Publié en 2003, le document de la Commission sociale des Evêques de France s’interesse à la violence envers les femmes et plus particulièrement à la violence conjugale et à la prostitution.
1- Voici quarante ans1, le pape Jean XXIII mentionnait parmi les « signes des temps », caractéristiques d’une humanité en progrès, « l’entrée de la femme dans la vie publique ». « De plus en plus consciente de sa dignité humaine, la femme n’admet plus d’être considérée comme un instrument ; elle exige qu’on la traite comme une personne aussi bien au foyer que dans la vie publique2. » A l’heure où la femme acquiert dans la cité une influence, un rayonnement, un pouvoir jamais atteints jusqu’ici, il nous faut cependant regarder ce que nous refusons souvent de voir. Dans une société marquée par une violence croissante, les femmes se situent majoritairement parmi les victimes de cette violence.
2- Depuis la nuit des temps, sauf exceptions, la femme bénéficie, dans son rôle de « mère », d’un respect qui confine à la vénération. Mais, en contraste, elle est trop souvent maltraitée dans son milieu familial (menaces, humiliations, coups et blessures, insultes, incestes, viol conjugal, mutilations sexuelles3) comme dans la vie publique (agressions, pressions psychologiques, harcèlement sexuel, tourisme sexuel, prostitution – également enfantine). Sans oublier les violences et abus qui s’opèrent dans les prisons ou dans le cadre des conflits et des guerres : les femmes sont souvent les premières victimes, y compris sous la forme abjecte du viol considéré comme arme de guerre. Ces violences commencent par la violence du regard : le regard appuyé, le regard qui déshabille… La pornographie et une certaine publicité considèrent et exploitent le corps de la femme comme un pur objet de jouissance, un objet de consommation. Elles confortent le machisme et influencent pour une part la criminalité sexuelle et la culture du viol.
3- C’est bien pour protester contre l’oppression masculine et les viols collectifs dont elles font l’objet que des femmes et des jeunes filles de la banlieue parisienne ont lancé, au début de l’an 2003, la première marche des femmes : elles refusent de raser les murs, de se taire et veulent échapper au statut de proie sexuelle. Jusqu’à quand notre société supportera-t-elle ces innombrables actes de violence ? Jusqu’à quand ces victimes seront-elles abandonnées à leur souffrance, réduites au silence, spoliées dans leur désir de vivre ? Pourquoi les femmes sont-elles presque toujours la cible de ces humiliations ? Est-ce leur vulnérabilité plus grande qui porte des hommes à abuser de leur force ? Est-ce une culture encore fortement marquée par le machisme ? Cette violence qui meurtrit et détruit les femmes depuis la nuit des temps est loin d’être éradiquée. De ces différentes forme de violences faites aux femmes, nous n’allons retenir que deux exemples qui suscitent peu de réactions et dont on parle peu : il s’agit des violences faites aux femmes dans le cadre familial et conjugal et de la violence de la prostitution. En attirant l’attention sur ces faits, gardons-nous de généraliser la victimisation féminine et la culpabilisation masculine : il ne s’agit pas de suspecter tous les hommes, comme si les violences justement dénoncées étaient un fait absolument universel, englobant dans une même réprobation l’ensemble des hommes.
Les violences conjugales4
4- Il s’agit là d’un grave phénomène de société, longtemps tabou, dont on commence seulement aujourd’hui à connaître l’ampleur. Il n’est pas l’apanage des milieux défavorisés : il touche toutes les catégories sociales, tous les âges, toutes les cultures, y compris les milieux privilégiés comme les milieux politiques et intellectuels. Une enquête nationale récente5 a révélé qu’une femme interrogée sur dix avait subi des violences conjugales6 au cours des douze derniers mois, que quatre cents femmes, en France, meurent chaque année à la suite de ces violences. Sait-on qu’en Ile-de-France (hors Paris), chaque quinzaine, trois femmes meurent sous les coups du mari ou du concubin ? Et que 60 % des sorties de nuit de la police concernent des violences conjugales ou familiales ? Violences qui prennent diverses formes : insultes, coups, humiliations et viols.
