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05 septembre 2011

Introduction à Dignitatis humanae

Du droit de la personne et des communautés à la liberté sociale et civile en matière religieuse

Jean-Yves Calvez, jésuite †

Dignitatis humanae a, comme Gaudium et spes, été voté et promulgué le 7 décembre 1965, au terme de la quatrième et dernière session du Concile Vatican II.

Il s’agit d’une Déclaration, non d’une Constitution ou d’un Décret. Il ne faut toutefois pas trop presser cette distinction de titres. Le document sur la liberté religieuse a été voulu comme doctrinal, et il l’est effectivement. « Déclaration » connote au jugement du P. Congar, le fait qu’ici l’Église fait connaître sa pensée sur une réalité qui est le vécu de tous les hommes. D’autre part, l’Église ne crée pas un droit nouveau mais manifeste « ce qui était acquis déjà, au moins dans la logique profonde de sa vie la plus authentique ».

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Quelques travaux sur le sujet, dans la phase des préparations au Concile, avaient eu lieu de 1960 à 1962. Mais c’est seulement le 19 novembre 1963 (durant la deuxième session) qu’est présenté à l’assemblée conciliaire un premier document de travail sur la liberté religieuse. Il s’agit d’un chapitre, le cinquième, au sein d’un document plus ample concernant l’œcuménisme et préparé par le Secrétariat pour l’Unité. Le rapporteur est Mgr de Smedt, évêque de Bruges, qui conservera d’ailleurs cette fonction dans toutes les phases ultérieures du traitement de notre problème au Concile.

Mgr de Smedt exposait ainsi les raisons, très importantes, de l’introduction d’un document sur la liberté religieuse au Concile :

« 1) Raison de vérité : L’Église doit enseigner et défendre le droit à la liberté religieuse parce qu’il s’agit de la vérité dont la garde lui a été confiée par le Christ.

2) Raison de défense : L’Église ne peut se taire alors qu’aujourd’hui près de la moitié du genre humain est privée de la liberté religieuse par un matérialisme athée multiforme.

3) Raison de cohabitation pacifique : Aujourd’hui, dans toutes les nations de l’univers, des hommes qui professent des religions différentes ou n’ont aucune religion sont appelés à vivre en paix dans une seule et même société humaine ; l’Église doit, à la lumière de la vérité, indiquer la voie d’une cohabitation pacifique.

4) Raison œcuménique : De nombreux non-catholiques nourrissent une aversion contre l’Église ou, du moins, la soupçonnent d’un certain machiavélisme, parce que nous semblons, à leurs yeux, exiger le libre exercice de la religion lorsque les catholiques sont en minorité dans une nation et, par contre, faire peu de cas de cette même liberté religieuse ou la refuser lorsque les catholiques sont en majorité. »

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Une forte objection à l’introduction d’une déclaration sur la liberté religieuse provenait du magistère pontifical, au XIXe siècle surtout. Pie IX par exemple, dans Quanta cura, s’en était pris à qui affirme que « la liberté de la conscience et des cultes est un droit propre » et qu’en conséquence « il doit être proclamé et assuré dans tout État bien constitué ». La difficulté était sérieuse, à n’en pas douter. Mais il est juste d’indiquer aussi le contexte : les propositions citées à l’instant étaient condamnées par Pie IX non pas absolument mais en tant qu’associées à une doctrine « naturaliste » ou rationaliste sur le gouvernement des sociétés – selon laquelle la conscience n’est soumise à aucune loi venant de Dieu -, et à une conception de la liberté de culte enracinée dans l’indifférentisme religieux.

L’enseignement pontifical avait d’ailleurs commencé à évoluer notablement avec Pie XI, Pie XII, et finalement Jean XXIII. Dans Pacem in terris, publiée le 11 avril 1963, peu avant l’introduction de la question au Concile, Jean XXIII prenait clairement position pour l’affirmation de la liberté religieuse, inscrite parmi les droits de l’homme.

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Les Pères du Concile abordèrent en fait la question dans chacune des trois dernières sessions (1963, 1964, 1965). Dans celle de 1963 il y eut simple introduction du sujet, pas encore de discussion. En 1964 et 1965 au contraire, il y eut des débats très nourris et très riches, parmi les plus importants du Concile.

