompatible avec la paix sociale, puisque, d’une part, ils répudient par principe la lutte des classes et le collectivisme sous toutes ses formes, et que, de l’autre, ils admettent la forme de contrats collectifs pour établir des rapports pacifiques entre le capital et le travail.

Et les industriels ne doivent pas y voir un acte de défiance, spécialement dans les circonstances présentes, quand apparaît clairement le besoin de promouvoir et de favoriser, à l’encontre du syndicalisme socialiste et communiste, des syndicats où les ouvriers chrétiens puissent traiter de leurs légitimes intérêts économiques et temporels, sans dommage pour leurs intérêts spirituels et éternels.

Sur ce point, il ne semble pas y avoir divergence entre les deux syndicats en conflit. De fait, M. Mathon, dans son deuxième rapport, déclare que le Consortium des syndicats patronaux souhaite ardemment la constitution de syndicats vraiment chrétiens, défendant les intérêts des ouvriers, confrontant ces intérêts avec les siens, discutant en toute liberté et en toute indépendance avec les organisations patronales ; celles-ci comme ceux-là devant étudier les causes de désaccord en toute équité, en toute justice, sans préjudice des sentiments de charité chrétienne qui doivent animer le cœur des uns et des autres.

La différence consiste en ce que le Consortium estime que, jusqu’à présent, les syndicats chrétiens ne sont pas vraiment chrétiens, en d’autres termes, il estime que dans l’exercice de leur activité ils n’ont pas été effectivement fidèles aux principes de la morale sociale chrétienne ; et à l’appui de cette affirmation il apporte un certain nombre d’allégations.

Réserve faite des intentions et de la bonne foi des recourants, on voit aussitôt combien est grave l’accusation. Aussi la Sacrée Congrégation, avant de prononcer aucun jugement, a-t-elle ordonné de multiples et attentives recherches : elle a recueilli, de sources très autorisées, des informations pleinement dignes de foi, pour apprécier le bien-fondé d’un si grave reproche.

Cela fait, la Sacrée Congrégation croit devoir déclarer que, selon des documents irréfragables et d’après les preuves recueillies, certaines des allégations sont exagérées ; d’autres, les plus graves, qui attribuent aux syndicats un esprit marxiste et un socialisme d’État, sont entièrement dépourvues de fondement et injustes.

La Sacrée Congrégation, toutefois, ne nie pas que les syndicats chrétiens n’aient commis quelques erreurs de tactique et que certains de leurs membres n’aient employé publiquement des expressions qui ne sont pas de tout point conformes à la doctrine catholique.

C’est pourquoi elle veut que les dirigeants soient exhortés à pourvoir plus efficacement à l’éducation syndicale chrétienne de tous les membres, en utilisant les moyens que louablement ils mettent déjà en œuvre : secrétariats, semaines syndicales, cercles d’études, réunions de propagandistes, semaines d’exercices spirituels, afin d’imprégner l’action syndicale d’esprit chrétien, fait de charité, de justice et modération. Et à ce sujet, en vue d’une formation sociale chrétienne plus complète et plus adaptée de la jeunesse, la Sacrée Congrégation suggère que dans les patronages et dans les diverses œuvres d’éducation l’on donne un enseignement social proportionné à l’intelligence des jeunes (ce qui se fait dans quelques diocèses avec d’excellents résultats) : cet enseignement aura pour effet non seulement de les prémunir contre les erreurs auxquelles ils sont exposés, mais encore de leur faire connaître l’action bienfaisante de l’Église dans le domaine social.

De plus, on devra apporter un soin particulier à ce que tous, spécialement les dirigeants, aient aussi une connaissance pratique suffisante des questions techniques, professionnelles et économiques.

