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25 mars 2022

Technique

Bertrand Hériard, Jésuite, ancien directeur du Ceras et Dominique Bourg, Professeur honoraire, Université de Lausanne

Technique Else Margriet - Pixabay License

On ne peut traiter de la vision de la technique par l’Eglise – et qui plus est avec une approche historique – sans tenir compte de la manière dont la société en général perçoit les techniques.

La technique n’a constitué un sujet majeur que récemment. Pourtant, il n’y a pas d’humanité sans technique, et plus spécifiquement sans outils. Même si l’outil est déjà très répandu dans le monde animal, ce qui distingue l’homme c’est qu’il fabrique des outils avec d’autres outils, et que son environnement est marqué par la permanence d’artefacts multiples donnant lieu à des lignées évolutives. La technique et ses différentes expressions font ainsi partie du bruit de fond des civilisations et n’attirent guère, pour cette raison, l’attention. Elles n’échappent pas pour autant au regard, notamment celui des philosophes. Pour les Anciens, Platon en l’occurrence, elles constituent l’ensemble des « arts utiles à la vie » mais restent bornées au monde matériel. Le christianisme, en valorisant le travail et en affirmant que les êtres humains peuvent collaborer à la Création, changera la donne. Puis la modernité rénovera profondément la conception des techniques et débouchera sur l’idéologie du progrès. Cette dernière finira par se fracasser sur la conscience croissante des difficultés écologiques, lesquelles conduiront à renouveler l’interprétation théologique.

Du regard minoratif sur la technique des Anciens à sa valorisation par le christianisme

Les Anciens n’ignoraient évidemment pas l’importance des techniques pour la condition humaine. Ils pensaient même que les techniques constituaient un attribut exclusivement humain. Le mythe de Prométhée et de l’oublieux Épiméthée abandonnant l’homme à sa nudité met en lumière la nécessité du feu et des techniques pour la survie de l’animal humain. Les techniques seront ensuite interprétées en fonction de l’opposition du monde sublunaire au monde céleste, structurante pour la pensée grecque classique et hellénistique. Les arts ou techniques sont rivés au seul monde sublunaire, celui où règne la contingence. Ils sont affaire de paysans, d’artisans et d’esclaves. En revanche, les sciences visent le vrai et le nécessaire ; tournées vers le monde céleste et le divin, elles sont l’apanage d’une aristocratie spirituelle et sociale, les deux allant de pair pour les Anciens.

Tout change avec l’avènement du christianisme. L’opposition avec l’antiquité grecque et latine est tranchante, au moins en ce qui concerne les principes. Le monde a été créé. Il est le produit d’un Dieu qui envoie son Fils sur Terre et qui en outre fait de lui un artisan. La chrétienté médiévale revendiquera la cosmologie ptoléméenne, d’inspiration aristotélicienne, mais celle-ci n’en est pas moins minée. Pire, le cénobitisme affirmera louer Dieu par le travail, celui des champs notamment ; c’est le « orare et laborare » inspiré de la règle de saint Benoit de Nursie. L’ordre des Victorins, avec Hugues de Saint-Victor notamment, cherchera à conjuguer le Paysan et le Philosophe. Homo laborans sera déclaré cooperator Dei (1 Co 3, 9 et 2 Co 6, 1). Les moines vont d’ailleurs développer et diffuser considérablement les techniques agricoles, architecturales et artisanales.

La modernité et l’idéologie du progrès

Nouvelle rupture avec l’avènement de la modernité à la fin du 16e et au début du 17e siècle : la mission assignée aux techniques change encore. L’idée selon laquelle les techniques aménagent l’existence était encore partagée par les médiévaux. Mais avec les modernes, les techniques seront censées exercer un tout autre rôle, bien plus ambitieux : transformer, voire transfigurer la condition humaine. Cette mission nouvelle est inséparable d’un maillage inédit entre sciences et techniques. Avec la physique moderne, la science ne s’oppose plus aux techniques, elle les nourrit et les soutient en amont : les techniques peuvent désormais s’appuyer sur la connaissance des nécessaires lois de la nature. Elles ne relèvent plus de la seule expérience, mais se fondent sur un savoir abstrait et formel. Dans ces circonstances, le rêve pélagien[1] prend un sens nouveau. Avec Francis Bacon, notamment, la science naissante est comprise comme la promesse d’un retour à l’Éden, à la perfection humaine précédant le péché originel. Ainsi compris, le pélagianisme irriguera la modernité et plus particulièrement les traditions de pensée de gauche. Il sera au fondement de l’idéologie moderne du progrès, selon laquelle l’avancée des connaissances, avec ses retombées industrielles et techniques, ne peut que conduire à une amélioration générale de la condition humaine, voire au bonheur.