5- Ces violences peuvent également s’exercer de manière psychologique (dévalorisation permanente qui entraîne la perte de confiance en soi) ou économique lorsque l’épouse est forcée d’abandonner son travail ou est spoliée de son salaire et de ses biens personnels, ce qui la plonge dans une totale dépendance financière vis-à-vis de son conjoint. Les femmes humiliées, battues, violentées ont honte de ce qui leur arrive. Elles n’osent pas en parler, elles se sentent coupables et préfèrent cacher leurs souffrances. Mais elles n’en considèrent pas moins cette existence comme un enfer. Elles jugent leur vie ratée et endurent des blessures inguérissables. Car elles se sentent atteintes dans leur dignité, leur corps, leur intimité, leur être le plus profond, rabaissées à l’état d’objet. S’échapper d’une telle situation est particulièrement difficile, d’autant plus que l’agresseur est souvent aussi aimé…
6- Les causes de ces violences conjugales sont multiples. A l’origine, il faut nommer, alimentées par l’égoïsme et la jalousie, la domination masculine, la volonté d’affirmer son pouvoir par la force, la complaisance à humilier la femme, à la rabaisser, à l’insulter grossièrement, à la menacer, à détruire sa personnalité, à la traiter comme une chose, comme une propriété, sa propriété. S’y ajoutent des facteurs aggravants comme l’alcoolisme, si répandu en France, ainsi que le chômage qui altère fortement les relations. Dans la France d’aujourd’hui, serait-il moins risqué de frapper sa femme que son chien ? La question peut se poser quand l’on constate que, dans le cadre de l’amnistie décidée après l’élection présidentielle de 2002, les condamnations pour violences conjugales ont été effacées, tandis que les actes de cruauté contre les animaux ne l’ont pas été.
La violence de la prostitution7
7- Plus d’un siècle et demi après son abolition, l’esclavage sous la forme de la prostitution, n’a pas disparu et il concerne cinq millions d’êtres humains dans le monde. La France elle-même laisse le champ libre à un tel marché qui concerne entre douze mille et quinze mille personnes. Le chiffre d’affaires de ce trafic, lié aux réseaux de la drogue et du blanchiment d’argent, est gigantesque.
8- La violence et la drogue sont des moyens de mise au pas, alors que le sida fait des ravages, et que la prostitution des mineur(e)s s’étend. Le développement de réseaux de trafic de femmes en vue de la prostitution a pris un tour alarmant au cours des dernières années par l’intermédiaire des filières originaires des pays de l’Est et des Balkans, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Il trouve son terreau principal dans la grande pauvreté et l’espoir que l’on fait miroiter d’un monde meilleur.
9- Considérées comme des marchandises sur un marché et devant observer des règles de rentabilité maximales, ces personnes prostituées sont battues, violées, sommées de répondre à n’importe quel désir, même pervers, passées de mains en mains, au gré des rencontres. Méprisées par le client et par le proxénète (qui n’est pas toujours un homme), elles en arrivent à se mépriser elles-mêmes : salies, avilies, incapables de sortir de leur condition.
10- L’emprise des « souteneurs » est pratiquement sans faille lorsque les jeunes femmes sont expédiées dans un pays étranger. En situation irrégulière, sans contacts, sans argent, connaissant mal ou pas du tout la langue, punies et notamment battues au moindre signe de résistance, ces femmes vivent une situation pire que l’esclavage.
11- Pourquoi la prostitution jouit-elle aujourd’hui d’une telle indulgence ? « La majorité des gens, pris individuellement, la condamnent : tous la refusent absolument… pour leurs proches ou pour leurs enfants. Mais qu’on leur demande d’en tirer les conséquences et aussitôt resurgissent les formules toutes faites : « le plus vieux métier du monde », « un mal nécessaire »… Tous ces arguments que personne n’oserait employer à propos de l’inceste, du viol, de l’esclavage8. »
12- Depuis quelques années, plusieurs Etats d’Europe tentent de convaincre tous les pays de l’Union européenne ou des autres continents pour que la prostitution soit assimilée à un travail comme un autre et font pression en ce sens dans toutes les instances internationales. L’objectif visé est de faire disparaître la convention de l’ONU, signée en 1949, par une soixantaine de pays, dont la France, et qui condamne toute forme d’exploitation sexuelle, même avec le consentement de la personne.