Pour ce qui regarde la constitution, à titre exceptionnel, de ce que l’on appelle un cartel intersyndical, entre syndicats chrétiens et syndicats neutres ou même socialistes, pour la défense d’intérêts légitimes : qu’on se rappelle toujours qu’un tel cartel n’est licite qu’à la condition qu’il se fasse seulement dans certains cas particuliers, que la cause qu’on veut défendre soit juste, qu’il s’agisse d’accord temporaire et que l’on prenne toutes les précautions pour éviter les périls qui peuvent provenir d’un tel rapprochement.

Ces remarques faites, la Sacrée Congrégation déclare qu’elle voit avec faveur se constituer de ces syndicats ouvriers vraiment catholiques d’esprit et d’action, et elle fait des vœux pour qu’ils croissent en nombre et en qualité afin que par leur moyen on puisse aussi obtenir le bon résultat qu’indiquait et se promettait le pape Léon XIII, à savoir de préparer un sûr refuge pour les ouvriers inscrits aux syndicats antichrétiens qui sentiraient le devoir et le besoin de se libérer d’un lien qui, pour des intérêts purement économiques, rend esclave la conscience. « À tous ces ouvriers, les sociétés catholiques peuvent être d’une merveilleuse utilité : si, hésitants, elles les invitent à venir chercher dans leur sein un remède à tous leurs maux, et si, repentants, elles les accueillent avec empressement et leur assurent sauvegarde et protection » (Léon XIII, Rerum novarum, RN 44).

Passant ensuite à ce qui concerne directement les industriels du Consortium, la Sacrée Congrégation a pris connaissance avec un vif plaisir de tout ce que le Consortium a fait pour le soulagement de la misère des ouvriers, ainsi que des magnifiques œuvres de bienfaisance patronale qu’il a déjà organisées, spécialement par le développement des « allocations familiales », œuvre de haute charité en même temps que de justice sociale. Cependant, s’adressant à des catholiques, la Sacrée Congrégation ne peut pas ne pas les inviter à réfléchir que, dans la question entre industriels et ouvriers, pour maintenir la concorde et une paix durable, il ne suffit pas de faire appel à des « solidarités professionnelles » et de multiplier les œuvres de bienfaisance inspirées par une philanthropie purement humaine. La vraie concorde et la véritable paix ne peuvent s’obtenir que par l’adhésion de tous aux principes lumineux de la morale chrétienne.

De même, la Sacrée Congrégation félicite ces industriels d’avoir senti et compris le besoin de constituer eux aussi une organisation patronale, afin de procurer plus efficacement la paix sociale.

Toutefois, elle n’a pas pu ne pas relever que, bien qu’individuellement les dirigeants du Consortium fassent ouvertement profession de catholicisme, ils ont constitué de fait leur association sur le terrain de la neutralité. À ce propos, il est bon de leur rappeler ce qu’écrivait Léon XIII : « Les catholiques doivent s’associer de préférence à des catholiques, à moins que la nécessité ne les contraigne à agir différemment. C’est là un point très important pour la sauvegarde de la foi » (Léon XIII, Longinqua oceani, 6 janvier 1895).

S’il n’est pas possible, pour le moment, de former des syndicats patronaux confessionnels, la Sacrée Congrégation estime cependant nécessaire d’attirer l’attention des industriels catholiques, spécialement de ceux qui font partie de l’Association chrétienne des patrons du Nord, sur leur responsabilité personnelle dans les résolutions qui sont prises, afin qu’elles soient conformes aux règles de la morale catholique et que les intérêts religieux et moraux des ouvriers soient garantis, ou du moins ne soient pas lésés. Qu’ils aient particulièrement à cœur d’assurer, de la part de leur Commission intersyndicale, les égards dus selon l’équité aux syndicats chrétiens, en leur faisant un traitement sinon meilleur, du moins égal à celui qui est fait aux autres organisations nettement irréligieuses et révolutionnaires.

Ces réflexions faites au sujet des deux sortes de syndicats, la Sacrée Congrégation veut que les défiances disparaissent, que le différend cesse et que des relations justes et pacifiques, conformément aux principes chrétiens, s’établissent désormais entre les deux syndicats. Que les membres de l’un et de l’autre se souviennent des grandes responsabilités sociales qu’ils ont comme catholiques : car les deux syndicats doivent donner l’exemple de cette collaboration des classes que demande la morale qu’ils professent.

