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03 décembre 2012

Dignité de la personne humaine

Alain Thomasset, Jésuite, Centre Sèvres - facultés jésuites de Paris 

Dignité de la personne humaine © Benoît Prieur / Wikimedia Commons

La reconnaissance et le respect de la dignité de la personne humaine sont au centre de la pensée sociale de l'Église. Le Concile, en particulier Gaudium et spes, insiste sur le caractère inaliénable de cette dignité, sur l'union spirituelle et corporelle de la personne en relation avec l'environnement, sur sa dimension essentiellement sociale et communautaire.

La personne humaine et la reconnaissance de sa dignité sont au centre de la pensée sociale mais aussi de toute la pensée morale de l’Église. Au Concile Vatican II, la Constitution Pastorale sur « l’Église dans le monde de ce temps », Gaudium et Spes, développe une véritable « charte » du personnalisme chrétien. Le chapitre premier intitulé « la dignité de la personne humaine » (GS 12-22) décrit longuement cette « juste conception de la personne humaine, de sa valeur unique » qui, comme dit Jean Paul II dans Centesimus Annus, « sert de trame et, d’une certaine manière de guide à l'encyclique et à toute la doctrine sociale de l’Église » (CA 11). Ainsi le Concile précise que : « Croyants et incroyants sont généralement d'accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l'homme comme à son centre et à son sommet » (GS 12). La dignité de la personne est au fondement de toute vie sociale et en détermine les principes directeurs.

Cette vision de la personne peut être accessible à tout homme et en même temps elle est le fruit de la raison éclairée par la foi et la révélation, car « le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné » (GS 22). Le respect de la personne humaine dans son unicité et son caractère sacré est une valeur aujourd’hui communément partagée. Mais pour l’Église cette reconnaissance est aussi appuyée sur plusieurs raisons théologiques : l’homme est créé à l’image de Dieu ; le Fils de Dieu dans son incarnation est devenu vrai homme et a honoré notre condition humaine ; l’humanité (et chaque homme) a été racheté par la passion, la mort et la résurrection du Christ, qui ainsi nous ouvre le chemin de la « divinisation » : notre vocation comporte une dimension transcendante, la vie avec Dieu.

Dignité inaliénable de la personne

Dans cette vision de l’homme, le Concile souligne en premier lieu que la personne humaine a une dignité inaliénable car toute personne est « créée à l’image de Dieu » (GS 12, Gn 1,26). A travers le thème biblique et patristique de l’image de Dieu, l’Église affirme vigoureusement cette dignité et le caractère sacré de chaque personne humaine, par le fait même d’être humain. Cette déclaration a plusieurs conséquences. Elle indique d’abord que le sens de l’homme ne se comprend vraiment que dans sa relation à Dieu, origine et fin de toute vie. Elle souligne aussi que cette dignité de l’homme qui vient de la création lui est donc donnée d’un Autre. Par ailleurs, quel que soit l'état de la personne, la Bible affirme que l'image de Dieu est irréversible en elle. Dans cette perspective anthropologique, le concept d'image de Dieu indique que les humains partagent une même condition et il permet de fonder solidement la valeur de la dignité humaine, au-delà d’une simple convention sociale. C’est ce que fait l’enseignement social de l’Église lorsqu’il appuie la défense et la promotion des droits de l’homme « universels et inviolables » (GS 26) sur ce fondement théologique (PT 8-45, LE 16-22).

Cette perspective implique également que la dignité de la personne humaine ne dépend pas en définitive des réussites ou des capacités de la personne mais de l'amour personnalisant de Dieu. Les implications éthiques de cette déclaration sont importantes dans les débats présents. On peut les retrouver dans les arguments contre l'avortement, l’euthanasie ou le clonage, dans la défense des soins pour les nouveau-nés handicapés (GS 27). Dans la réflexion sur les questions de justice économique et sociale, elle plaide pour une non-discrimination selon les origines ou les capacités, et pour une prise en compte et un respect de chacun, quelles que soient ses réussites (personnes handicapées, sans ressources, sans abri, etc.) (GS 29).

Par ailleurs, les implications anthropologiques de la foi s'étendent aussi à la notion d’égalité fondamentale de tous les êtres humains. L’incarnation où Dieu en Jésus-Christ égale son être à celui de l'être humain est un autre fondement pour l’égalité de tous les êtres humains entre eux. Tous, d’une certaine manière, ont été rejoints par le Christ qui a partagé leur condition jusque dans la mort même. « Par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme » (GS 22). Cette notion dessine un contre programme général face à une conception naturaliste ou psychologique de la personne qui tend à dresser des inégalités selon les aptitudes ou le déploiement des capacités. En Christ, tous les humains ont la même dignité, quels que soient leur état, leur talent, leur capacité.

Une personne incarnée en relation avec l’environnement

Un second ensemble de données anthropologiques mis en évidence par le Concile est la condition corporelle de l’homme et de la femme. La personne humaine est « incarnée ». « Corps et âme, mais vraiment un, l’homme est, dans sa condition corporelle même, un résumé de l’univers des choses qui trouvent ainsi, en lui, leur sommet, et peuvent librement louer leur Créateur (Dn 3, 57-90). Il est donc interdit à l’homme de dédaigner la vie corporelle » (GS 14). Parler de sujet incarné ou d’unité humaine du corps et de l’âme signifie que notre corps n'est pas un pur accessoire ou un simple habitacle extérieur. Nos contemporains sont devenus sensibles à l’importance du corps mais ils ne le traitent pas toujours avec respect. Ce corps est essentiel pour devenir des personnes intégrées. Ce qui concerne le corps concerne inévitablement la personne entière, car c'est à travers notre corps que nous entrons en relation avec les autres et avec Dieu. Dieu nous a tant aimés qu'il a pris notre forme humaine pour que nous puissions connaître l'amour de Dieu. Nos corps, « temples de l’Esprit », sont donc des symboles de notre intériorité. L’enseignement de l’Église en tire des conséquences importantes dans les domaines de la bioéthique et de la vie sexuelle et familiale, mais aussi dans la dénonciation de la torture, des mutilations, de la prostitution et en général de toutes les conditions de vie ou de travail dégradantes (GS 27).