13- Aujourd’hui encore, une majorité de Français est favorable à la réouverture des maisons closes et juge la prostitution comme un mal inévitable. Force est de constater qu’à cet égard, nombre de chrétiens ne se distinguent pas fortement de ceux qui disent ne pas l’être. « Mais dans quel domaine cette exploitation est-elle plus évidente et plus révoltante que dans cet indigne commerce, que l’on peut à bon droit considérer comme la forme la plus dégradante de l’esclavage moderne, la honte de la société9 ? »
14- Un effort concerté à tous les niveaux est nécessaire afin d’affirmer la dignité de la femme et de s’opposer avec force à toute violence commise à son encontre. Certains clichés qui ont toujours cours affirment que le christianisme, s’appuyant sur la Bible, serait l’un des facteurs de dépréciation et de mépris de la femme. Contre-vérité que souligne fortement le pape Jean-Paul II. « Dans le christianisme, écrit-il, plus que dans toute autre religion, la femme a, dès les origines, un statut spécial de dignité, dont les aspects nombreux et marquants sont attestés dans le Nouveau Testament10. » Il est difficile de ne pas voir l’honneur dont est entourée la femme dans la Bible. Mais il est également difficile aussi de ne pas constater la domination de l’homme. « Dieu créa l’homme à son image : homme et femme il les créa. »
15- Cette éminente dignité de la femme s’enracine dans les récits de la création au premier livre de la Bible, la Genèse. L’homme et la femme sont images et ressemblance de Dieu : c’est la base immuable de toute l’anthropologie biblique. Le premier récit de la création (Gn 1, 1 – 2,4) dit que le monde que Dieu a créé est beau et que l’homme en est le sommet. « Dieu créa l’homme à son image ; à l’image de Dieu il le créa : homme et femme il les créa… et Dieu vit que cela était très bon. » Tel est le fondement de la commune dignité de l’homme et de la femme : l’un et l’autre ont été créés à l’image de Dieu. Ni l’homme à lui seul, ni la femme à elle seule n’est toute l’humanité. L’un et l’autre sont appelés à exister pour « autrui », à devenir don.
16- Dans le second récit de la création (Gn 2, 7 s.), Dieu réfléchit à haute voix et dit : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul… Je vais lui faire une aide qui lui soit accordée. » La femme reçoit ainsi comme vocation de sauver l’être humain de l’enfermement sur lui-même, du face-à-face mortel et stérile avec lui-même. L’être humain, en effet, n’est vraiment lui-même que dans le face-à-face avec un autre, dans une relation de réciprocité. « Voici la chair de ma chair et l’os de mes os », dit l’homme.
17- Il est une autre révélation qui nous vient du récit des origines. L’homme et la femme, voulant « être comme des dieux », ont rompu leur relation avec Dieu et entre eux. « Ton désir te portera vers ton homme et lui te dominera », est-il dit à la femme en Genèse 3, 12. Cette domination de l’homme sur la femme est une conséquence de la chute. C’est l’expérience de tous les temps : profitant de sa force, l’homme domine la femme, la soumet à son bon plaisir, l’exploite. La domination l’emporte chez l’homme, cependant que le comportement de la femme à l’égard de celui-ci se dégrade en convoitise. L’humanité est ainsi blessée et en attente d’une recréation qui ne peut venir que de Dieu.
« Les disciples s’étonnaient que Jésus parle à une femme. »
18- « Le Christ s’est fait auprès de ses contemporains l’avocat de la vraie dignité de la femme et de la vocation que cette dignité implique… Sa façon de parler aux femmes et des femmes, ainsi que la façon de les traiter, constitue clairement une nouveauté par rapport aux mœurs prévalant alors11. » Depuis les débuts de sa prédication jusqu’aux heures sombres de la croix, Jésus est toujours accompagné par un groupe de femmes : non pas des femmes idéales, mais un groupe disparate qui devait susciter bien des commentaires : anciennes malades guéries, femmes au passé douteux. Elles seront au pied de la croix et, les premières, bénéficieront de l’annonce de la Résurrection.
