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23 janvier 2013

Le Livre blanc des assises chrétiennes de la mondialisation

Christian Mellon, Jésuite, Ceras, ancien secrétaire de la Commission Justice et Paix France

Il y a plus de cinq ans, plusieurs mouvements de laïcs chrétiens - catholiques et protestants - se sont lancés dans l’aventure des « Assises chrétiennes de la mondialisation ». Aventure, car rien, au départ, ne garantissait le succès de l’opération : il s’agissait de faire dialoguer et travailler ensemble des chrétiens très divers par leurs positions dans la société - dirigeants d’entreprise, syndicalistes, militants, bénévoles, permanents de mouvements – et par leurs appartenances ecclésiales : depuis le patronat chrétien (EDC) jusqu’aux militants du CMR (Chrétiens en monde rural), du CCFD ou du Secours catholique, en passant par les cadres du MCC, les membres d’une « communauté nouvelle » (Fondacio) et les adhérents de la CFTC (voir la liste complète sur le site des ACM ). Aventure encore car personne ne pouvait prévoir où mènerait ce processus. De fait, le projet initial (organiser dans les deux ou trois ans un très large rassemblement : des « assises » de 5 000 personnes) s’est profondément modifié en cours de route. D’une part le dialogue entre les quelques 31 mouvements qui, peu à peu, rejoignent les ACM (accompagnés par deux services de la conférence épiscopale : la commission sociale et Justice et Paix-France) se montre si fécond, dans l’écoute des différences, que l’idée d’une « parole commune » fait place à celle d’une « parole plurielle » ; d’autre part, la perspective d’un grand rassemblement national est abandonnée, au profit d’une démarche privilégiant les initiatives locales : en 2002-2003, sont organisées, à travers la France, une quarantaine d’ATM (assemblées territoriales de la mondialisation). Les fruits ainsi produits (analyses, idées, propositions) sont recueillis dans un Livre vert (décembre 2003), lequel est à son tour largement discuté par une « Assemblée synodale » à Lyon (janvier 2004), qui retient 8 axes pour approfondir la réflexion dans des Ateliers Régionaux de la Mondialisation. Tout ce processus aboutit à un Livre blanc, qui est adopté par les 180 participants de l’assemblée synodale qui, à Lille, en janvier 2006, clôt l’ensemble du processus. C’est ce document, fruit de 5 ans d’échanges et de réflexions, qui vient d’être publié par les éditions Bayard sous un titre qui en dit bien à la fois la méthode (« dialogues ») et l’objectif (« pour une terre habitable »).

Mondialisation : que dire, comme chrétiens ?

« Terre habitable », « mondialisation » : on l’aura compris, l’objet de cette réflexion commune, c’est l’ensemble de ces phénomènes qui, regroupés sous le vocable « mondialisation », sont en train de modifier très profondément notre monde. Que pouvons-nous en dire comme chrétiens ? La question est pertinente, puisque nous croyons que, pour un chrétien, les « événements du monde » ne sont pas un « cadre » à l’intérieur duquel se joue l’aventure spirituelle, mais qu’ils lui offrent la matière même de sa prière, de son action, des engagements de sa liberté.

Ce document sera-t-il utile ? Des esprits sceptiques pourraient faire valoir qu’il existe de bons livres de réflexion sur la mondialisation en général, parmi lesquels plusieurs proposent déjà une réflexion chrétienne très éclairante. On évoquera notamment le livre publié par Justice et Paix-France dès 1999 (plusieurs fois réédité), Maîtriser la mondialisation (Cerf, Bayard, 1999), l’approche plus théologique d’Alain Durand op, La foi chrétienne aux prises avec la mondialisation (Cerf, 2003) et la réflexion dérangeante d’un évêque, Albert Rouet, Faut-il avoir peur de la mondialisation ? (Desclée de Brouwer, 2000).

Quoi de neuf ?

La question se pose donc : le livre des ACM, qu’apporte-t-il donc nouveau ? J’aimerais convaincre de son intérêt, en raison de deux apports spécifiques qui sont vraiment à souligner et valoriser.

La démarche

Explicitée dans l’avant-propos de Jérôme Vignon (président des ACM) et dans l’introduction, sa dynamique parcourt l’ensemble du livre. Comme l’écrit Elena Lasida, ce livre est « la trace d’une expérience de dialogue, et c’est sans doute la plus belle parole chrétienne qu’on puisse dire sur la mondialisation, car elle parle d’une attitude avant même de faire un jugement ou de donner une solution, l’attitude de savoir s’ouvrir à la différence de l’autre. » De fait, le caractère « synodal » de la démarche d’écriture n’est pas une simple question de méthode : il est déjà une manière de répondre à la question portant sur l’attitude chrétienne devant la mondialisation. Une fois clarifiées les notions et rassemblés les faits et chiffres (étape certes nécessaire, mais sur laquelle le chrétien n’a rien à dire de spécifique), c’est vraiment aborder en chrétiens la mondialisation que de produire une parole issue de l’écoute des différences. Car c’est bien là le principal défi de la mondialisation : vivre ensemble, différents, sur une planète de plus en plus « unique ».

La perspective théologique

 Face à un phénomène porteur de réalités aussi complexes et contradictoires, il est utile de proposer quelques critères éthiques, permettant de faire le « tri » (le discernement, si on préfère) entre ce qui, dans la mondialisation, favorise le développement de « tout homme et tout l’homme » (selon la célèbre formule de Populorum Progressio) et ce qui au contraire creuse les inégalités et nivelle les différences. Plus que jamais, il importe de ne pas diaboliser ni idéaliser la mondialisation, mais de chercher à la « maîtriser » pour pouvoir la piloter dans le sens du respect de l’homme, ce qui suppose la mise en place d’instances politiques efficaces, à tous les niveaux – y compris au niveau de la planète, conformément au vœu de Jean XXIII dans Pacem in terris.

Promesse et alliance

Mais un discours chrétien ne peut s’en tenir à ce discernement éthique. Il doit enraciner plus profondément, dans le mystère même de « Dieu avec nous », une parole qui donne sens aux événements. Exercice délicat, que le livre des ACM réussit, me semble-t-il, en revisitant quelques notions bibliques fondamentales, notamment celles de promesse et d’alliance. La notion biblique de « promesse », par exemple, invite à recevoir dans la confiance – et non dans la peur – la découverte des limites objectives à notre développement. Car une limite peut être perçue soit comme une restriction (nos descendants vont devoir se « serrer la ceinture ») soit comme une invitation à des changements qualitatifs dans les modes de vie, de consommation, de relation : « La promesse voit dans le risque la possibilité d’un avenir radicalement nouveau » (p. 67). Le thème de l’alliance, lui aussi, trouve de nouveaux échos quand il s’agit de trouver « des cohérences nouvelles entre des termes qui sont souvent présentés comme opposés : respect de la nature et développement humain, croissance et décroissance, local et global, liberté individuelle et responsabilité collective, génération présente et génération future » (p. 68)

Un livre éclairant pour réfléchir à ce que la foi chrétienne nous invite à produire comme fruits de paix et de justice à l’heure de la mondialisation.

Manifestation au Chili, photo A. Salmon DR