facebook
07 septembre 2011

Introduction à Redemptor hominis

Extrait : Les droits de l’homme

Denis Maugenest, Jésuite

La période historique ouverte avec Mater et Magistra (1961) et Pacem in terris (1963), culminant avec les grands textes conciliaires Gaudium et spes et Dignitatis humanae (1965), auxquels on peut joindre Populorum progressio (1967), s’était close en 1971 avec Octogesima adveniens et Justitia in mundo, non sans une certaine ambiguïté que révélaient bien ces deux derniers textes, d’inspiration sensiblement différente. La période qui allait suivre se montrerait moins féconde en discours solennels du Magistère : c’est l’heure des décantations « sur le terrain », avec tout ce que cela signifie de diversités de points de vue, d’engagements aussi dans l’action, de formulations théoriques parfois. En Amérique latine, plus spécialement, des conflits d’interprétation vont se faire jour sur le rapport entre l’Église et le monde, l’Évangile et les transformations sociales. Le Synode universel de 1974 s’efforcera de ressaisir ces multiples tensions qui parcourent le corps tout entier de l’Église, et Paul VI s’appuiera sur cette réflexion collégiale pour exhorter toute la catholicité à une authentique évangélisation dans le monde moderne (exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, 8 décembre 1975). Mais il faudra attendre l’accession du pape Wojtyla, le 22 octobre 1978, pour que s’ouvre, sans doute sur un mode renouvelé, une période à nouveau faste du discours social de l’Église.

Les temps ont changé. Aux trente années de paix et de prospérité qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, et qui ont permis à un nombre croissant de personnalités nationales de s’affirmer dans le concert des nations et d’entreprendre leur propre développement avec quelques espérances d’y parvenir, ont succédé des années plus amères : déconvenues économiques, mésententes politiques, discordes et divisions internationales, durcissement des attitudes, tout semble engendrer comme un sentiment d’impuissance et, confusément, de résignation au pire.

Certains déjà se résolvent à confier aux hasards d’une grande explication entre les nations la solution des difficultés de tous : les efforts d’armement reprennent, partout dans le monde ; gouvernements et opinions publiques choisissent leurs camps ; des conflits locaux donnent l’impression d’être soigneusement entretenus en guise de tests des dispositions des protagonistes ; c’est l’arme au pied et les systèmes de détection en alerte que les uns et les autres veillent…

Jean-Paul II avait vingt ans en 1940. Fils d’une nation à qui fut longtemps refusée l’existence politique (le « partage de la Pologne » dura de 1795 à 1918), il connut avec elle la souffrance et l’humiliation d’une nouvelle occupation – allemande à l’Ouest et russe à l’Est – qui fut à l’origine officielle de la Seconde Guerre mondiale. Aux Nations Unies, à New York, le 2 octobre 1979, il évoquera longuement les « douloureuses expériences » et les « souffrances de millions de personnes » qui furent le prix à payer de ce conflit qui devait devenir celui de tous contre tous. Il évoquera Auschwitz, camp d’extermination, « l’un des lieux les plus douloureux et les plus débordants de mépris pour l’homme et pour ses droits fondamentaux ». Il évoquera aussi la conscience que l’humanité prit à cette occasion que « l’esprit de guerre, dans sa signification première et fondamentale, surgit et mûrit là où les droits inaliénables de l’homme sont violés ». Il saluera dans la déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par les Nations Unies le 10 décembre 1948, « une pierre milliaire placée sur la route longue et difficile du genre humain ». Quarante ans après l’invasion de la Pologne, le pape Wojtyla adjure les représentants des Nations Unies : « Gouvernements et États du monde entier ont compris que, s’ils ne veulent pas s’attaquer et se détruire réciproquement, ils doivent s’unir. Le chemin réel, le chemin fondamental qui y conduit passe par chacun des hommes, par la définition, par la reconnaissance et par le respect des droits inaliénables des personnes et des communautés des peuples. »

L’appel à la dignité de la personne humaine et à ses droits les plus fondamentaux n’est certes pas nouveau dans l’Église. Si l’Église en effet n’a jamais fait sienne la conception libérale des droits de l’homme élaborée en Europe par la philosophie du XVIIIe siècle et instituée, à ses yeux, par la déclaration révolutionnaire de 1789 en France, c’est au respect de la dignité de l’homme que Léon XIII en appelle en 1891 (Rerum novarum 32) ; c’est aux droits de l’homme que Pie XI se rapporte dans sa condamnation du communisme athée (Divini redemptoris 27-28) ; c’est aux droits de la personne humaine, hors d’atteinte de la collectivité, qu’il se réfère pour condamner le nationalisme et le racisme (Mit brennender Sorge 37) ; et ce sont les droits personnels de l’homme que Pie XII, quatre ans plus tard, en 1941, invoque à propos des principes fondamentaux de la vie sociale (Radio-Message 21). On sait comment Jean XXIII puis le Concile vont reprendre et amplifier le discours catholique sur les droits de l’homme.

On a ainsi choisi de joindre à ce recueil un texte particulièrement significatif de Jean-Paul II, parmi tous ceux qu’il a lui-même consacrés aux droits de l’homme : un extrait de l’encyclique inaugurale de son pontificat, publiée le 4 mars 1979, Redemptor hominis (Le Rédempteur de l’homme). On y trouvera les accents principaux que développe le pape à travers ses différents discours et dans toutes ses visites aux quatre coins du monde : il ne s’agit pas seulement d’énoncer les droits de l’homme, il faut les mettre en pratique ; face à la tentation humaine de se confier à l’État totalitaire, il est urgent de défendre le droit à la liberté de conscience. Déjà, plus haut dans son encyclique, Jean-Paul II avait affirmé que la dignité de la personne humaine en vient à faire partie de l’annonce de l’Évangile, même sans recourir aux paroles, par le simple comportement à son égard (Redemptor hominis 12,2). Au Sacré Collège, le 22 décembre 1979, parlant de la défense des droits inaliénables des personnes et des communautés des peuples, il ajoutera : « L’Église a le droit et le devoir d’intervenir si elle veut rester fidèle à sa mission… Les différents voyages que la Providence du Seigneur m’a permis de faire cette année ont clairement fait apparaître cette dimension, cette vocation primordiale de l’Église dans le monde contemporain. »