19- Jésus ne cesse de lutter contre toutes les formes d’exclusion dont sont victimes les femmes de son temps, surtout lorsqu’elles ont pour origine le mépris dans lequel trop souvent le pouvoir masculin les enferme. La rencontre avec la femme surprise en adultère (Jn 8, 3-11) et menacée de lapidation en est un exemple éloquent. Jésus accueille cette femme, sans la condamner. Il la regarde avec respect. Il lui parle et lui pardonne. Il semble dire à ses accusateurs : « Cette femme, avec tout son péché, ne fait-elle pas apparaître aussi et surtout vos propres transgressions, votre injustice masculine, vos abus12.
20- Pour Jésus, la qualité du regard que l’on porte sur l’autre est plus importante que la seule observance de la Loi qui peut donner lieu à bien des mensonges : « Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle » (Mt 5, 27-28).
21- Enfin, alors que la répudiation était admise par la loi juive, Jésus reconnaît aux femmes le rang de partenaire à part entière à l’intérieur du couple, cependant qu’il fait toujours preuve d’une profonde tendresse et d’une grande miséricorde à l’égard des personnes qui connaissent l’échec ou des difficultés sur le plan conjugal (Mt 21,31-32 ; Lc 7, 37-50 ;8, 1-11)
« Votre corps est le temple du Saint-Esprit de Dieu. »
22- En s’attaquant au corps et parfois en le détruisant, la violence détruit le plus intime de la personne, de sa volonté, de son désir de vivre et d’aimer. Elle s’en prend à la dignité de l’humain, de la femme dans sa ressemblance divine. Faire violence au corps humain, c’est atteindre le plus intime de la personne, car le corps humain n’est pas une simple dépouille ou une limite dont il faudrait s’affranchir, encore moins une marchandise. Il n’est pas une chose ni un objet de consommation. C’est pourquoi l’on ne peut dire : « Mon corps m’appartient » ni non plus « Le corps de ma femme m’appartient. » Cette formulation ultra-libérale est à rejeter car elle exprime une conception réductrice du corps humain.
23- Le corps de chaque être humain révèle le caractère unique de la personne. Le corps est le lieu unique de la plus intime relation avec l’autre : le plus intérieur se dit par le plus extérieur. C’est le corps qui permet la rencontre de l’autre, jusqu’au don de la vie. Bien plus, le corps est habité par la présence divine et c’est l’homme tout entier qui voyage vers la Maison du Seigneur : « Ne savez-vous pas, écrit Saint Paul, que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous et qui vous vient de Dieu, et que vous ne vous appartenez pas ? […] Glorifiez donc Dieu dans votre corps » (1 Co 6, 19-20).
La figure de Marie.
24- Les chrétiens vénèrent tout particulièrement Marie, la Mère de Jésus. C’est elle qui a donné naissance au Fils de Dieu. C’est pourquoi « elle est bénie entre toutes les femmes » (Lc 1, 42). Elle incarne au plus haut point la dignité de la femme dans la Bible. En sa personne, la féminité a été exaltée à un point qu’aucune autre créature n’a jamais atteint.
25- « Il y a encore tellement d’efforts à faire, en de nombreuses parties du monde et en divers milieux, écrit le pape Jean-Paul II, pour que soit détruite la mentalité injuste et délétère qui considère l’être humain comme une chose, une marchandise, un instrument mis au service de l’intérêt égoïste et de la recherche de plaisir, d’autant plus que, de pareille mentalité, c’est la femme qui est la première victime. La reconnaissance franche et nette de la dignité personnelle de la femme constitue le premier pas à faire13. »
Face aux violences dans la vie familiale et conjugale.
Oser parler.
26- La société a longtemps considéré les violences infligées aux femmes par leur compagnon comme des affaires privées auxquelles il convient de ne pas se mêler. Or il importe de rompre le silence, de prendre la parole, d’écrire pour se libérer et dire les violences subies. Il importe également d’écouter, de soutenir, d’accueillir les personnes victimes de violence pour qu’elles osent parler et aller, si besoin, au bout des procédures engagées. La famille, les amis peuvent apporter une aide indispensable sans oublier les assistantes sociales, les conseillers familiaux, les associations telle SOS, Femmes battues. Les médecins et le personnel de santé, les fonctionnaires de la police peuvent être les acteurs les plus impliqués de la lutte contre ce fléau. Ils y sont progressivement formés.