Cette modernité divise le catholicisme comme il avait divisé la société. Tout au long du XIXe siècle, thuriféraires et imprécateurs de la technique s’opposent avec passion. Parmi les premiers, des libéraux - pour la plupart bourgeois engagés dans l’aventure industrielle - et des Gallicans - dont beaucoup d’évêques concordataires qui n’hésitent pas à bénir les nouveaux ouvrages de l’industrie comme on bénissait les cathédrales au Moyen Age. Parmi les seconds, des intransigeants (de Louis Veuillot à Léon Bloy), nostalgiques des techniques agricoles, et des catholiques sociaux se révoltant contre la misère ouvrière. Mais ces controverses ne restent pas confinées dans la presse. Elles se diffractent selon les techniques et leurs milieux. Elles divisent les consciences, même celles des papes. Pie IX, par exemple, condamne « les idées modernes » (Syllabus de 1864) tout en développant les chemins de fer et le télégraphe dans les Etats pontificaux.

Des compromis locaux sont trouvés au fur et à mesure que les techniques sont adoptées par les différents milieux. Sur ce point, l’action catholique spécialisée, qui naît au XXe siècle,  joue un rôle clé. Les catholiques sociaux sont particulièrement présents dans la formation professionnelle pour soutenir les jeunes ouvriers… et lutter contre le monopole de l’Etat laïque. L’Union Sociale des Ingénieurs Catholiques (USIC, qui deviendra MCC en 1965) promeut « le rôle social de l’ingénieur » comme arbitre entre le capital et le travail au nom de la science et de la doctrine sociale. Pendant la crise de 1929, la Confédération de l’Artisanat familial de France (CAF) permet à de nombreux artisans de trouver soutien moral et financier. C’est le pape Pie XII, témoin du développement des techniques comme des horreurs de la guerre, qui donnera une caution pontificale aux compromis. Jamais pape n’a autant écrit sur la technique. Il distingue les techniques qui poursuivent l’acte créateur de Dieu et « l’esprit technique » qui procède « d’un sentiment d'autosuffisance et de satisfaction vis-à-vis de ses désirs illimités de connaissance et de puissance » (Radio Message, 1953[2]). Il dénonce l’ère technique et son « chef-d’œuvre monstrueux, qui est de transformer l’homme en un géant du monde physique aux dépens de son esprit, réduit à l’état de pygmée du monde surnaturel et éternel » et promeut une technique au service de l’homme.

De l’optimisme des Trente glorieuses à l’inquiétude devant le caractère systématique de la technique

La seconde moitié du 20e siècle marque un nouveau tournant. L’industrialisation avait débouché, à ses débuts, avec l’avènement du prolétariat,  sur tout autre chose qu’une amélioration générale de la condition humaine. L’interprétation marxiste de l’histoire permettait cependant de présenter le prolétariat comme une condition transitoire, grosse des promesses de l’homme générique, et de détourner le regard des dégâts écologiques de l’industrie. La première guerre mondiale avait mis en évidence la destructivité de la technoscience sur les champs de bataille. Hiroshima démontre que la technoscience a acquis la capacité de détruire rien de moins que le genre humain. Mais les bienfaits des Trente glorieuses – en termes de plein emploi, de réduction des inégalités et d’accroissement du sentiment de bien-être, pour la partie occidentale du monde – feront passer au second plan la menace atomique, pourtant soulignée par Jean XXIII dans Pacem in Terris (PT 111).

