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09 juillet 2019

Vers le synode pour l'Amazonie (4)

Hélène Noisette, soeur auxiliatrice, membre du Ceras

Vers le synode pour l'Amazonie (4) Indiens du Brésil - Pixabay

Le document de travail (Instrumentum laboris, IL) du Synode pour l'Amazonie est paru le 17 juin dernier. Élaboré à partir de nombreuses enquêtes auprès des communautés d'Amazonie, il doit servir de base à la réflexion des pères synodaux en octobre prochain. La traduction française vient d'être mise en ligne sur le site officiel du Synode[1]. Ce texte, dans un style proche de Laudato si', est simple et agréable à lire.

A la suite de Laudato si' qui abordait l'écologie intégrale d'un point de vue universel, l'Instrumentum laboris reprend les intuitions du pape François à partir de l'écoute d'un territoire et de communautés en danger, celles des peuples autochtones de l'Amazonie, dans la droite ligne de l'option préférentielle pour les pauvres : partir du plus vulnérable pour s'ouvrir au plus universel. Car, si ce texte est inscrit dans un contexte particulier, il a aussi une portée universelle. D'abord parce que l'Amazonie est « un poumon » de la Terre (LS 38, IL 54) et que la menace qui pèse sur son équilibre biologique aura des conséquences majeures pour l'ensemble de la planète. Mais aussi parce que l'Amazonie constitue un « paradigme »(IL 56) : paradigme de la violence et de l'exploitation qui nous guette, mais aussi paradigme positif d'un territoire où « tout est lié » et où nul ne peut vivre sans lien avec la nature et sa communauté de vie. La vie des peuples amazoniens nous offre une image lumineuse d'un autre possible pour sortir du consumérisme et de l'individualisme. Elle nous apprend le dialogue : « étroitement mêlée à l’eau, à la terre, aux identités et spiritualités de ses peuples », la vie en Amazonie « invite au dialogue et invite à l’apprendre de la diversité biologique et culturelle [de ses peuples] » (IL 43). Enfin, « l’évangélisation en Amazonie est un banc d’essai pour l’Église et pour la société » (IL 106).

Pour une écologie intégrale capable d'« écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » (LS 49) :

L'instrumentum cherche à écouter les « clameurs ». Des cris élevés par les auteurs du texte jusqu'à la catégorie de « lieux théologiques », « à partir desquels penser la foi » (IL 18) : clameurs des pauvres qui s'expriment dans leurs révoltes, dans leur « cri pour vivre » (IL 18) aussi bien que dans les expressions de la piété populaire (IL 126) et les cris du territoire qui manifeste aussi la présence de Dieu (IL 19). Ainsi, le texte ne commence pas seulement par « voir » la réalité – selon le triptyque classique de la méthode sociale de l’Église, « voir-juger-agir » - mais par « voir-écouter » (IL 4) la « voix de l'Amazonie » (IL 6).

La notion d'écologie intégrale se trouve précisée : celle-ci « se base sur la reconnaissance de la dimension relationnelle comme catégorie humaine fondamentale » (IL 47). Aussi, le document fait une place majeure aux peuples autochtones, eux qui mettent au cœur de leurs préoccupations l’harmonie dans leurs relations à la nature, à Dieu et à la communauté et qui considèrent les humains comme inclus dans la nature et non pas à côté ou au-dessus d'elle. L’Église est ainsi invitée, avec force, à se mettre à leur écoute et à leur école : « pour veiller sur l’Amazonie, les communautés aborigènes sont des interlocuteurs indispensables, car ce sont elles précisément qui prennent le mieux soin de leurs territoires » (IL 49). Leurs « cosmologies, spiritualités et théologies » sont précieuses pour « la protection de la Maison commune » (IL 50).

En contexte amazonien, cette voie de l'écologie intégrale prend un visage particulier, dépeint dans la seconde partie du document. Laudato si' nous a appris que l'écologie intégrale est à la fois sociale et environnementale (LS 138-142) : dans l'Instrumentum laboris, c'est en son nom que s'élève une protestation virulente contre les industries extractivistes (IL 45-56) – qui pillent l'écosystème amazonien et violent les droits des peuples autochtones, en particulier, les « peuples libres »[2] et les femmes, dont le texte évoque à plusieurs reprises la situation inquiétante, faite de violence voire d’assassinats[3]. C'est aussi au nom de l'écologie intégrale que le document se soucie si fortement des migrations, tant externes qu'internes, dans ce territoire où les grands projets attirent des travailleurs pauvres mais chassent au même moment des peuples autochtones (IL 63-69)... L'écologie intégrale de Laudato si' est aussi une écologie culturelle (LS 143-146) : il s'agit ici de préserver la culture des peuples autochtones et apprendre d'eux le « bien vivre ». C'est enfin une écologie de la vie quotidienne qui s'inquiète de la possibilité d'un développement authentique dans les villes (LS 144-154). Elle interroge une croissance urbaine exponentielle et les problèmes qu'elle suscite (IL 70-74) en Amazonie : violence, traite des personnes, trafic de drogues, manque d'infrastructures, d'hygiène et de possibilités éducatives... Cette écologie de la vie quotidienne s'inquiète de la fragilisation des familles amazoniennes - en proie à la drogue et aux violences intrafamiliales - qui perdent leur capacité de transmettre une culture forte (IL 75-79). Elle rejoint encore les problèmes de corruption et de santé intégrale, en valorisant des savoirs traditionnels contre une médecine qui privatise le vivant (IL 80-91). Les derniers chapitres de cette deuxième partie rappellent la partie 6 de Laudato si' : le défi est de dessiner une « éducation intégrale » en vue de la « conversion «écologique ».