Prendre appui sur la loi.
27- Tous les commissariats ne sont pas équipés pour recevoir les femmes victimes. Les plaintes déposées peuvent être classées et les procureurs hésitent à s’engager contre ces pratiques. Les violences conjugales sont, en France, réprimées par la loi : le viol conjugal est reconnu et puni depuis 1980 et la violence conjugale est considérée comme un délit depuis 1994. Ces droits des femmes difficilement conquis sont loin d’être respectés.
28- Lorsqu’une femme battue décide de quitter son mari ou son compagnon, souvent dans l’urgence et accompagnée de ses enfants, il lui faut faire face à de graves difficultés matérielles et tout d’abord trouver un logement. Les foyers d’accueil sont peu nombreux. Ne serait-il pas préférable dans de telles circonstances d’éloigner le mari du domicile conjugal ?
Face aux violences de la prostitution.
29- La prostitution se trouve au carrefour de « structures de péchés » auxquelles il faut être attentif et pour lesquelles il est important de mettre en évidence les responsabilités. En effet, « tout ce qui offense la dignité de l’homme, comme […] les conditions de vie sous-humaines, l’esclavage, la prostitution, le commerce de femmes et des jeunes… Toutes ces pratiques sont, en vérité, infamantes. Tandis qu’elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s’y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement l’honneur du Créateur14. »
Le regard porté sur les femmes prostituées.
30- Ce n’est pas aux victimes de la traite qu’il faut d’abord faire la guerre. Il s’agit plutôt de favoriser leur réinsertion, de convertir son propre regard et, à l’exemple de Jésus, de les regarder comme des personnes. Bien plus : elles sont les privilégiées du Christ. L’Esprit est présent et agissant en elles : elles savent se réconcilier et s’entraider.
Les « clients » doivent prendre conscience de leur complicité.
31- Le recours aux prostituées est toujours le signe d’une misère affective et sexuelle qui demande à être reconnue et analysée. Mais les clients, mal connus et visiblement fort nombreux (du cadre supérieur à l’ouvrier – de tout âge et de toute profession), ont un comportement d’autruche : ils refusent de regarder en face les conséquences de leurs actes. Ils confortent une structure de péché. Ils encouragent objectivement les activités des proxénètes qui s’enrichissent en réduisant en esclavage des centaines de milliers de vies humaines. Une campagne de sensibilisation est nécessaire afin que ces clients se rendent compte de quoi ils sont complices. Sans eux le triangle clients-proxénètes-prostituées n’existerait pas.
Combattre vigoureusement les réseaux de prostitution.
32- Un vrai travail de sensibilisation est à réaliser auprès des responsables politiques afin qu’ils aient la volonté politique de s’attaquer aux réseaux de prostitution, car « la culture de la mafia est une culture de mort, l’ennemi profondément inhumain de l’Evangile, de la dignité humaine et de l’harmonie civique15 ». Cette action est à mener non seulement sur le plan national mais sur le plan européen, et international. Une harmonisation des législations et une lutte commune contre les mafias s’imposent en Europe16, ainsi que le développement de la coopération avec les pays d’origine.
33- En France, nombreuses sont les personnes qui, attentives à cette situation, cherchent avec d’autres à y faire face. « Dans plusieurs dizaines de villes, au sein d’associations régionales ou nationales, bien des chrétiens militent bénévolement ou travaillent comme salariés pour rencontrer les personnes prostituées, hommes et femmes, et leur offrir les moyens et les aides nécessaires pour quitter le milieu de la prostitution. Ils cherchent à sensibiliser les acteurs sociaux et politiques et le public en général. Ils défendent l’idée que la prostitution n’est pas un « métier », pas plus qu’ « un service »17. »
Promouvoir une véritable éducation des jeunes.