De fait, à part cette inquiétude marquée face à l’arme nucléaire, Jean XXIII paraît plutôt confiant dans les possibilités offertes par la technique, en particulier pour le développement agricole. Rappelant que la technique doit rester un moyen, il écrit, dans Mater et Magistra (1961), qu’il faut « qu’à l’aide de techniques et de sciences de tout genre, l’homme arrive à connaître pleinement les forces de la nature et à se les soumettre chaque jour davantage » pour faire face au défi du sous-développement et du problème démographique. Il ajoute : «Les progrès déjà réalisés en ce sens permettent des espoirs presque illimités » (MM 189). Il exprime aussi dans Pacem in terris un a priori positif sur la technique, signe de « la grandeur de l’homme » et de « la grandeur infinie de Dieu, Créateur de l’univers et de l’homme lui-même » (PT 2-3), tout en invitant à ce « que la culture religieuse et le raffinement de la conscience progressent du même pas que les connaissances scientifiques et le savoir-faire technique sans cesse en développement » (PT 153).

L’optimisme technophile des catholiques est amplifié par le Concile Vatican II. La constitution pastorale Gaudium et Spes valorise l’activité humaine et reconnait la juste autonomie des réalités terrestres (GS 36), confiées principalement aux laïcs (GS 43). Les critiques des imprécateurs sont reformulées sous forme de questions (GS 56). Le développement économique est jugé nécessaire à cause de l’accroissement de la population et des aspirations des peuples. « Mais le but fondamental d’une telle production n’est pas la seule multiplication des biens produits, ni le profit ou la puissance ; c’est le service de l’homme : de l’homme tout entier, selon la hiérarchie de ses besoins matériels comme des exigences de sa vie intellectuelle, morale, spirituelle et religieuse ; de tout homme, disons-nous, de tout groupe d’hommes, sans distinction de race ou de continent » (GS 64). La formule sera popularisée sous le nom de ‘développement intégral’ par Populorum Progressio (PP 3), véritable charte des chrétiens qui se sont engagés au service du développement partout dans le monde.

A compter des années 70, la montée en puissance des difficultés écologiques finira par remettre au premier plan les menaces pesant sur l’humanité. Désormais, comme le montrera Hans Jonas, la menace ne procède plus uniquement d’un embrasement militaire. Elle découle en un sens des bienfaits même de la société industrielle, à savoir des consommations sans limites qu’elle rend possibles. De plus, le caractère systématique des activités techniques renouvelle les vieux débats entre catholiques. Les thuriféraires voient leurs héros encouragés par les Conférences Internationales des Associations de Patrons Chrétiens (Uniapac), heureux de retrouver une place dans l’Eglise hiérarchique après une longue période de méfiance de la part d’évêques soucieux du monde ouvrier. Les imprécateurs défendent des positions radicales comme celles de Lanza del Vasto - qui diffuse en France les idées de Gandhi -, d’Ivan Illich, universitaire et prêtre catholique, et de Jacques Ellul, professeur de droit et théologien protestant.

Les papes cherchent donc de nouveaux compromis. Paul VI exprime en 1971, dans Octogesima adveniens, sa crainte d’un « glissement plus accentué vers un nouveau positivisme : la technique universalisée comme forme dominante d’activité, comme mode envahissant d’exister, comme langage même, sans que la question de son sens ne soit réellement posée » (OA 29). Jean-Paul II, dans sa grande encyclique sur le travail, dix ans plus tard, précise ceci :« Entendue (…) comme un ensemble d’instruments dont l’homme se sert dans son travail, la technique est indubitablement une alliée de l’homme. Elle lui facilite le travail, le perfectionne, l’accélère et le multiplie. Elle permet d’augmenter la quantité des produits du travail, et elle perfectionne également la qualité de beaucoup d’entre eux. C’est un fait, par ailleurs, que  cette alliée qu’est la technique peut en certains ca se transformer en quasi-adversaire de l’homme, par exemple lorsque la mécanisation du travail « supplante » l’homme en lui ôtant toute satisfaction personnelle et toute incitation à la créativité et à la responsabilité, lorsqu’elle supprime l’emploi de nombreux travailleurs ou lorsque, par l’exaltation de la machine, elle réduit l’homme à en être l’esclave. » (LE 5, 3).