Avoir une existence corporelle signifie encore que nous devons prendre au sérieux les limites et le potentiel de nos capacités biologiques. Les drogues par exemple ne respectent pas notre corps, et il nous revient de prendre soin de notre santé en respectant notre intégrité corporelle. Enfin, comme personne corporelle, nous sommes partie du monde matériel et d’un environnement écologique, avec lequel nous entretenons une relation systémique. Cela suppose que nous prenions acte de notre responsabilité pour continuer à faire du monde un lieu habitable. Pour l’enseignement social de l’Église, les développements de la science et de la technologie doivent être jugés selon leurs effets sur notre vie corporelle et communautaire. Nous avons à prévoir les éventuels effets négatifs de découvertes technologiques sur la vie et sur l’environnement, car nous en sommes moralement responsables (CV 48-51).

Une personne essentiellement relationnelle

Un troisième ensemble de notes anthropologiques, relevées au Concile, touche à la dimension relationnelle de l’être humain. Car si l’homme est créé à l’image de Dieu, il s’agit d’un Dieu Trinité, révélé dans l’unité d’amour des trois Personnes. Le « Dieu qui est amour » (1 Jean 4, 8, 16), est un Dieu qui se donne entièrement lui-même, il apporte une lumière sur le sens de l'être humain qui trouve aussi son achèvement dans l’amour et l’échange du donner et recevoir. Cette « ressemblance entre l’union des Personnes divines » et celles des hommes entre eux « montre bien que l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même » (GS 24, CA 41). Le Concile déploie cette conséquence anthropologique à travers une conception sociale et communautaire de l’être humain : si la personne humaine est sacrée, elle est aussi sociale et sa dignité ne peut être réalisée et protégée qu’au sein d’une communauté humaine d’échanges et d’amour mutuel. Comme le rappelle Benoît XVI dans Caritas in Veritate : « La créature humaine, qui est de nature spirituelle, se réalise dans les relations interpersonnelles » (CV 53). « La vie sociale n’est donc pas pour l’homme quelque chose de surajouté ; aussi c’est par l’échange avec autrui, par la réciprocité des services, par le dialogue avec ses frères que l’homme grandit selon toutes ses capacités et peut répondre à sa vocation. » (GS 25).

Dans cette perspective, la manière dont nous organisons la société dans les domaines de l’économie, de la politique ou du droit favorise ou non directement le respect de la dignité de la personne et la capacité des individus à grandir dans une communauté. « La personne humaine qui, de par sa nature même, a absolument besoin d’une vie sociale, est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions » (GS 25). Une vision personnaliste authentique ne peut donc se fonder sur la seule personne prise isolément, ni se limiter à une définition de celle-ci par ses qualités intrinsèques mais doit être relationnelle et appeler une éthique de la solidarité, du « jamais l’un sans l’autre ». L’enseignement social de l’Église en tire de très nombreuses conséquences. Dans le domaine de l’économie par exemple, il invite à se poser la question de savoir si le développement économique met en valeur ou menace la vie que nous menons avec les autres en société. Il exhorte aussi à prendre en compte toute la communauté humaine dans son ensemble, en étant attentifs aux nations les plus pauvres. A propos de cette solidarité fondamentale des humains entre eux, l’Église affirme que : « Tous les hommes ont le droit de participer à la vie économique de la société ». C’est une exigence de justice fondamentale qu’aucune personne ne soit exclue de la possibilité de participer à l’activité de la société, notamment par le droit au travail, qui est aussi une manière de s’associer à l’œuvre créatrice de Dieu (GS 67 ; LE 4).

D’une manière générale, ce principe de centralité de la personne humaine dans l’organisation de la vie sociale, est la source des principes de solidarité et de subsidiarité qui sont les deux piliers fondamentaux de la doctrine sociale. En vertu de la solidarité, la personne doit contribuer avec ses semblables au bien commun de la société. En vertu de la subsidiarité, ni l’État ni aucune société ne doivent se substituer à l’initiative et à la responsabilité des personnes et des communautés intermédiaires au niveau où elles peuvent agir. Selon ce principe, l’État et la société doivent aussi aider les membres du corps social.

Enfin le respect de la dignité de toute personne humaine appelle à porter une attention particulière aux pauvres et aux faibles. Comme le rappelle Jean Paul II : « La justice d’une société se mesure au traitement qu’elle réserve aux pauvres ». Les disciples du Christ sont ainsi invités à « une option ou un amour préférentiel pour les pauvres » (SRS 42) et à évaluer les différents styles de vie, la politique et les institutions sociales selon l’impact qu’ils ont sur les pauvres. « La vocation chrétienne au développement aide à poursuivre la promotion de tous les hommes et de tout l’homme » (CV 18).

Pour aller plus loin

Une vidéo de Dominique Fontaine, aumônier du Secours catholique, sur la dignité de la personne humaine

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