34- Toute éducation doit rechercher avant tout le respect de l’autre. Il est urgent de repenser l’éducation sexuelle des jeunes, cette éducation devant être sexuelle et affective, prenant en compte la dimension relationnelle de la sexualité. Malgré les efforts réalisés dans ce domaine depuis une trentaine d’années, beaucoup de jeunes n’ont encore aucune information ou formation sur la sexualité. A la maison, on n’en parle pas. Pour les garçons, les seules représentations du rapport aux femmes sont les photos dans les kiosques ou les images et films pornographiques qu’ils regardent avec les copains. Qui leur apprendra qu’une relation se construit dans le temps et la confiance ? Comment les aider à répondre à leur désir d’aimer et d’être aimés grâce à une pédagogie qui favorise leur construction personnelle.
35- Pouvoir « vivre ensemble », c’est ce que souhaitent ardemment tous les humains. Pouvoir « vivre ensemble » au quotidien dans la famille, dans le couple, dans la rue, au travail, à l’école, entre nations… Ce vœu ne peut se réaliser que dans le respect de l’autre. Respecter l’autre, c’est se garder de mettre la main sur lui, se garder de le considérer comme une chose dont on serait propriétaire. Respecter l’autre, c’est convertir son propre regard pour voir, en tout visage, spécialement dans le visage des plus faibles et des blessés de la vie, un mystère qui ne peut être profané. Car, « dans la personne des pauvres il y a une présence spéciale du Fils de Dieu qui impose à l’Eglise une option préférentielle pour eux18.
36- Dans les pages qui précèdent, nous avons voulu mettre en pleine lumière les violences dont sont encore victimes trop de femmes aujourd’hui, dans leur couple, dans leur vie professionnelle, par le biais d’une publicité indigne, et jusque dans l’ignoble « industrie du sexe » et le commerce de la prostitution.
37- C’est pourquoi nous voulons appeler tous les chrétiens et les hommes de bonne volonté à prendre conscience de ces violences afin de contribuer à rendre à celles qui en souffrent leur dignité, leur identité, leur liberté. Que ce soit en les accueillant dans leur détresse, en les écoutant, en les aidant à parler, en les accompagnant sur le difficile chemin de leur réinsertion sociale et humaine, sans omettre le soutien spirituel qui leur est nécessaire.
38- Nous en appelons aux autorités gouvernementales pour que la législation existante soit appliqués, tant à l’encontre des violences conjugales que dans la lutte contre les trafics humains. Cet appel concerne également les autorités de l’Union européenne afin qu’elles s’opposent à la criminalité organisée par une législation et une répression plus sévères.
39- A toutes les femmes victimes de la violence sous de multiples formes dans leur vie quotidienne, à celles qui sont victimes de la « traite » de la personne humaine, nous exprimons notre entière solidarité : que soit garanti à chacune d’entre elles le droit de ne pas avoir à marchander son propre corps, que soient reconnues sa pleine humanité, son égalité et sa féminité.
40- Nous en appelons aux parents, aux éducateurs, aux enseignants, aux catéchistes, afin que la formation donnée aux enfants et aux jeunes leur permette d’acquérir une juste estime d’eux-mêmes et d’être élevés dans le respect de l’autre. Sortir des truismes fatalistes sur « le plus vieux métier du monde » est une tâche qui s’impose à notre civilisation.
41- Nous y sommes encouragés par le message de la Bible, spécialement du Nouveau Testament. Puissions-nous nous inspirer de cet appel audacieux de saint Paul dans sa lettre aux Galates : « Tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu en Jésus-Christ. Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a plus ni juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre, ni homme, ni femme ; car tous vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ » (3, 28).
Le 1er juillet 2003
Les évêques de la Commission sociale :
Mgr Olivier de Béranger, évêque de Saint-Denis, Président de la Commission sociale des évêques de France ;
Mgr Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, Président du Comité épiscopal pour la Santé ;
Mgr André Lacrampe, évêque d’Ajaccio pour la Corse, Président du Comité épiscopal sociocaritatif ;
Mgr Jean Bonfils, Evêque de Nice, président du Comité épiscopal Socio-économique et politique ;
Mgr Michel Pollien, évêque auxiliaire de Paris, Président du Comité épiscopal Justice et société ;
Mgr Yves Boivineau, évêque d’Annecy, Président du Comité épiscopal Loisirs, fêtes et voyages ;
Mgr Lucien Fruchaud, évêque de Saint-Brieuc et Tréguier.