Le regard de Jean-Paul II sur la technique devient encore plus critique dans Centesimus annus (1981) à cause des risques liés aux armes qui transforment la technique en « instrument de guerre » (CA 18), aux politiques antinatalistes qui se servent de « techniques nouvelles » pour parvenir, comme dans une « guerre chimique », à empoisonner la vie de millions d’êtres humains sans défense » (CA 39), et aux défis écologiques. Dans Dives in misericordia, il relève les bienfaits des progrès techniques mais en souligne encore les dangers : « Les moyens ­techniques dont dispose la civilisation actuelle cachent non seulement la possibilité d’une autodestruction réalisée par un conflit militaire, mais aussi la possibilité d’un assujettissement « pacifique » des individus, des milieux de vie, de sociétés entières et de nations qui, quel qu’en soit le motif, sont gênants pour ceux qui disposent de ces moyens et sont prêts à les utiliser sans scrupule. Que l’on pense aussi à la torture, qui existe encore dans le monde, adoptée systématiquement par l’autorité comme instrument de domination ou de suprématie politique et pratiquée impunément par les subalternes » (DM 10-11).

Plus tard, Benoît XVI consacrera tout le chapitre 6 de Caritas in Veritate (CV 66-77) au développement et à la technique. Il réaffirme l’ambivalence de la technique (CV 14, 70), qui « répond à la vocation même du travail humain » et « exprime la tendance de l’esprit humain au dépassement progressif de certains conditionnements matériels » (CV 69) mais ne doit pas être absolutisée sous peine de confondre les fins et les moyens (CV 71) : « Absolutiser idéologiquement le progrès technique ou aspirer à l’utopie d’une humanité revenue à son état premier de nature sont deux manières opposées de séparer le progrès de son évaluation morale et donc de notre responsabilité. » (CV 14)

Inquiet de la « mentalité techniciste » (CV 70) qui se déploie aussi bien dans les moyens de communication sociale que dans les biotechnologies appliquées à l’homme, il propose « une nouvelle synthèse humaniste » : « Le développement de l’homme et des peuples se place lui aussi à une hauteur semblable, si nous considérons la dimension spirituelle que doit nécessairement comporter ce développement pour qu’il puisse être authentique. Il demande des yeux et un cœur nouveaux, capables de dépasser la vision matérialiste des événements humains et d’entrevoir dans le développement un « au-delà » que la technique ne peut offrir. Sur ce chemin, il sera possible de poursuivre ce développement humain intégral dont le critère d’orientation se trouve dans la force active de la charité dans la vérité. » (CV 77) Car « la liberté humaine n’est vraiment elle-même que lorsqu’elle répond à la fascination de la technique par des décisions qui sont le fruit de la responsabilité morale » (CV 70). Dans le domaine des biotechnologies tout particulièrement, il invite à sortir d’une « raison close dans l’immanence technologique » pour une « raison ouverte à la transcendance » (CV 74).

Laudato si’ : montée des préoccupations écologiques et critique du paradigme technocratique

Depuis la publication du rapport Meadows au Club de Rome en 1972, rien n’est venu démentir le constat de la destructivité de la société industrielle quand elle est livrée à elle-même. Les émissions de gaz à effet de serre n’ont cessé d’augmenter ; les menaces climatiques, la destruction de nombreuses populations vivantes et de la biodiversité n’ont cessé de se poursuivre ;n les tensions sur certaines ressources commencent à se faire sentir. Le déploiement des techniques numériques a ajouté d’autres menaces pesant sur le genre humain : celle d’un abêtissement généralisé, celle d’une destruction qualitative et physique de l’humanité. L’idée que nos sociétés industrielles sont en train de s’effondrer s’est largement diffusée, y compris chez les chrétiens.

C’est dans ce contexte hautement dramatique que le pape François a rédigé l’encyclique Laudato si, qui aborde les questions écologiques à leur juste hauteur, celle d’une crise inouïe de civilisation. Nourrie par la conscience d’un lien étroit entre le cri de la terre et le cri des pauvres, venue des théologiens de la libération (Leonardo Boff), elle montre que les problèmes écologiques et sociaux sont le revers et l’avers d’une même médaille.

Sans rejeter en bloc la technique (LS 102-103), le pape François s’alarme du pouvoir que nous donnent « l’énergie nucléaire, la biotechnologie, l’informatique, la connaissance de notre propre ADN et d’autres capacités que nous avons acquises ». Ce pouvoir est mal utilisé quand il est concentré entre les mains des plus riches (LS 104) et quand "l’immense progrès technologique n’est pas accompagné d’un développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience » (LS 105) capable de « limiter » la technique (LS 112). Le pape dénonce l’empire exercé sur les êtres humains et sur la nature par un paradigme techno-économique « homogène et unidimensionnel », qui conduit à valoriser, dans tous les domaines de la vie, un « processus logique et rationnel » (LS 105). Ce processus « embrasse et ainsi possède l’objet qui se trouve à l’extérieur », comme dans « la méthode scientifique avec son expérimentation, qui est déjà explicitement une technique de possession, de domination et de transformation » : « C’est comme si le sujet se trouvait devant quelque chose d’informe, totalement disponible pour sa manipulation » (LS 106). La « raison technique » ou « instrumentale » devient l’unique référentiel, « le principal moyen d’interpréter l’existence » (LS 110).