Nombre de suggestions sont ainsi élaborées en direction des gouvernements mais aussi de l’Église qui est appelée à inclure dans sa propre pastorale toutes ces réalités longtemps sous estimées ou mal considérées. Elle est invitée à mettre en place une pastorale familiale capable de prendre en compte les défis des familles, à réfléchir sur ses propres compromissions avec la corruption, à reconnaître la culture indo-amazonienne « pour éviter de répéter les erreurs historiques qui ont détruit de nombreuses cultures indigènes » (IL 98)...

Pour une conversion pastorale et structurelle de l’Église :

On retrouve aussi dans l'Instrumentum laboris l'appel particulièrement fort d'Evangelii Gaudium et d'Episcopalis communio pour une Église toujours davantage « en sortie » et pour une Église synodale.

C'est surtout le cas dans la troisième partie qui cherche les chemins d'une réforme de l’Église amazonienne afin qu'elle soit plus prophétique, inculturée dans la réalité locale et ouverte à l'interculturalité constitutive de cette région aux multiples identités (IL 106). En ce sens, l’Église doit poursuivre son chemin de synodalité et de dialogue, notamment avec les autres confessions chrétiennes et la théologie indo-amazonienne. Elle est invitée à se décentrer pour apprendre des peuples autochtones : « reconnaître la spiritualité autochtone comme source de richesse pour l’expérience chrétienne » (IL 123) et s'appuyer sur l’organisation sociale de ces communautés - dans lesquelles le pouvoir est exercé à tour de rôle et avec « un fort sentiment de service » - pour reconsidérer sa propre manière d'envisager le pouvoir de gouvernement, actuellement lié « dans tous les domaines (sacramentel, judiciaire, administratif) et de manière permanente au sacrement de l’Ordre » (IL 127). Enfin, des suggestions sont avancées pour « passer d’une “ pastorale de visite ” à une “ pastorale de présence” » (IL 128) malgré les grandes distances géographiques. Le document ose ainsi poser la question de la possibilité de l'ordination sacerdotale « de personnes aînées, préférablement autochtones », « même si elles ont une famille constituée et stable ». Il invite de même à « identifier le type de ministère officiel qui peut être conféré aux femmes » et à leur accorder davantage de place dans les prises de décisions et de responsabilité « en tenant compte du rôle central qu’elles jouent aujourd’hui dans l’Église amazonienne ». Il demande encore de valoriser l'action et la formation des laïcs, d'ouvrir de nouveaux processus synodaux, de « promouvoir une vie consacrée alternative et prophétique »...

Face à la croissance vertigineuse du nombre d'Églises pentecôtistes (IL 133), l’Église catholique s'interroge sur son mode de présence : certains évangélistes sont appréciés pour leur proximité. N'y a t-il pas là un appel à faire Église autrement ?

Le dernier chapitre encourage finalement l’Église en Amazonie à être une Église prophétique qui élève la voix pour un développement humain intégral : dénoncer les modèles extractivistes ; se joindre aux mouvements sociaux pour réclamer la justice agraire ; soutenir l’agriculture biologique et agro-forestière ; défendre les droits humains et relayer le cri de la “ Mère Terre ” blessée par un modèle économique prédateur. Il lui demande aussi de promouvoir la dignité et l’égalité des femmes dans le secteur public, privé et ecclésial, en assurant des espaces de participation, en combattant la violence dont elles sont victimes, ainsi que l'avortement, l’exploitation sexuelle et la traite des personnes ; mais aussi de changer les habitudes de consommation, de favoriser les énergies renouvelables...

Certes ce texte n'a pas de valeur doctrinale, mais il pose une série de questions importantes et approfondit la compréhension de la mise en œuvre d'une conversion écologique à la fois des communautés et de l’Église. A ce titre, il nous inspire aussi en Occident car il éclaire nos propres défis culturels, spirituels et ecclésiologiques.

 

[1]    http://www.sinodoamazonico.va/content/sinodoamazonico/fr.html. Une version illustrée est accessible en espagnol.

[2]    Peuples autochtones sans contact avec la société moderne et rendus très vulnérables par l'absence de droits fonciers clairs.

[3]    Le document nous apprend que, dans certaines régions d’Amazonie, 90% des autochtones assassinés dans les populations isolées sont des femmes (IL 60).

Pour aller plus loin

Voir aussi :
Vers le synode pour l’Amazonie (3)
Vers le synode pour l’Amazonie (2)
Vers le synode pour l’Amazonie (1)