On opta peu à peu pour une certaine limitation des ambitions. Alors qu’on avait cherché quelque temps à enraciner la liberté religieuse dans la vocation divine de l’homme elle-même – la liberté religieuse apparaissant alors comme le plus intériorisé des biens de l’homme -, on se rabattit finalement sur l’argument de la dignité de la personne humaine. On introduisit, il est vrai, de manière très heureuse, sur suggestion de Mgr Ancel, l’argument de l’obligation de chercher la vérité, comme fondement de la liberté religieuse. En effet, cette obligation étant admise et reconnue, fondée d’ailleurs dans l’Écriture, il faut aussitôt ajouter : pour que l’homme puisse satisfaire à cette obligation, de la façon correspondant à sa nature, il est nécessaire qu’il jouisse de la liberté psychologique, mais aussi qu’il soit à l’abri de toute coercition.

On s’entendit pour ne se prononcer sur la liberté religieuse que comme droit négatif ou immunité de toute coercition externe. On décida aussi de parler de « liberté sociale et civile en matière religieuse ». L’expression « en matière religieuse » vise à inclure le cas de l’incroyant, voire de l’athée. Le Concile va d’ailleurs jusqu’à affirmer : « Le droit à l’immunité persiste même chez ceux qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer. » Ces hommes conservent en effet toujours le droit de revenir à cette recherche, selon leur nature, hors de toute contrainte ou coercition.

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Beaucoup de Pères du Concile ont apporté leur pierre à la rédaction qui fut très délicate – et qui apparaît fort soignée. Il est juste de signaler le rôle particulier joué, à côté de Mgr de Smedt, par deux des experts, Mgr Pietro Pavan d’une part, dont le rôle dans la préparation de Pacem in terris est bien connu, et d’autre part, le jésuite américain John Courtney-Murray, qui avait consacré une grande part de sa vie à l’étude de cette question. Le P. Courtney-Murray insista beaucoup, selon la tradition des États-Unis, sur l’idée de pure et simple « incompétence de l’autorité politique » dès qu’il est question de religion.

Le texte final est court et précis. On délimite d’abord exactement l’objet dont on parle. On explique ensuite, en.Dignitatis humanae, DH 2 -3, la thèse centrale : « la personne humaine a droit à la liberté religieuse » ; cette liberté est essentielle pour l’exercice de l’obligation de chercher la vérité ; il n’y a d’ailleurs de foi que libre ; et il faut un libre champ pour les actes extérieurs que requiert l’acte intérieur de religion. La Déclaration expose ensuite le droit des groupes religieux et de la famille, puis les responsabilités positives de tous, individus, groupes, pouvoir politique, pour « assumer efficacement la protection de la liberté religieuse de tous les citoyens » et pour « assurer les conditions favorables au développement de la vie religieuse » (DH 6).

Les justes limites de la liberté religieuse sont à leur tour évoquées (DH 7), ainsi que la nécessité d’une formation à l’usage de la liberté (DH 8). Mais, puisque l’on a parlé jusque-là un langage de « raison » et d'« expérience », de persuasion humaine universelle, on passe ensuite à toute une Seconde Partie sur « la liberté religieuse à la lumière de la Révélation », où la doctrine de la liberté en matière religieuse est corroborée à partir de la tradition chrétienne concernant la liberté de l’acte de foi (DH 10), ainsi qu’à partir d’un rappel de la manière de faire du Christ et des Apôtres (DH 11). Est abordée enfin, en DH 13-14, la question de la liberté de l’Église – la liberté qu’elle revendique -, et de sa fonction propre par rapport à la vérité dans la liberté.

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La Déclaration sur la liberté religieuse a été finalement votée par 2 308 évêques. 70 seulement votèrent non placet. C’est néanmoins l’un des textes autour desquels s’est effectuée après le Concile une certaine fracture, quelques groupes traditionalistes refusant d’y adhérer. Il est vrai que si tout n’était pas nouveau, il s’en faut, au plan doctrinal, la Déclaration ouvrait bien sur un nouveau style, et sur une nouvelle attitude dans les relations des chrétiens avec les hommes d’autres religions, voire d’autres convictions non religieuses, et avec les incroyants.

De l’avis de bons spécialistes, par ailleurs, tout ce qui devrait être dit ne l’a pas été encore dans cette Déclaration. Elle concerne le droit négatif de liberté religieuse, l’immunité de toute coercition en matière religieuse. Mais la liberté n’est pas simple absence de contrainte. Elle est « d’abord la faculté d’adhérer à des valeurs qui contribuent à la perfection de la personne » (J. Hamer). Il serait intéressant, d’autre part, d’approfondir, plus que n’a pu le faire la Déclaration, la relation entre la liberté sociale et civile en matière religieuse, et la libertas christiana telle que la décrit saint Paul.