Ce paradigme répand le « mensonge de la disponibilité infinie des biens de la planète », qui « tend à ignorer ou à oublier la réalité même de ce qu’il a devant lui » (LS 106). Face au leurre dangereux et destructeur de la disponibilité de toutes choses, François en appelle à la « sobriété » (LS 222) et même à  « une certaine décroissance » (LS 193). Ce même paradigme convertit tout en déchets, les êtres humains autant que les choses (LS 123).

Il dénonce le « mythe du progrès » et ceux qui « affirment que les problèmes écologiques seront résolus simplement grâce à de nouvelles applications techniques » (LS 60, cf aussi LS 14 ou 111)

François appelle évidemment à relire les textes vétérotestamentaires sur lesquels ont été fondées théologiquement, mais aussi pratiquement, nos relations à la nature. L’humanité imago Dei, appelée à dominer tout ce qui vit sur Terre (Gn 1, 26-28), doit être comprise en vertu de la valeur intrinsèque de la Création – affirmée avant même l’avènement de l’homme (Gn 1, 31 et Gn 2, 15). Il invite à reconnaitre les origines argileuses du couple humain originel, comme celles des autres créatures (Gn, 2,7) chères à François d’Assise. « L’univers, écrit-il encore, se déploie en Dieu, qui le remplit tout entier. Il y a donc une mystique dans une feuille, dans la rosée, dans le visage du pauvre » (LS 223). François renoue ainsi avec le panenthéisme[3] d’un saint Bonaventure.

 

Nous constatons que nos relations à la nature et à nous-mêmes dépendent de nos conceptions des techniques et de nos  attentes à leur égard. Il n’y a aucun sens à opposer techniques et humanité. Toute  civilisation noue nature, techniques et humanité entre elles. Le paradigme mécaniste a porté la modernité ; nous le mettons à distance et cherchons à mettre fin à la nocive séparation d’avec la nature dont il a été porteur. C’est une radicale bascule culturelle, qui invite à renouveler notre interrogation sur le rôle et les limites des techniques. Croire en leur toute-puissance, comme si elles étaient l’alpha et l’oméga de toutes choses, nous a conduits, en lien avec le marché, dans l’impasse où nous sommes. Un des signes de cette mutation est l’intérêt porté aux low-techs qui cherchent à situer la complexité non plus dans l’objet lui-même, mais dans l’analyse des relations qu’il peut permettre avec le milieu comme avec les autres espèces, ainsi qu’avec nos sœurs et frères en humanité.

 

[1] En réaction contre le pessimisme du manichéisme, Pélage (350-420) considère que tout chrétien peut atteindre la sainteté par ses propres forces.

[2] « Cependant il paraît indéniable que cette même technique, ayant atteint en notre siècle l'apogée de la splendeur et du rendement se transforme, par des circonstances de fait, en un grave danger spirituel. Elle semble communiquer à l'homme moderne, prosterné devant son autel, un sentiment d'autosuffisance et de satisfaction vis-à-vis de ses désirs illimités de connaissance et de puissance. Par son utilisation multiple, par l'absolue confiance qu'elle rencontre, par les possibilités inépuisables qu'elle promet, la technique moderne déploie autour de l'homme contemporain une vision assez vaste pour être confondue par beaucoup avec l'infini lui-même. Il s'ensuit qu'on lui attribue une impossible autonomie qui, à son tour, dans l'esprit de quelques-uns, se transforme en une conception erronée de la vie et du monde, désignée sous le nom d'« esprit technique ». (Radio Message de Noël 1953)

[3] Le panenthéisme se différencie du panthéisme. Si le panthéisme confond Dieu et le Tout, le panenthéisme pense que Dieu est en tout sans pour autant réduire Dieu au tout, au cosmos.