Étant donné que le Consortium s’est déclaré disposé à discuter sur les causes éventuelles de dissentiments, en pleine liberté et indépendance réciproque, à la lumière des principes d’équité et de justice, cette Sacrée Congrégation verrait avec plaisir qu’on établisse un mode régulier de rapports entre les deux syndicats par une Commission mixte permanente. Cette Commission aurait pour mission de traiter, dans des réunions périodiques, des intérêts communs et d’obtenir que les organisations professionnelles soient non des organismes de lutte et d’antagonisme, mais, comme elles doivent l’être selon la conception chrétienne, des moyens de mutuelle compréhension, de discussion bienveillante et de pacification.

La Sacrée Congrégation ne peut pas ne pas louer les Révérendissimes Ordinaires de la région du Nord d’avoir confié à des prêtres compétents et zélés le soin d’assister les dirigeants et les membres des syndicats au spirituel ainsi que pour les questions dans lesquelles se trouvent impliqués des principes de morale ; elle fait des vœux pour que dans les autres régions industrielles les évêques nomment des prêtres « Missionnaires du travail », comme on les appelle, dont l’apostolat, outre qu’il protégera les populations contre le mal de l’indifférence et du péril socialiste et communiste, sera aussi un témoignage de la sollicitude maternelle dont l’Église entoure les travailleurs.

Benoît XV montrait à quel point la chose est non seulement opportune mais nécessaire, quand il déclarait, dans sa lettre déjà citée à l’évêque de Bergame : « Qu’aucun membre du clergé ne s’imagine que pareille action est étrangère au ministère sacerdotal sous prétexte qu’elle s’exerce sur le terrain économique : car c’est précisément sur ce terrain que le salut éternel des âmes est en péril. Aussi voulons-Nous que les prêtres considèrent comme une de leurs obligations de se consacrer le plus possible à la science et à l’action sociale, par l’étude, l’observation et le travail, et de favoriser de tout leur pouvoir ceux qui, sur ce terrain, exercent une saine influence pour le bien des catholiques. »

Enfin la Sacrée Congrégation invite les uns et les autres, patrons et ouvriers, à s’élever à des considérations et à des sentiments d’ordre supérieur. Les progrès si impressionnants du socialisme et du communisme, l’apostasie religieuse provoquée dans les masses ouvrières, sont des faits incontestables qui donnent à réfléchir sérieusement. Profitant des misères réelles des ouvriers, le socialisme et le communisme ont réussi à leur faire croire qu’eux seuls sont capables de promouvoir efficacement les intérêts professionnels politiques et sociaux, et les ont groupés dans des organisations syndicales. Il est donc urgent que tous les catholiques unissent leurs forces afin d’opposer une digue à un si grand mal, qui entraîne tant d’âmes sur la voie de la perdition éternelle, et sape les bases de l’ordre social, préparant la ruine des peuples et des nations.

Qu’on écarte donc tous les dissentiments ; et que, avec une concorde mutuelle, avec une confiance réciproque et surtout avec une grande charité, on suscite des institutions qui s’inspirent des principes de la morale catholique et assurent aux ouvriers, avec leurs intérêts économiques, la liberté de se déclarer chrétiens et la possibilité de remplir tous les devoirs qui en découlent.

Je prie Votre Grandeur de vouloir bien, en exécutant les décisions contenues dans cette lettre, employer les moyens les plus efficaces que son tact et sa prudence lui suggéreront, afin d’atteindre plus facilement le but que s’est proposé cette Sacrée Congrégation, pour le plus grand bien. Je serais reconnaissant à Votre Grandeur de nous informer de tout ce qui aura été fait.

Veuillez agréer, Monseigneur, l’expression de mes sentiments très dévoués en Notre-Seigneur.